Les deux docs interrogent notre réalité, celle des marginalisés et laissés-pour-compte, qu'ils soient d'ici ou d'ailleurs. Le cinéma féminin était encore à l'honneur en cette troisième journée des Rencontres cinématographiques de Béjaïa, qui se poursuivent jusqu'au 26 septembre à la cinémathèque, avec deux documentaires, signés Leila Beratto, Meriem Achour-Bouakkar, Nora Hamdi. Les deux docs Derwisha, de Beratto, et Nar (feu) de Achour-Bouakkaz, interrogent notre réalité, celle des marginalisés et laissés pour compte, qu'ils soient d'ici ou d'ailleurs. Derwisha, quartier de Aïn Bénian, dans la banlieue ouest d'Alger, abrite un groupe de migrants camerounais qui s'entassent depuis des mois dans une maisonnette en brique. Femmes, enfants et pères de famille s'y retrouvent le temps de réunir l'argent nécessaire pour traverser la Méditerranée. Dans ce groupe reclus, vivant loin des regards des voisins algériens, on retrouve de tout ; de la mère au foyer qui veut offrir un meilleur avenir à sa petite, au célibataire qui a tout laissé derrière lui pour l'eldorado qu'il voit en l'Europe, en passant par le père de famille à cheval, même à distance, sur l'éducation de sa progéniture. Leila Beratto, journaliste reconnue pour ses écrits et reportages sur les migrants, s'immisce dans l'intimité même de ces personnages qui veulent quitter au plus vite la terre algérienne, tant le regard posé sur eux est parfois méprisant. "Je pensais que ce serait mieux d'immigrer, mais je me rends compte que c'était pire que lorsque j'étais dans mon pays." Le regret et la désillusion sont grands, les attentes réduites à néant, puisque ce qui compte pour eux maintenant, c'est de survivre, arrivant à peine à joindre les deux bouts. Dans ce tableau du migrant, il y a aussi des séquences de joie et d'euphorie, qui vaudront à leurs auteurs cependant des représailles de la part du voisinage. La musique trop forte et la consommation d'alcool ne sont pas de leur goût, en effet. La riposte se fait violente avec une attaque perpétrée par quelques-uns contre la maison de cette "famille recomposée". Cloisonnés dans ce qui ressemble à un mini ghetto, les Camerounais n'ont aucune attache avec l'Algérie, et l'Algérie non plus ne semble pas se soucier d'eux outre mesure. Ce même constat s'applique aux personnages du documentaire-choc de Meriem Achour-Bouakkaz, Nar, qui s'intéresse aux immolés par le feu et leurs proches, pour tenter de comprendre qu'est-ce qui a mené des jeunes à la fleur de l'âge à commettre l'irréparable ? Ces dernières années, l'Algérie connaît un dangereux pic d'immolations par le feu, souvent fruit du désespoir, ressenti par une jeunesse qui a pourtant tant à offrir à son pays. Les rescapés de ces tentatives funestes, ou les proches de ceux qui n'ont pas eu la chance d'éteindre les braises de leur chagrin, témoignent face à une caméra fixe, ne manquant aucun geste, regard ou hésitations des intervenants. Le feu de la misère, du népotisme et du mépris était le premier à consumer l'esprit de ces jeunes, diplômés pour la plupart, et qui se sont ou s'étaient rabattus sur de petits boulots : gargotier, vendeur d'olives, manœuvre… La haine contre un système délétère se transforme en une haine contre soi, arrivant à anéantir totalement leur estime d'eux-mêmes. "Il se brûle pour préserver le peu de dignité qui lui reste, que la société et les responsables ont piétinée à maintes reprises. Il se brûle pour se prouver une toute dernière fois qu'il est humain, fait de chair, et qu'il ressent la douleur. Il préfère s'effacer et se laisser prendre par les flammes que de voir le peu de dignité qui lui reste disparaître", témoigne l'ami de l'une des victimes. Qu'ils soient d'ici ou d'ailleurs, les deux documentaires attestent que les humains finissent par plier face à la plus grande atteinte qui puisse leur être faite, celle de leur honneur et dignité, que ni la pauvreté, ni la peur, ni l'exil n'avaient pu ébranler.