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La rébellion contre l'oubli
T'Kout, localité perdue au fond des Aurès
Publié dans El Watan le 28 - 05 - 2006

Notre véhicule franchit le tunnel de Taghit sous le regard envieux des chauffeurs de microbus qui, eux, n'y arrivent pas, bloqués à cause du sérieux affaissement qu'a subi la route après les inondations du 3 mai dernier. Toute la RN31 est dégradée d'ailleurs, mais le spectacle est beaucoup plus désolant en bas, sur la berge de l'oued.
Le filet de palmiers et de menus jardins entretenus sur des centaines de mètres a été dévasté par la furie d'Oued Labiod, emportant tous les espoirs des pauvres paysans. A droite de la route, des ouvriers s'activent pour donner les dernières retouches à une belle et imposante stèle commémorative qui a dû coûter très cher. C'est ici même que fut exécuté le premier attentat du 1er Novembre révolutionnaire. Nous sommes au cœur des Aurès et non pas à Taghit, l'oasis enchanteresse du grand erg occidental. Plus exactement à environ 70 km au sud de Batna, à l'orée des territoires de T'kout, l'avant-dernière commune de la wilaya avant de passer à Biskra. Nous entrons dans la ville martyrisée deux années plus tôt par des événements douloureux après l'assassinat d'un adolescent par des éléments de la garde communale. Soulèvement, répression, et longues nuits de pleurs pour les mères des émeutiers emprisonnés et de leurs animateurs en cavale. Le printemps sourit à T'kout qui venait de sortir de l'anonymat par la grande porte : celle de la revendication et du combat pour la dignité. Le Mouvement citoyen des Aurès (MCA) a tenu d'ailleurs à célébrer cet anniversaire. On croyait la flamme éteinte et le mouvement essoufflé comme son inspirateur de la Kabylie. Les descendants de Messaoud Benzelmat I et II, de la Kahina et de Mustapha Benboulaid ont-ils franchi le pas de la réconciliation pour manger dans la marmite du développement ? Qu'est-elle devenue cette ville après le retour au sommeil de son volcan ?
Les vaches sont toujours maigres
Mardi 11h. L'avenue principale de la ville est presque déserte. Au siège de la mairie, on nous répond que le président de l'APC est absent. Nous avons du mal à convaincre le secrétaire général et un maire adjoint de nous accorder une entrevue. Nous l'obtenons enfin, mais sous condition : garder sous silence la question des archs et tout ce qui touche à la politique. L'assemblée est pourtant composée de partisans politiques à majorité RND. Les stigmates des émeutes de mai 2004 ne se sont pas estompés a priori et les langues ont du mal à se délier. La commune est en état d'alerte pour faire face aux préjudices causés par les inondations. Il y a quelques jours, la ville de T'kout, située presque dans un cul-de-sac, a été coupée du monde après l'obstruction du pont, vieux d'une année et demie à peine, la reliant à la commune de Ghassira et au reste du pays. Il est vrai que la nature a été dure et le bilan des intempéries particulièrement lourd. Soixante-sept hectares de plantations dévastés, 1500 palmiers coulés, 258 fellahs ruinés et leurs puits et forages, retenues traditionnelles et seguias ensevelis et des milliards partis en fumée. Ces pauvres paysans fixés encore dans la région par une agriculture de subsistance ont tout perdu et ne possèdent plus rien, si ce n'est un léger espoir d'être dédommagés par l'Etat. Les agglomérations dépendantes de la commune sont aussi touchées. A Tighanimine, la ligne électrique de moyenne tension a été coupée. Vingt-cinq poteaux électriques ont été emportés par les eaux ; ainsi 20 familles se sont retrouvées dans le noir durant plusieurs jours. Toute la région a souffert des coupures et il a fallu raccorder la commune à partir de Biskra. L'eau aussi a manqué à Taghit, où il a fallu alimenter des dizaines de familles par citernes, or la mairie n'en possède que trois. Le sinistre est grave, mais la population semble livrée à elle-même et aux soins fragiles des services communaux, en l'absence d'une aide conséquente de la wilaya et loin des regards des médias, y compris la presse écrite. ` Le déplacement en urgence du ministre des Travaux publics, accompagné du wali, s'est limité au constat fait sur l'état des routes. Des routes au bitume datant de plusieurs décennies , lesquelles aujourd'hui font l'objet de travaux importants de réhabilitation qui devraient redynamiser ce deuxième axe reliant Batna à Biskra et permettre l'essor de la région. C'est le cas aussi pour le CW T'kout-Ghassira, dont le chantier démarrera incessamment alors que son prolongement vers la commune de Kimel (Sidi Ali) aux frontières avec Khenchela est en chantier depuis le début du mois de mai. Cet accès qui traverse les montagnes aura pour vocation de désenclaver T'kout et provoquer, espère-t-on, une embellie économique grâce aux potentialités agricoles de la commune voisine. La procédure est en cours, nous dit-on, pour couvrir en gaz naturel le chef-lieu de la commune, 44 ans après l'indépendance. Les autres localités attendront encore pour se réchauffer au gaz de ville, et attendront aussi leur part de développement malgré quelques efforts déployés, notamment dans le chapitre assainissement et celui du transport assuré grâce à l'apport considérable du privé. Beaucoup reste à faire en matière de santé publique à T'kout. Chef-lieu de daïra, cette localité ne dispose même pas de polyclinique pour assurer les soins aux 12 000 âmes qui y habitent. Quant au service de maternité rural, il ne fonctionne que durant les heures administratives. Au-delà de ces heures, il faut faire appel à l'ambulance de Ghassira pour transférer les femmes.
Aghiles ou le déni d'identité
Les besoins sont immenses dans cette région oubliée, s'accordent à dire aussi bien les élus et les habitants. Besoin d'aménagement des ensembles urbains, besoin de construire davantage de logements pour répondre à une grosse demande, notamment dans le logement rural. Besoin d'implantation d'administrations publiques pour qu'elles soient proches de la population et lui épargner le déplacement pour le moindre document à Arris et aussi besoin de bus pour le transport scolaire afin de permettre aux enfants de rallier leurs établissements avec moins de peine. Djamel Ould Abbas, venu en visite, lui aussi, suite aux inondations, a promis de remédier vite à ce problème et offrir un bus pour les enfants. Mais l'idée fait sourire des jeunes de la ville qui se remémorent le détournement d'un fourgon Solidarité au profit d'abord des gardes communaux et ensuite à celui des gendarmes qui pourchassaient les délégués du mouvement citoyen durant les événements de mai 2004. Ces jeunes désœuvrés qui peuplent les quelques cafés de la ville à longueur de journée sont devenus stoïques à force d'avaler les promesses non tenues des responsables venus du Nord. Samedi 13 mai, une manifestation est organisée pour la célébration du deuxième anniversaire de l'assassinat du jeune Chouaïb par des éléments de la garde communale et les émeutes qui s'étaient alors déclenchées conséquemment. Les festivités sont austères. Une exposition de photos des martyrs du printemps noir, dans le secteur des archs, placardage de posters de Mohamed Benchicou, distribution de tracts et un discours prononcé par l'animateur local du mouvement, Selim Yezza. Les traits berbères, barbe hirsute, coiffé d'un béret à la Che Guevara, Selim le rebelle est devenu la bête noire de l'APC. Une épine impossible à retirer pour venir à bout de la désobéissance et normaliser la région. Grâce à de jeunes animateurs comme Selim, et ils sont nombreux, la revendication sociale, politique et identitaire, s'est cristallisée dans ce trou perdu du pays chaoui avant de fusionner avec le Mouvement citoyen des archs et épouser la plateforme d'El Kseur. « Celui qui a déclenché ce mouvement est âgé aujourd'hui de six ans », raconte Selim. « Quand ses parents ont décidé de lui donner à sa naissance le prénom Aghiles, comme celui d'un ancien prince berbère, l'administration a refusé et leur a offert de choisir dans une liste restreinte de prénoms arabes », poursuit-il. En effet, le déni d'identité sévit depuis longtemps dans cet arrière-pays livré au conservatisme le plus rétrograde. « Nos femmes obligées d'accoucher pendant la nuit sont évacuées ou bien vers Biskra ou alors vers Arris ou Batna, et là, les services de l'état civil sont souvent instruits pour l'arabisation obligatoire des noms et nous refusent les prénoms de nos ancêtres », explique Madani. L'incident d'Aghiles avait été la goutte qui a fait déborder le vase chez une population très attachée à son origine berbère. La bataille, une fois remportée, aura permis la réorganisation du mouvement associatif qui deviendra petit à petit le porte-voix de la population jusqu'à l'explosion du 13 mai 2004. La répression du pouvoir a été très dure pour les jeunes, mais sans pour autant réussir à couper les ailes à l'organisation. Les 36 émeutiers jugés et emprisonnés sont aujourd'hui libres et plus que jamais attachés à leur cause. Mais combien en reste-il vraiment ? Le chômage n'est-il pas en train de vider les rangs de ce mouvement en poussant sa composante à s'exiler sous d'autres cieux ? Les diplômés universitaires comme les moins instruits, devenus pour la plupart tailleurs de pierres, sont en tous cas partis dans d'autres villes où ils ont la chance de trouver du travail et nourrir leurs familles. Une situation intenable pour les autres, enfin pour toute la population supportant mal la charge de la misère et le statu quo qui la prive de la moindre amélioration palpable qu'elle ne manque pas de constater un peu partout en Algérie pourtant. Les potentialités touristiques de la région demeurent en friche (les balcons du Ghoufi se trouvent à quelques kilomètres) et les décideurs ne montrent aucun intérêt pour les exploiter et faire bénéficier les populations locales. Même l'enveloppe faramineuse consacrée au développement du Sud ne leur profite pas et ce ne sont pas les deux ou trois projets encore vagues que prévoit de lancer l'investisseur Chaabani Louardi, originaire de T'kout, qui font entrevoir une lueur d'espoir. Les gens de T'kout en veulent plus que jamais à leurs élus. Pour eux, leur bled souffre toujours de sa marginalisation si l'on oublie de compter l'installation de deux opérateurs téléphoniques et l'ouverture de quelques cybercafés. Le fossé s'est davantage creusé après la dernière distribution de logements sociaux qui n'a pas plu à tout le monde. « Plusieurs bénéficiaires ne méritaient pas et ont revendu leurs logements neufs sitôt après avoir eu les clés », témoigne ammi Lakhdar, rencontré sur la modeste terrasse d'un café de l'avenue principale. Pour lui, le petit carré de moudjahidine, encore vivants, domine toujours la gestion de la commune et commande à sa destinée au nom de la légitimité historique. « Ils ont fait beaucoup de mal et ne veulent pas lâcher », assène-t-il. Son voisin de table enchaîne en évoquant un projet pour la réhabilitation des terres agricoles, contre la coquette somme de 18 milliards et qui est demeuré mystérieusement à l'arrêt depuis 2001 après être tombé entre les mains de ces notables. Le pouvoir croit avoir fermé la parenthèse de T'kout en la confiant à l'oubli qui, lui, travaille inversement pour relancer la colère. La mère de Yezza a, certes, retrouvé le sourire après la libération de son mari et de ses fils, mais il est à craindre que les mêmes ingrédients qui ont fait bouillir le chaudron de la contestation, il y a tout juste deux années, se soient réunis de nouveau. Avec en sus, ce sentiment que ressentent les habitants d'avoir été exclus des politiques de relances économiques, peut-être même par vengeance.


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