Ouvert à 17h à la chambre pénale près le tribunal de Sidi M'hamed, le procès des seize présumés coupables d'homicide et blessures involontaires sur des spectateurs venus assister au concert du chanteur Soolking, le 23 août dernier à Alger, a duré jusque tard dans la nuit. Les avocats de la partie civile et des accusés ont demandé le report de l'audience au motif que des témoins-clés n'ont pas été convoqués à la barre. Le président de la chambre pénale a, néanmoins, rejeté la requête, invoquant la situation de trois prévenus placés sous mandat de dépôt, en l'occurrence le directeur général de l'Onda (Office national des droits d'auteur), Hocine Bencheikh, le patron de la société Net-système qui a imprimé les tickets d'accès et fourni les appareils servant à les composter, Abdeslam Mohamed Sayed, et enfin, le chef des groupes de vigiles Oussama Kherrat. Il a interrogé aussitôt Hocine Bencheikh sur les initiateurs de l'événement et le choix du stade du 20-Août pour l'abriter. "C'est la ministre de la Culture qui a eu l'idée de confier l'organisation du concert à l'Onda", a répondu l'administrateur de l'Office, rappelant que cette mission, qui relevait auparavant de la compétence de l'Onci, lui a été rattachée en 2018 par l'ex-ministre de tutelle Azzedine Mihoubi. Il a reconnu que le wali délégué d'Hussein-Dey n'a pas autorisé, initialement, l'utilisation de l'infrastructure sportive en chantier. "J'ai avisé la ministre de ce refus. Elle est intervenue par le truchement du wali d'Alger pour lever la réserve", a témoigné l'accusé. Le magistrat a cherché à comprendre pour quelle raison le public n'a été autorisé à accéder au stade qu'à 16h. Aucun des coaccusés n'a assumé cette responsabilité. "Des agents en gilets jaunes ont ouvert les portes, en forçant quelques cadenas", se sont-ils limités à dire. Hocine Bencheikh précisera, néanmoins, quelques heures plus tard, qu'il avait "donné instruction d'ouvrir l'accès au public dès 8h du matin. Mais le chanteur, qui avait refusé de chanter la veille devant la ministre de la Culture, était en répétition durant la matinée". Il a immédiatement été épinglé par le procureur de la République. M. Sayed a soutenu que jusqu'à 12 000 spectateurs pouvaient accéder à la zone libre (terrain) par l'entrée D en quatre heures : "J'ai constaté, néanmoins, qu'à peine 3 500 tickets avaient été contrôlés. Les gens entraient en masse gratuitement." 20 000 billets et 4 000 invitations ont été imprimés. Pourtant, à 19h30, des milliers de personnes, en droit d'assister au concert, restaient bloquées à l'extérieur. C'est à ce moment que la bousculade a commencé. Oussama Kherrat ainsi que des victimes du drame ont évoqué la responsabilité de la Sûreté nationale. Des fourgons de la police ont rétréci le passage, déjà étroit, menant vers l'accès D : "Je suis sorti m'enquérir de la situation à 17h. L'officier de police m'a rappelé à l'ordre en disant que je n'avais pas la prérogative d'intervenir sur la voie publique." Il a expliqué que le rôle des agents de sécurité, déployés par la société Vigil Group, sous-traitante de l'Onda, avait pour mission la fouille aux entrées du stade et la gestion des dépassements à l'intérieur de l'infrastructure. Défaillances de l'organisation et du dispositif de sécurité Le magistrat a interrogé Hocine Bencheikh et M. Assassi, représentant de Vigil Group, sur l'existence d'un plan de sécurité et d'évacuation en cas de nécessité. Le directeur général de l'Onda a évoqué la mise en place d'une commission de sécurité, composée du SG de la wilaya, du P/APC de Sidi M'hamed, du directeur du stade et de représentants de la Sûreté nationale et de la Protection civile. "Cette commission a inspecté le stade et ses accès. J'ai délégué M. Mehnaoui (un cadre de l'Onda, ndlr) car j'étais en déplacement à l'étranger pendant deux semaines", a-t-il rapporté. D'ailleurs, c'est Mehnaoui qui a négocié le contrat avec l'artiste. Il a pourtant nié y avoir joué un rôle important. Les agents de sécurité ont unanimement affirmé n'avoir rien vu ni entendu. Le témoignage poignant des parents des victimes du drame qui avait fait cinq morts et une vingtaine de blessés ont recadré le débat sur l'essentiel : les défaillances de l'organisation et du dispositif de sécurité, ainsi que la localisation du lieu de la manifestation culturelle dans un quartier populaire qui sont à l'origine de la tragédie qui a coûté la vie à deux jeunes filles (Chiraz et Chourouk), à une préadolescente, Sofia, et à deux jeunes adultes. Ali Agha Mounia, sœur de Sofia, a raconté qu'il fallait 90 minutes pour traverser quelques mètres de l'entame de la rue à l'entrée D du stade, dont le portail, ouvert à 16h, a été refermé pour des raisons inconnues, à 18h, puis grandement rouvert au moment de la bousculade. Pour mieux comprendre ce qui s'était passé ce jour-là, des explications de l'ex-ministre de la Culture Meriem Merdaci, des officiers de police et de la Protection civile chargés de mission, du directeur du stade, des autorités locales concernées et de l'artiste s'imposaient. Pourtant, ils n'ont pas été convoqués, ne serait-ce qu'en qualité de témoins. Le procureur de la République a requis trois ans de prison ferme et 100 000 DA d'amende contre six accusés (Bencheikh, Kherrat, Sayed, Assassi, Mehnaoui et Saïd Rahmani) et deux ans de prison ferme contre les dix agents de sécurité. Le verdict sera rendu le 28 novembre prochain.