De notre envoyé spécial à Tamanrasset Abderrahmane Semmar Tamanrasset, ces quatre syllabes évoquent désormais la fête, la transe, la folle ambiance et la joie de vivre. En vérité, le Festival international des arts de l'Ahaggar, dans sa première édition, a posé dès la soirée de lundi dernier ses premières marques indélébiles sur Tamanrasset, ville aux mille facettes dont l'atmosphère africaine embaume magiquement ses visiteurs qui ne restent guère indifférents aux charmes de cette cité à la beauté indomptable. Une beauté qui vient d'être aiguisée encore davantage par la grâce des concerts nocturnes organisés sur la place du 1er Novembre. Une place transformée à présent en lieu de pèlerinage pour les jeunes de la ville. Des jeunes si avides de cette fiesta qui, malheureusement, fait défaut à longueur d'année dans leur cité saharienne. Le rêve devient donc réalité et Tamanrasset rompt définitivement avec son étouffoir quotidien. Le Festival international des arts de l'Ahaggar a sonné le glas de cette époque sinistre. Et pour commencer, c'est toute une invitation au bonheur, non ce n'est nullement une exagération, que le concert de la diva du Mali, Oumou Sangaré, a déposée au pied de la jeunesse de Tamanrasset lundi soir. Véritable voyage au bout du ravissement, le concert de la jelimuso, équivalent féminin du griot (jeli), malienne a mis tout bonnement le feu dans le cœur d'un public chaleureux composé qui plus est de nombreux subsahariens, Bambara, Haoussa, etc., lesquels n'auraient jamais cru que les musiques de leur pays s'inviteraient, et jamais clandestinement, avec les honneurs à Tamanrasset. Ce lundi soir restera donc éternellement gravé dans l'esprit des habitants de Tamanrasset. Et comment pourraient-ils oublier la beauté sublime d'Oumou, véritable bête de scène, sa voix qui donne la chair de poule, sa danseuse sensuelle qui exécutait des mouvements et des acrobaties à couper le souffle, ses musiciens de talent qui ont enflammé une Tamanrasset longtemps plongée dans la torpeur ? Il a suffi à Oumou de chanter Seya (joie, en wassoulou), titre de son dernier album, pour que les esprits s'enivrent et que les corps chavirent dans la passion. Les rythmes traditionnels de la musique wassoulou irrigués de funk, la voix d'Oumou Sangaré toujours aussi majestueuse ont transporté le public de Tam dans un au-delà fait d'émerveillement. Et pourtant, comme à son habitude, Oumou Sangaré abordait dans son concert des thèmes sensibles comme les méfaits de la polygamie, l'amour, l'altruisme, le combat des femmes ou les mariages arrangés des adolescentes. Mais à aucun moment le public n'a ressenti la tristesse de ces thèmes tant le sourire splendide d'Oumou et son regard perçant fascinaient un public qui s'avouait vaincu par la féminité scintillante de la diva peule du wassoulou. Ce même public s'est montré également sensible à la douleur de l'émigration chantée par Oumou dans Sukunyali, dont le beau rythme soninke va droit au cœur. Juste après, c'est l'indifférence des nantis qui est joliment dénoncée par Oumou avec Kounadya… chanson tendre avec des vocalises aériennes. Au fur à mesure que le temps passe, le concert d'Oumou Sangaré invite davantage à la rêverie qu'à la danse. Sousoumba, Djigui et Mogo Kele, ces trois titres électrisés, finiront par faire basculer totalement la scène de Tamanrasset dans le délire et la liesse. «L'Afrique est pauvre, mais très riche en même temps. Non, vous n'êtes pas pauvres, vous êtes riches car vous savez comment devenir heureux. Chantons, dansons, montrons au monde entier comment nous pouvons être heureux. Travaillez dur pour arracher ce que vous voulez dans la vie car vous êtes riches, mais vous ne le savez pas», lançait à son public la diva Sangaré tout en scandant Yallah l'Afrique. Des appels auxquels le public répondra par des cris provenant de leurs tripes. Assurément, des générations entières se souviendront du passage d'Oumou Sangaré à Tamanrasset. Cependant, le public n'est pas resté sur sa faim après son éclipse. Et pour cause, le jeune groupe Lambi Lanfa (le soleil se lève, mais se couche en gourmantché), a su magnifiquement reprendre le flambeau à la fin de la soirée juste après le passage tonitruant sur la scène d'Abdellah Mesbahi, le grand chanteur et poète targui de Djanet. Ce jeune groupe nigérien créé en 1988 n'a fait que verser davantage dans l'ivresse le public nombreux qui affluait de partout vers la place du 1er Novembre. Ce groupe dont la musique est jouée selon la conception du temps qu'ont les Gourmantchés, c'est-à-dire, associer le chaud et le froid pour trouver le temps qui convient à toute créature, a inondé la place de sensations fortes. Les huit musiciens accompagnés de trois jeunes choristes-danseuses qui forment Lambi Lanfa ont fait réellement fort ce lundi. Leur orchestration qui est basée sur des instruments traditionnels issus des airs haoussa (violon, kalangou), peulh (flûte), zarma (kountigui), calebasse (gourmantché) et guitare, n'a pas manqué de susciter l'admiration du public. De plus, la mélodie qui s'inspire des rituels traditionnels des groupes ethnolinguistiques du Niger est ponctuée sans cesse par les mouvements de hanche endiablés de deux danseuses et d'un danseur dont seuls les Gourmantchés ont le secret. Associant enfin tradition et modernisme, diversité culturelle et talent personnel, Lambi Lanfa a démontré devant un public acquis à leur cause qu'on peut trouver un style musical fusionnant traditions ancestrales et exigences d'un contexte mondialisant. Grâce à Lambi Lanfa, le spirituel et l'ambiance se sont mariés à merveille à Tamanrasset. A. S. Oumou Sangaré : «Les pays africains doivent s'inspirer de l'Algérie» Oumou Sangaré n'a pas tari d'éloges sur cette première édition du Festival international des arts de l'Ahaggar. Rencontrée à la fin de son concert dans sa loge, elle nous a confié ceci : «J'ai des concerts dans le monde entier et je peux vous dire que l'organisation de ce festival est magnifique. Pour moi, c'est toujours important de se produire en Afrique. Cette fois-ci j'ai découvert qu'on peut organiser un festival comme partout dans le monde. C'est important de le savoir. Les autres pays africains doivent s'inspirer de ce qui se passe ici en Algérie. Je n'oublierai jamais Tamanrasset et son public chaleureux. De plus, il y avait beaucoup de Maliens présents ce soir. Croyez-moi, je suis émue et profondément touchée par l'ambiance de ce festival. Je reviendrai avec plaisir en Algérie.»