Nous avons vécu confinés dans un périmètre de 1 500 m2 dans lequel nous avons exécuté nos programmes de recherche et réalisé une simulation de ce que serait l'existence dans une station spatiale qui voyagerait vers une autre planète. Nous avons connu plus de trois mois de nuit permanente et affronté des températures extrêmes avec un record de -79°C. Le 5 novembre à 21 h 55, après 269 jours et 12 heures d'isolement total, l'arrivée du premier avion sur la base Concordia en Antarctique a sonné la fin de notre hivernage. Cette aventure unique, menée à bien par douze hommes et une femme, appartenant au domaine scientifique et technique, qui ont écrit avec leur quotidien la première page de l'histoire de ce grand laboratoire scientifique polaire européen, est d'ores et déjà regardée comme une véritable réussite. Nous avons traversé des moments forts, des hauts et des bas. Nous avons lutté comme nous l'avons pu, moralement et physiquement pour le succès de notre mission. Nous avons défié la nature si cruelle dans cette région hostile où nulle vie n'existe. Nous avons vécu, confinés dans un périmètre de 1 500 m2 dans lequel nous avons exécuté nos programmes de recherche et réalisé une simulation de ce que serait l'existence dans une station spatiale qui voyagerait vers une autre planète. Nous avons connu plus de trois mois de nuit permanente et affronté des températures extrêmes avec un record de -79°C. Bref, nous avons validé cette réalisation humaine incroyable, implantée au milieu de nulle part, dans ce lieu déserté même par les animaux. L'heure d'arrivée de l'avion ne fut connue que peu de temps à l'avance. Chacun à notre poste d'observation nous avons commencé à scruter le ciel jusqu'à l'apparition d'une trace de fumée et d'un petit point noir au loin qui ne cessait de grandir. Ce fut alors un grand cri de joie et de soulagement. Le voilà ! Le voilà ! Venez tous, il arrive ! Après un dernier survol des bâtiments pour nous saluer, le petit appareil équipé de skis s'est posé sur la piste d'atterrissage qui avait été aménagée pour le recevoir. Puis, un à un, les passagers ont débarqué, foulant enfin le sol du Dôme C. Il est difficile de décrire avec exactitude ce que nous ressentions à ce moment précis où le lien avec le reste de l'humanité se renouait. C'était un étrange mélange de joie sourde, de forte émotion, et de légère appréhension. La plupart des nouveaux venus nous avait quittés en février dernier, le cœur serré sans aucune certitude de nous retrouver un jour car les risques encourus au cours de ce premier hivernage étaient réels. Puis les embrassades ont débuté dans un joyeux brouhaha. Plus tard, nous avons découvert, émerveillés, qu'en plus du matériel et des passagers, l'avion transportait aussi des caisses entières de fruits et de légumes frais. Depuis des mois et des mois nous ne savions plus ce qu'était le goût d'une pomme ou l'odeur d'une tomate. Peu à peu des images revenaient à ma mémoire. Je n'oublierai jamais les jours qui ont suivi le départ du dernier avion en février quand l'équipe technique avait eu un sérieux problème touchant aux moteurs de la centrale électrique, le cœur du fonctionnement de la base. Il nous restait alors moins de deux heures d'autonomie avant de nous retrouver en état de panne grave. Heureusement, la réparation avait pu être effectuée à temps. Ce jour-là, nous étions passés très près de la catastrophe. Les images féeriques des aurores australes de la nuit du 16 juin resteront pour toujours gravées en moi ainsi que la beauté du ciel du Dôme C. J'ai aussi vécu de grandes émotions au cours de mes contacts avec la radio et la télévision algériennes et tous les messages de soutien chaleureux envoyés par mes compatriotes m'ont aidé à supporter l'épreuve. Jamais je ne me suis senti aussi proche de l'Algérie. Encore quelques longues semaines, puis je quitterai l'Antarctique emportant avec moi ces précieux souvenirs. Bientôt j'aurai l'immense joie de rejoindre mes proches et peu à peu je retrouverai ma vie d'autrefois et sans doute d'autres défis à relever. Depuis ma petite chambre au milieu de l'immensité blanche, j'envoie un dernier salut fraternel à tous les Algériens. K. A. *Membre de l'équipe de scientifiques franco-italiens