Liberté : Quel bilan peut-on dresser de la politique énergétique, 49 ans après la nationalisation des hydrocarbures ? Ali Kefaïfi : Les nationalisations avaient pour objectifs de se réapproprier la rente pétrolière et les gisements sahariens (SN Repal Hassi Messaoud, Hassi R'mel, etc), d'éliminer les conséquences négatives des accords d'Evian pour les aspects hydrocarbures (développement des ressources humaines, Sonatrach opérateur pétrolier et non sleeping partner...). Initialement, le pétrole (énergie) et le gaz naturel (énergie et matière première) devaient servir au développement économique et au financement du développement industriel (sidérurgie, industries mécaniques, cimenteries, chimie, pétrochimie, etc.). Quarante-neuf ans après, le bilan fait apparaître trois périodes distinctes. D'abord, les années 70 avec un taux d'investissement très élevé, une planification volontariste et un développement des ressources humaines. À titre d'exemple, vers 1979, le secteur de l'énergie avait identifié 39 complexes pétrochimiques à lancer à la suite du démarrage du complexe pétrochimique de Skikda. Puis, les décennies 80 et 90 qui commencèrent par un démantèlement du tissu industriel, accentué par l'effondrement en 1986 des prix du pétrole qui passèrent de 40 dollars le baril en 1980 à 10 dollars le baril en 1999. Cependant, sur le plan pétrolier, les découvertes pétrolières permettaient de compenser la production et de maintenir constant le niveau des réserves. Enfin, les deux dernières décennies 2000-2019 ont été marquées par l'absence de planification, de stratégie, et par la mauvaise gestion des gisements pétroliers et gaziers, l'absence de découvertes substantielles hors réévaluation de gisements existants. La non-gestion du modèle pétrolier (produits pétroliers) a conduit à la grave situation où l'Algérie n'aura plus de pétrole à exporter avant 2025. L'Algérie, à l'instar des Etats rentiers, vivait au gré des fluctuations des prix du pétrole et voyait sa production pétrolière décliner à partir de 2007. Pourtant, il suffisait de mettre en œuvre des techniques de récupération tertiaire (microbio, produits chimiques, injection de gaz carbonique, etc.) pour doubler le taux de récupération finale (ratio réserves ultimes sur ressources) et tripler la production actuelle. L'Etat maintient ouvert le robinet de pétrole, encaisse la rente et la distribue. La rente du pétrole n'est pas réinvestie de façon productive dans le pays. Aussi, la diversification de l'économie reste un objectif lointain. Qu'en pensez-vous ? Avant 2030, la rente pétrolière aura disparu non pas par manque de pétrole, mais par l'incompétence et l'imprévoyance de l'Etat rentier durant les deux dernières décennies (2000-2019). Le développement économique du pays nécessitait une volonté politique, une stratégie de diversification, une planification, une coordination intersectorielle, une exploitation des avantages comparatifs (ressources humaines, gaz naturel, produits miniers, solaire, intelligence artificielle, partenariat, etc.). Tout cela a été ignoré et a laissé place à la destruction des tissus industriels et à la prédation (complexes engrais coûtant trois fois plus...). À votre avis, comment faut-il procéder pour se défaire de la dépendance aux hydrocarbures ? Il faudra agir en distinguant le court-moyen terme et le long terme. Pour le court terme, mettre en place les structures appropriées (planification, coordination) et mettre en œuvre la récupération tertiaire à Hassi Messaoud et à Rhourde El-Baghel. Cela permettra de disposer rapidement d'une production de pétrole "libéré" et de rendre disponibles plusieurs dizaines de milliards de m3 de gaz qui sont réinjectés. Pour disposer d'un modèle énergétique efficace, il faudrait engager un programme de GNV et GNL pour le transport (véhicules, camions, bus, locomotives, navires, etc) en attendant l'énergie électrique d'origine solaire et le vecteur hydrogène. Comme cela avait été étudié dans le cadre de la stratégie de diversification (2016-2017), l'Algérie dispose de tous les atouts dans le cadre de la pétrochimie, la chaîne de valeur minière, l'industrie automobile du futur, la transition énergétique, sans oublier l'agriculture, le tourisme.