Expert en économie et finances, Anisse Terai est également directeur général d'un Fonds d'investissement international. Dans cet entretien, il nous livre son analyse sur l'impact que pourrait induire le retour aux importations de voitures de moins de trois ans sur l'offre et les cours des devises. Liberté : Dans l'avant-projet de loi de finances 2020, le gouvernement vient d'autoriser le retour à l'importation des véhicules de moins de trois ans. Quel serait l'impact de cette mesure sur l'offre en devises et les cours des monnaies étrangères sur le marché informel? Anisse Terai : Sans aucun doute, cette décision va renforcer la demande pour les devises sur le marché informel. Du côté de l'offre, il n'y a pas de bouleversement majeur. On sera donc dans une situation de déséquilibre qui va favoriser l'augmentation des prix des devises. La majeure partie de ces importations aura comme origine les pays de la zone euro, ainsi la baisse relative de l'euro, par rapport aux autres monnaies, viendra limiter sa flambée sur le marché informel en Algérie. D'autant plus que Christine Lagarde, la future présidente de la Banque centrale européenne (BCE), a annoncé qu'elle va poursuivre la même politique monétaire que Mario Draghi (actuel président de la BCE dont le mandat arrive à échéance le 31 octobre 2019). La BCE gardera donc le même cap au début des 8 années de mandat de Mme Lagarde Y aurait-il un risque sur le taux de change officiel du dinar si celui-ci venait à être bousculé par une hausse importante des cours sur le marché parallèle ? En théorie oui, mais dans la réalité il est improbable que le taux de change officiel du dinar soit bousculé par les cours du marché informel. La raison est que le marché informel lui-même ne connaîtra pas un bousculement de ses fondamentaux, comme expliqué plus haut. Néanmoins, il faut s'attendre à une hausse minime (5 à 10%) des prix des devises. Cependant, ça va inciter les fraudeurs de la devise à siphonner plus de réserves de changes officielles par la surfacturation des importations, pour revendre ensuite ces devises sur le marché informel. Il devient donc urgent de solutionner ce problème. Pour autant, nous devons faire un meilleur usage des réserves de change par une gestion active. La création d'un fonds souverain pourrait répondre efficacement à une telle stratégie et assurer la transmission d'un patrimoine aux générations futures. Dans une contribution parue jeudi 10 octobre 2019 dans les colonnes de Liberté, j'évoque avec un peu plus de détail cette proposition. Cette mesure est-elle susceptible d'accélérer le mouvement des transferts illicites de devises vers l'étranger via le canal bancaire, puisque les consommateurs désireux d'acquérir un véhicule doivent transférer leurs devises via les banques ? C'est effectivement un risque qui peut toutefois être maîtrisé. En réalité, nous avons besoin, en urgence, d'une reforme du régime de change. Dans la même contribution citée plus haut, j'aborde aussi le détail de cette proposition. Il s'agit tout d'abord de répondre à l'urgence, vu le niveau des réserves de changes (moins de 70 milliards US$) par l'instauration d'un double régime de changes. Un régime de change fixe (ancré à un panier de monnaie) pour les réserves de change officielle et un régime de change flottant pour le marché libre des devises. En parallèle, il faut revoir l'usage des réserves de change officielle et en interdire l'utilisation par les opérateurs économiques privés, qui pourraient librement acheter des devises pour leurs besoins sur le marché libre. C'est la peine capitale pour le phénomène des surfacturations des importations. Les réserves de change officielles pourraient ainsi être destinées aux investissements publics stratégiques et aux dépenses vitales des citoyens à l'étranger (soins médicaux, études et allocation de voyage).