Décédé mardi à Paris, Cherif Aggoune, dont "le cinéma a encore envie de son regard", est l'un des premiers cinéastes algériens à avoir réalisé un film en tamazight, Tagara Lejnun (la fin des djinns) en 1990. "Ça tourne !" plus pour le cinéaste Cherif Aggoune sur lequel sont tombés le "coupez !" du mauvais sort ainsi que le "clap" de la faucheuse. L'un et l'autre prédisent de cet arrêt sur image qui augure aussi de l'extinction de l'œilleton de sa caméra à l'âge de 68 ans, suite à un arrêt cardiaque survenu mardi à Paris. D'où le choc puis l'émotion qui ont attristé la toile. "Non ! Tu n'avais pas le droit de partir car le cinéma a encore envie de ton regard", a écrit le critique de cinéma Samir Ardjoum. Mais qu'importe le générique de fin d'une vie, étant donné que l'enfant de la télévision qu'il était a fait de son vivant "boîte pleine" lorsqu'il a osé Tagara Lejnun (la fin des djinns) (1990), le premier moyen-métrage en tamazight et en couleur d'une durée de 22 minutes en 35 mm. "L'œuvre en berbère est un acte courageux en soi et relevait du domaine de l'exploit à l'époque où tamazight était sous l'éteignoir", a indiqué le monteur et cinéaste Rachid Benallal. Une audace qui lui a même valu l'aura d'invité au siège au festival international du court métrage de Clermont-Ferrand 1991. Et c'est dans la spirale de la violence qu'il a effectué son come-back en 2013 avec L'héroïne, où l'auteur de la pétition "On veut voir le film Ben M'hidi" relate la tragédie de la décennie rouge. S'il en est, c'était l'autre audace au palmarès du défunt ! D'autant que c'était à l'époque où la situation du pays était au sauve qui peut. Affublé du doux sobriquet par ses soins "mon ennemi intime", notre confrère Samir Ardjoum a écrit : "En dépit de mes critiques autour de son dernier film, L'héroïne, le défunt avait tout de même accepté mon invitation à l'émission radio «Micro-ciné» que j'animais avec ma consœur Amel Feddi. Il a toujours accepté la critique et il fut l'une des rares personnes du 7e art à me soutenir malgré nos divergences. Cinéphile et faiseur d'images, il a pris sa caméra et capté le Hirak depuis le début." En ce jour funeste, Samir Ardjoum s'inquiète de ce qu'il adviendra des images de Chérif Aggoune. "Ciao l'artiste !", a conclu l'internaute. Autre témoignage, celui du cinéaste Saïd Mahdaoui : "Cherif Aggoune était ce pourfendeur de l'ordre établi et était de tous les débats, notamment à la sortie d'une séance de cinéma." Pour notre part, nous l'avons connu souriant et d'une humilité à fleur de pellicule. Si tant que l'éloquence de Cherif Aggoune se mesurait aux chauds débats de fin de film lors de la treizième édition du Festival national culturel du film amazigh (FCNAFA) dédiée à son confrère Abderrahmane Bouguermouh (1936-2013), qui s'était tenu du 23 au 28 mars 2013 à la maison de la culture Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou. Pour le souvenir, Cherif Aggoune est né en 1951 et avait suivi un cursus à l'université d'Alger option physique. Par la suite, le défunt s'était rendu en France pour une maîtrise avant d'opter en 1978 pour l'Ecole supérieure des études cinématographiques à Paris. Il réintègre néanmoins le bercail Algérie en 1981 en qualité de premier assistant réalisateur à la télévision où "il ne se préoccupait que de l'éclosion et de l'ascension de jeunes talents dans le 7e art auxquels le défunt tendait la main", a conclu son confrère Rachid Benallal. Repose en paix l'artiste.