Les Rencontres cinématographiques de Béjaïa (RCB) reviendront samedi 21 septembre pour une nouvelle édition, que la censure de l'année passée a failli compromettre. L'association Project'heurts, organisatrice de l'événement, fait contre mauvaise fortune bon vent. Les Rencontres reviennent pour une 17e édition, qui s'étalera sur six jours d'une pleine animation cinématographique. Le public cinéphile est convié à faire le plein avec 30 films, dont beaucoup d'avant-premières algériennes et une majorité de 18 courts métrages. «Tous les films à projeter à 20h sont des avant-premières», nous affirme Lilia Aoudj, directrice artistique des RCB, qui nous confirme que cette édition n'a pas reçu beaucoup de longs métrages. C'est là un signe suffisant de la difficulté que rencontrent les réalisateurs pour trouver les financements afin de tourner de longs films. Les amateurs des longs métrages fictions n'auront, en effet, à voir que quatre longs films, dont un en tamazight, La Maquisarde. Le film est une adaptation du livre éponyme par la romancière elle-même, Nora Hamdi, qui rend hommage à sa mère, une «oubliée» de la Révolution en Kabylie. Deux autres films amazighs, réalisés au Maroc, seront projetés. The vice of hope, un film italien d'Edorado Angeus est une autre fiction qui met en scène également le combat d'une femme. Parkour(s), une tragi-comédie de Fatma-Zohra Zamoum, déjà projeté à la salle Ibn Zeydoun, donne à voir certaines des contradictions de la société algérienne. Dans Terminal Sud de Rabah Ameur-Zaimeche, nous verrons Ramzy Bedia (fameux duo comique Eric et Ramzy) dans le rôle sérieux d'un médecin happé par un climat d'insécurité. Ces fictions se déclinent avec un esprit d'engagement et de lutte, qui permet de dégager une thématique prédominante dans cette 17e édition. Celle-ci trouve d'ailleurs son prolongement dans le gros des courts métrages et des documentaires, dont certains font un clin d'œil à la «révolution du 22 février». Aucun n'est cependant une immersion dans le cœur du mouvement populaire national. Y a-t-il un réalisateur qui a investi le hirak, caméra sur l'épaule? «Pour le moment, je préfère vivre intensément ces moments», a répondu une jeune réalisatrice dans un débat à la Cinémathèque de Béjaïa. Bouillon de cinéma «Il est question de lutte dans différents pays et différentes époques», constate Lilia Aoudj à propos de la couvée des RCB de cette année. En effet, Amussu («mouvement» en tamazight), est un documentaire du Marocain Nadir Bouhmouch, qui donne la parole aux révoltés amazighs du mouvement de l'oasis d'Imider, dans l'Atlas marocain, engagés dans leur long combat contre la plus grande mine d'argent en Afrique, qui pollue leur eau depuis presque un demi-siècle. Un autre documentaire, sélectionné pour les RCB, est filmé chez les Amazighs du Maroc. Tamazight transition, du réalisateur algéro-belge Chafik Allal, fait la jonction entre modèle économique et richesse culturelle. Vendredi est une fête, un court métrage de 45 minutes, de Samir Ardjoum, ex-directeur artistique des RCB, nous ramène au contexte de la révolte algérienne. Le critique de cinéma qui passe derrière la caméra accompagne Réda Seddiki, un jeune humoriste, natif de Tlemcen, qui rentre au pays et prend le train du hirak. Awal Ayta (Premier cri), est un film musical de Rami Aloui et Nadir Mohammedi, qui évoque l'élan de recouvrement de la citoyenneté. Une histoire dans ma peau est un court métrage de Yanis Kheloufi, qui dresse un mini-portrait du militant Kader Affak. Il est aussi un clin d'œil pour l'engagement militant des Algériens épris de liberté. Nar, le documentaire brûlant de Meriem Achour Bouakkaz, est un autre regard sur la condition désespérée des jeunes Algériens que l'impasse sociale a poussés vers l'immolation, un phénomène qui a endeuillé tant de familles. Pour la soirée d'ouverture, l'association Project'heurts a choisi un documentaire d'une jeune Franco-Algérienne, Dorothée-Myriam Kellou, qui raconte, dans A Mansourah, tu nous a séparés, l'enfance du déporté que fut son père qui rompt le silence en revenant dans son village en Algérie. Touiza, deuxième court métrage de fiction de Karim Bengana, met en vedette deux personnages féminins dont le rôle de l'un est campé par Amira Hilda Douaouda (Papicha) dans un climat qui ne manque pas d'insécurité. La clôture se fera avec Mon cousin l'Anglais, troisième film de Karim Sayad (l'avant-dernier étant Des moutons et des hommes). Sayad a filmé son propre cousin dans sa condition d'émigré qui veut rentrer au pays, en investissant une partie de l'intimité familiale. C'est Derwisha, de Leïla Berrato et Camille Mitterrand, qui met les pieds pleinement dans la thématique de la migration. Le documentaire prend le nom d'un quartier de l'Algérois, où vivent des migrants subsahariens qui espèrent continuer leur chemin vers l'Europe. La caméra s'arrête sur leurs espoirs, leurs rêves et leur attente commune. Ancrage populaire Sur les 30 films qui sont au programme, 22 sont algériens, dont Babylone, l'un des deux longs métrages de Sid Ahmed Semiane. Chacun des cinéphiles attendus à cette 17e édition ne manquera pas de trouver dans ces films les ingrédients de l'actualité nationale. C'est à ce bouillon de cinéma que le public est convié à goûter à partir de ce samedi soir. L'ouverture se fera, cependant, et pour la première fois, avec un conte musical, une performance qui unira Faycal Belatar et Samira Brahmia. Comme d'habitude, les Rencontres se dérouleront à la Cinémathèque de la ville, mais se permettront, cette année, de sortir du dessous de la place ex-Gueydon pour une virée rafraîchissante à Aokas. La collaboration établie avec l'association Tadukli (l'Union) du village Aït Aïssa permettra de projeter cinq films en plein air et d'organiser un atelier au théâtre de Verdure, une œuvre née de l'effort généreux des citoyens de la région. C'est le cinéma qui va volontiers vers son public. L'édition de cette année tiendra cinq ateliers d'éducation à l'image, en plus d'une master class, de cafés cinés et d'une table ronde, où l'on discutera «femmes et cinéma». Les organisateurs veulent faire des RCB 2019, une édition à «ancrage populaire», qui jette un regard solidaire sur l'actualité brûlante de la rue algérienne. Les Rencontres reviennent ainsi, après la regrettable censure du film de clôture de la dernière édition, Fragments de rêves, de Bahia Bencheikh El Fegoun, auquel la commission de visionnage du ministère de la Culture a refusé de délivrer le visa culturel. Comme pour Vote off de Fayçal Hammoum, deux ans plus tôt, Fragments de rêves dérangeait pour être l'écho fidèle du ras-le-bol de la jeunesse algérienne. Cette année, Project'heurts s'est limitée à juste déclarer les films qu'elle projettera. «Nous avons opté pour le déclaratif. Nous avons juste envie de montrer des films», nous répond Lilia Aoudj. Prendra-t-on encore le risque de censurer des films une année après l'avoir fait avec un documentaire qui a fini par être projeté malgré l'interdiction, en mars dernier, dans le sillage du hirak ?