Les Algérois ont rendu hommage aux militaires tués dans une embuscade. Ils ont réaffirmé leur attachement à la primauté du civil sur le militaire et leur opposition au scrutin du 12 décembre. Il a plu des cordes sur Alger, hier matin, ce vendredi de l'acte 38 de la révolution citoyenne. La température avoisinait les 10°C. Sale temps pour la marche hebdomadaire ? Pas du tout. À midi, des dizaines de citoyens sillonnaient déjà les ruelles d'Alger-Centre, protégés par des parapluies et appelant leurs concitoyens à sortir en masse : "Hada hirak wajeb watani" (Le hirak est un devoir national). Ils ont enchaîné sur l'incontournable revendication inhérente à la primauté du civil sur le militaire. "Dawla madania, machi âaskaria", "Nous ne voulons plus du pouvoir des généraux", "Celui qui veut un régime militaire n'a qu'à aller vivre en Egypte"... Ces slogans ont largement résonné, tout au long de l'après-midi, sur les différents parcours de la marche dans la capitale, portés par des dizaines de milliers de voix. Les manifestants ont eu une pensée pour les quatre jeunes militaires tués dans une embuscade dans la wilaya de Tipasa. Un groupe d'Algérois, avec lesquels nous avons échangé en attendant le démarrage effectif de la manifestation, ont salué le dévouement des membres de l'ANP sur le terrain. "Rabi yahfadhoum" (Que Dieu les protège), souhaite une dame. Nos interlocuteurs ne croient pas, néanmoins, au retour du terrorisme. "En 1997, Ouyahia nous parlait déjà du terrorisme résiduel. Pendant vingt ans, on nous présentait la réconciliation nationale comme un trophée. Aujourd'hui, on nous fait peur avec des bombes désamorcées. Nous ne sommes pas dupes", a commenté un quadragénaire, approuvé par ses compagnons de manif. À 15h, une minute de silence est observée à la mémoire des victimes. Elle est rompue par des "Tahya El-Djazaïr". À l'heure du déjeuner, un bénévole a ramené du couscous et de la galette aux irréductibles qui investissent la rue de bonne heure. Deux femmes ont distribué, de leur côté, des sandwichs. À la rue Didouche-Mourad, la foule grossissait substantiellement alors que les fidèles n'avaient pas encore emprunté le chemin des mosquées. À la fin de la prière du vendredi, la rue a été complètement investie, comme par magie, par des milliers de manifestants. Ils ont clairement exprimé leur rejet d'un régime militaire et leur courroux contre les juges. "Quelle honte ! La justice se vend au dinar", ont-ils fustigé, dans une allusion à l'arrêt de la grève des magistrats après une revalorisation de leurs indemnités. L'opposition au scrutin présidentiel fixé au 12 décembre prochain est aussi proclamée sans équivoque. Au slogan standard "Pas de vote avec le gang", s'est greffé ce vendredi un autre mot d'ordre : "Isqat l'vote wajab watani" (Annuler le vote est un devoir national). Les cinq prétendants à la magistrature suprême ont été tournés en dérision dans des caricatures et par d'éloquentes petites phrases portées sur des pancartes. "Rah Bouteflika, ou khala khams banat" (Bouteflika est parti, il a laissé cinq filles) ; "Cinq candidats, cinq lièvres". La première vague des manifestants ayant pris le départ de Bab El-Oued est arrivée devant l'hôtel Safir (ex-Aletti) à 14h30. Elle est suivie par une procession impressionnante qui fait sensation, comme d'habitude, sur la rue Asselah-Hocine, avant de se mêler aux autres marcheurs à hauteur de la rue Khemisti. En chœur, la foule bigarrée a entonné un nouveau chant du hirak, évoquant une détermination à aller jusqu'au bout de l'insurrection. "Le vent va tourner, et nous gagnerons Inch'Allah. Nous sommes les enfants d'Amirouche, nous ne ferons pas marche arrière." À 15h, ce sont les résidents d'El-Harrach qui, rejoignant le cœur d'Alger à pied, ont ranimé la rue Hassiba-Ben-Bouali et le boulevard Amirouche, une heure à peine après le passage massif des habitants de Belouizdad (ex-Belcourt) et du 1er-Mai. Tous les contingents ont reproduit une démonstration de force à la Grande-Poste, rue Abdelkrim-Khettabi, avenue Pasteur, place Audin et rue Didouche-Mourad. L'emblème amazigh est alors furtivement déployé. Comme chaque vendredi, les manifestants ont appelé à la libération des détenus politiques dont les portraits ont été largement portés. Souhila Hammadi