L'actuel exercice des autorités, obligées d'élaborer une nouvelle loi pétrolière, est pire que celui entamé dès fin 1999 par un retraité algéro-marocain envoyé par Dick Cheney, Haliburton, l'AES (American Energy Services !), etc. Notre propos est de dire que la mère des études est d'abord constituée par l'élaboration d'une politique énergétique et minière, conduisant à cette banale loi pétrolière, dont la construction sera un exercice facile pour nos jeunes frères et sœurs (ingénieurs, économistes, sociologues, environnementalistes, géostratèges, communication, etc.). Pour remettre à sa place l'avant-projet de loi, nous en recentrerons le cadre, comparerons les deux types de lois à travers le modèle économique, ferons ressortir la spécificité de la grave maladie algérienne (Etat rentier, incompétence managériale, corruption endémique) et ferons des recommandations. A) Recentrer le cadre des lois hydrocarbures : Les lois hydrocarbures se situaient dans le cadre des lois relatives aux ressources naturelles (périmètres agricoles, hydrocarbures, mines). Pour les hydrocarbures, il y a eu et il y a deux types de lois selon le régime retenu : le régime de concession (initialement le système de taux, le régime minier, la loi algérienne scélérate de 2005 due à CK) et le régime contractuel du type contrat de partage production (CPP ou PSC), adopté en 1986 en Algérie et mis en œuvre pour les contrats signés entre 1986 et 2005. Notons des sous-variantes du régime contractuel CPP, à travers la sous-traitance (risk services) ou le partenariat (accord de participation). B) Principale différence, ex ante, entre les deux régimes (Concession VS Contractuel) : les différences essentielles portent sur la propriété, d'une part le régime féodal pour les concessions, et d'autre part la propriété de l'Etat des hydrocarbures dans le sol et le sous-sol, la cession commerciale au point de mesure ou de livraison. À ce titre, le régime de concession donne le droit souverain à la société étrangère qui considère le pétrole comme sa propriété, y compris son actif boursier pour le pétrole dans le sous-sol, des aspects géopolitiques géostratégiques particuliers. L'autre différence porte sur la gestion des coûts (Capex, Opex), lesquels ont une incidence directe essentielle sur le remboursement des coûts et le partage des profits. La gestion des coûts et leurs remboursements sont le contrôle direct de la société pétrolière concessionnaire. Cependant, dans le régime contractuel (CPP), cette gestion et l'audit des coûts sont en théorie assurés conjointement par la société étrangère (IOC) et par l'Etat ou sa société nationale (NOC Sonatrach). Il existe d'autres petites différences entre les deux régimes : part réservée à l'Etat (emplois, activités de services, etc.), mais d'importance secondaire ex-post. Le troisième aspect est constitué par la partie fiscale et financière. Cet aspect n'est a priori pas lié à la nature des régimes (concession contractuelle), mais a posteriori en tant que modèle fiscal pétrolier et, à travers ses variables économiques, il dépend fortement des régimes du fait du contrôle total par le concessionnaire (IOC) et, en régime de CPP, par l'Etat qui peut intervenir directement (agence Alnaft) ou par le biais de la NOC Sonatrach. Dans la spécificité, les modèles fiscaux retenus dans les différents régimes dépendent des variables de mesures retenues (production, ou production cumulée, différents ratios de rentabilité) et des paramètres économiques retenus (coûts, variations du prix du pétrole, taux de profit, etc.). C) Dans le cas de l'Algérie, la principale spécificité réside dans l'audit et la gestion confiés par l'Etat à Sonatrach. En effet, les contrôles des coûts (Capex, Opex) sont essentiels et conditionnent la majeure partie des finances des hydrocarbures (la rente hydrocarbures), objet du modèle. Ainsi, pour la période 1998-2002, nonobstant le fait que Sonatrach n'avait pas de comptabilité analytique, l'audit et le contrôle des coûts (cost-oil) étaient presque inexistants, alors qu'ils constituaient la base du modèle économique de la loi 86-14. Ainsi, la Division commerciale de l'entreprise nationale Sonatrach livrait mensuellement et sans vérification les quantités relatives au remboursement du cost-oil (investissement Capex et coûts opératoires Opex) sans base de calcul et de validation des factures remises par la société pétrolière étrangère, mais qui devaient être d'abord vérifiées par les structures concernées de la Division Association de Sonatrach. En effet, les audits et contrôles, effectués par les différentes divisions de Sonatrach, ne parvenaient que partiellement et tardivement, après deux années en moyenne.Ainsi, en 1998 l'équipe du ministère de l'Energie (Secrétariat général et Direction stratégie) avait créé par arrêté ministériel le Comité de contrôle des associations (CCA). Les contrôles et audits effectués par le CCA avaient conduit à des bilans totalement incroyables, mille fois pires qu'en régime de concession des républiques bananières ou moyen-orientales. Vers 2001-2002, CK avait dû supprimer le CCA, considérant qu'il fallait casser le thermomètre pour cacher la maladie. À titre d'exemple, le CCA avait identifié les factures reprenant les mêmes dépenses, en trois ou quatre fois (société italienne !), et des factures sur des investissements non vérifiées mais acceptées sur la base de déclarations de la société partenaire dans le cadre de la loi 1986-14. Cela permet aussi de comprendre pourquoi le même investissement Anadarko (gisements de Merckx) est passé de près de 1 Md $ négocié en 1999 à 3 Mds $ vers 2014, différence incroyable ; même en y incluant l'indice de Nelson (mesure de l'inflation dans les équipements pétroliers) et la variation du taux de change, cela n'aurait permis qu'une variation de quelques dizaines de %. D) Recommandations : 1) Retour au principe de la loi 86-14 de 1986 : il ne s'agit pas d'une mesure de nationalisme conjoncturel, mais d'une mesure dictée par la faillite de la loi scélérate de 2005 dont les résultats sont quasi nuls (absence de gestion des gisements pétroliers, aucune découverte autre que des ré-évaluations de gisements découverts et développés de 1956 à 1999) ou le fiasco des appels d'offres assis sur la loi de 2005, en fait seulement 4 contrats attribués sur 31 proposés (2014). 2) Maintenir l'actuel avant-projet de loi est sans effet car les fractures souterraines du mandatement se situaient à leur : incompétence ou insuffisance du management de Sonatrach, en dépit de la compétence des cadres et opérateurs, insuffisance des outils et de l'évaluation des coûts. 3) Déterminer une nouvelle politique énergétique, préalable à toute mesure légale ou opérationnelle nouvelle. 4) Mesures essentielles : pour rendre l'Algérie pétrolière à nouveau compétitive après vingt ans de sommeil, proposer de nouveaux prospects pétroliers dont ceux de la frontière géologique dans le Nord algérien (Constantinois, Sétifien, Hauts-Plateaux du Sud-Ouest oranais). 5) EOR tertiaire (biochimique, CO2, IoT ou intelligence artificielle) appliqué à Hassi Messaoud et Rhourde El-Baghel avec des gains respectifs de 400 000 b/j et 100 000 b/j, soit plus de 50% de la production de brut en 2018 (i.e. 1 million b/j). 6) Ignorer l'offshore coûteux, non rentable et à très faible probabilité de découverte commerciale. 7) Reporter le gaz de schiste, non rentable et environnementalement inacceptable en l'état actuel des choses, tant technologiques qu'économiques. 8) Mettre le gaz naturel au centre du développement de l'Algérie, de la pétrochimie et des moyens de transport (GNV, GNL), dont véhicules lourd et léger, navires, locomotive de train, engin agricole, etc. 9) Energie solaire axée sur une industrie équipementière nationale après valorisation des minéraux (silicium, lithium, cuivre, terres rares, etc.). 10) Développement de la chaîne de valeur minière des roches mères pétrolières du Sud et des minéraux des territoires du Nord algérien 11) Last but not least : savoir que le diable est dans les détails. Puis la mise en œuvre. Pour ces raisons, il est urgent d'attendre !
(*) Ingénieur civil des mines et ingénieur ENSPM/IFP