À la place du réquisitoire que le ministère public du tribunal de Sidi M'hamed d'Alger avait l'habitude de faire lors des procès des hirakistes, celui d'hier a plutôt plaidé pour l'indépendance de la justice. Inattendu réquisitoire du procureur de la République du tribunal de Sidi M'hamed en faveur de plusieurs activistes du hirak dont les deux militants du RAJ, Kamel Nemmiche et Amokrane Laouchedi. Le verdict sera rendu le 23 du mois en cours. La première affaire concerne 16 manifestants arrêtés entre septembre 2019 et janvier dernier, précise l'avocat Abdelghani Badi. Le représentant du ministère public a surpris l'assistance par un véritable plaidoyer pour l'indépendance de la justice et le changement. Il commence par soutenir qu'il allait prendre ses responsabilités et ne se prononcer qu'en vertu du principe de l'indépendance de la justice et l'application stricte de la loi. Puis il reprend son réquisitoire en ces termes : "J'allais appliquer la loi, mais en entendant ces jeunes qui sont en train de donner une leçon de courage en défendant l'indépendance de la justice et l'intérêt de la nation, en tant que procureur représentant de la société, je défends le peuple, je défends ces jeunes et je demande leur relaxe." Ces propos ont tellement surpris, qu'un silence a pesé pendant quelques instants sur la salle, suivi par des applaudissements et des cris : "Etat civil et non militaire, Algérie libre et démocratique." "Nous étions très émus à l'écoute de l'intervention du procureur de la République et contents d'avoir vécu un tel moment", déclare Me Aouicha Bakhti à la fin de l'audience. Elle poursuit : "Le procureur a fait une belle intervention, empreinte d'émotion. On ne s'attendait pas à cela en réalité, même si le dossier est vide. Car, il y a eu par le passé des détenus qui ont été condamnés à deux ans, voire à trois ans, sur aucune base. Alors bravo à ce jeune procureur et j'espère qu'il sera un exemple à suivre." Réaction aussi à la hauteur de l'événement des prévenus qui ont cherché immédiatement à connaître le nom du procureur de la République, pour lui manifester leur solidarité, au cas où il serait sanctionné pour s'être ouvertement positionné en faveur du hirak en plein procès public. Ont comparu par la suite devant ce même tribunal, Kamel Nemmiche, poursuivi sur la base de l'article 79 du code pénal pour atteinte à l'unité nationale, ainsi qu'Amokrane Laouchedi et Lamoudi Lamouri, pour port de l'emblème amazigh. Le représentant du ministère public a requis l'application de la loi. La défense des prévenus s'attend également à un acquittement. Tout en saluant le "courage du procureur de la République", Me Badi relève que ces "prévenus ont quand même passé une longue période en prison. Certains d'entre eux n'ont été mis en liberté provisoire que le 2 janvier dernier, ce qui n'est pas juste et logique". Quant au vice-président de la Ligue algérienne des droits de l'Homme, Saïd Salhi, il pense que "le tribunal de Sidi M'hamed tente de se libérer d'une réputation qui a fait de lui un tribunal d'exception". Aux abords de l'enceinte judiciaire, un rassemblement a été improvisé par les familles des prévenus, par des militants du RAJ et par quelques membres de SOS disparus qui ont scandé : "Ramenez-nous Zeghmati à El-Harrach."