Le 4 mai dernier, le soleil a fait sa dernière apparition sur Concordia, la base franco-italienne de l'Antarctique dans laquelle je séjourne en compagnie de douze autres personnes pour cette première mission historique. Nous vivons en totale autarcie, inaccessibles au reste du monde. Nous produisons notre électricité, notre eau et, pour la nourriture, nous puisons dans les stocks prévus pour ce long hivernage. Notre quotidien est très chargé. Les techniciens achèvent les finitions internes des bâtiments et assurent la maintenance des installations existantes, telles que la centrale électrique et la station de traitement de l'eau. Nous, les scientifiques, exécutons scrupuleusement nos programmes de recherche. La chasse aux informations est permanente. Les données obtenues sont quotidiennement envoyées, grâce à la liaison satellite, vers les laboratoires européens pour y être analysées. Les résultats en cours, concernant la qualification de la base au plan astronomique, sont très encourageants. Notre petit groupe parvient à vivre sans conflit et à entretenir l'entraide, malgré la fatigue, l'absence de lumière et la promiscuité. Depuis mon arrivée en Antarctique, en novembre 2004, j'ai connu une intensification du froid, une baisse progressive de la clarté jusqu'à l'arrivée de la nuit complète et permanente et un sentiment d'isolement de plus en plus lourd à supporter. Mais, j'ai surtout constaté que les relations humaines trouvent ici leur vrai sens. Gérer les conflits avant qu'ils ne s'amplifient, être tolérant vis-à-vis des collègues, voilà les deux précieuses devises qui sont devenues les nôtres. La vie “civilisée” prend ici sa pleine signification. Ses aspects superficiels sont vite oubliés, les habitudes les plus banales, comme avoir de l'argent sur soi ou les clefs de sa maison, sembleraient déplacées dans ce lieu. Notre objectif : nous concentrer sur notre mission et sur la sécurité du groupe. La longue nuit polaire fut pour moi un merveilleux moment. Jamais il ne m'avait été donné d'observer un ciel aussi pur et aussi étoilé que celui du Dôme C. L'absence de pollution lumineuse (la base la plus proche est à plus de 700 km) et le froid de l'atmosphère (- 80°C) permettent de contempler les étoiles avec une telle netteté que l'on pourrait se croire dans l'espace. Une grande partie de la journée se passe à l'intérieur de la base. Les quelques sorties sont soumises à des contraintes indispensables pour respecter les normes de sécurité. Elles ne sont possibles qu'en binôme, chacun étant équipé d'une radio afin de maintenir un contact permanent avec l'intérieur, et ne sont accordées, généralement, que pour accéder aux installations scientifiques. J'ai un grand avantage, c'est de pouvoir m'échapper quotidiennement, par tous les temps, pour assurer la maintenance des instruments installés dans mon observatoire astronomique, situé à 300 m de la station. Pour l'occasion, je revêts une combinaison polaire, un masque et des gants spéciaux. Je fais très attention à ne pas laisser le moindre centimètre carré de peau exposé à l'air glacial, sinon c'est la brûlure assurée. Au cours d'une de mes sorties, escorté par le médecin de la base, j'ai été témoin d'un époustouflant ballet de lumière. D'immenses voiles colorés ont envahi l'immensité du ciel, nous laissant béats d'admiration, car il est rare d'admirer des aurores australes d'une telle intensité. Le rythme quotidien est chamboulé pendant cette période nocturne. Quand on se lève, il fait nuit, quand on se couche, il fait nuit. Il faut vraiment optimiser son temps car on a la sensation que la journée passe à toute vitesse, qu'elle passe aussi vite qu'une bonne nuit de sommeil et que l'on n'aura jamais assez de temps pour terminer toutes les tâches qui nous attendent. Nous essayons de garder le maximum de contact avec nos familles et nos amis soit pas mails, soit par téléphone. Ce n'est pas toujours facile, ni possible, mais on insiste. À l'heure actuelle, notre mission connaît un moment unique que nous espérions depuis des mois : la réapparition du soleil ! En attendant le retour du premier avion, prévu pour la mi-novembre, qui nous ramènera à la civilisation, je vous envoie ainsi qu'à ma famille toutes mes meilleures pensées et je vous invite à bien profiter de la chaleur et de la lumière du soleil de l'Algérie. Karin Agabi Chercheur algérien en astronomie, membre de l'équipe franco-italienne en mission à la base Concordia.