Le porte-parole du Club des magistrats algériens explique que le code de procédure pénale algérien laisse "le parquetier libre dans son réquisitoire". Le procureur adjoint du tribunal de Sidi M'hamed, Ahmed Belhadi, a été convoqué, hier après-midi, par l'inspection générale du ministère de la Justice, a confirmé le porte-parole du Club des magistrats algériens, Merzougui Saâd Eddine. Le représentant du ministère public s'était distingué la veille par un réquisitoire inattendu en faveur des activistes du hirak et l'indépendance de la justice, demandant la relaxe pour 16 manifestants et l'application de la loi pour trois autres prévenus, dont un militant du Raj. Le passage de son réquisitoire qui a le plus dérangé, croit-on savoir, est celui dans lequel il évoquait l'indépendance de la justice : "Les Algériens marchent résolument pour une nouvelle Algérie où la justice sera indépendante. Le peuple ne veut pas subir une justice aux ordres. Et en tant que représentant du ministère public, je demande l'application de la loi au profit de ces personnes. Le parquet demande la relaxe." Faut-il s'étonner qu'il soit convoqué au ministère de la Justice, après ces propos ? "La convocation de ce procureur était prévisible, on connaît les méthodes du ministère de la Justice qui sont les mêmes, que ce soit du temps de Louh, de Charfi ou maintenant avec Zeghmati", confie Saâd Eddine Merzougui, qui rappelle l'épisode du sit-in de protestation organisé par le Club des magistrats, le 21 mars dernier, pour dénoncer les pressions exercées sur les magistrats et, particulièrement, s'élever contre la suspension du président de la chambre correctionnelle du tribunal de Sidi M'hamed, Meslem Abdelkader. Cette dernière avait été suspendue de ses fonctions après avoir refusé d'exécuter "des instructions" visant à "faire condamner" des manifestants interpellés lors de la marche du 15 mars 2019 à Alger. C'est lors de ce rassemblement qu'il a été annoncé la création du Club des magistrats algériens en gestation depuis 2016, mais dont la concrétisation a été empêchée par la tutelle. Selon Saâd Eddine Merzougui, le procureur adjoint du tribunal de Sidi M'hamed risque "immédiatement la suspension, voire la radiation, lors de la prochaine session disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature". Le jeune magistrat qui a fait preuve de beaucoup de courage, en s'exposant ainsi à la sanction, cumule 4 ans d'exercice, dont deux comme procureur adjoint au tribunal de Sidi M'hamed, croit savoir le porte-parole du Club des magistrats algériens. Notre interlocuteur explique que le code de procédure pénale algérien laisse "le parquetier libre dans son réquisitoire". Dans d'autres pays, des exemples sont légion où le représentant du ministère public a plaidé en faveur d'un prévenu. "Dans l'affaire Chirac, le procureur de la République avait requis son acquittement", cite Saâd Eddine Merzougui. Le magistrat précise, toutefois, qu'au cas où le procureur demanderait l'application de la loi, "cela ne veut pas dire l'acquittement, comme pensent la plupart du temps les avocats, mais signifie qu'il laisse la sentence à l'appréciation du magistrat en charge de l'audience". La convocation du procureur adjoint du tribunal de Sidi M'hamed a également scandalisé la corporation des avocats. Pour Me Adelghani Badi, ces agissements "remettent en cause le principe de l'indépendance de la justice et participent d'une volonté de dissuader et de terroriser les magistrats qui veulent être du côté du peuple. Cela annonce, en outre, d'autres arrestations et poursuites d'activistes du hirak. Le ministère de la Justice représente le pouvoir exécutif et, de ce fait, ne doit pas se mêler du travail des magistrats dont l'indépendance est garantie par la Constitution. On ne peut pas interroger un procureur de la Rrépublique sur son réquisitoire ou un avocat sur sa plaidoirie. Le procureur assure la protection du droit général ; il est du côté du citoyen et de la société". Il ajoute que cette convocation constitue "un virage dangereux et en même temps dénude le discours officiel qui parle de l'indépendance de la justice". De son côté, Me Yamina Alili pense que le procureur interpellé par la tutelle "a fait preuve de beaucoup de courage dans son réquisitoire, mais à savoir le sort qui lui sera réservé".