Ali Kefaïfi, spécialiste des questions énergétiques, souligne, dans cet entretien, que pour le seul gisement de Hassi Messaoud, les réserves initiales en place étaient de 41 milliards de barils mais le taux d'extraction est resté très faible (près de 15%) car Sonatrach est restée bridée dans la récupération secondaire. Liberté : Quel bilan peut-on dresser de la politique énergétique, 48 ans après la nationalisation des hydrocarbures ? Ali Kefaïfi : Examinons cela à travers les différents secteurs. L'histoire pétrolière algérienne sera marquée par deux périodes totalement différenciées : avant 1999 et après 2000. En effet, avant 2000, grâce aux découvertes pétrolières (Total-CFP en 1956, Sinclair en 1962, Anadarko-Total en 1991), l'Algérie a pu maintenir à 100% le ratio de découvertes par rapport aux consommations. Ce qui n'est plus le cas depuis 2000, qui a vu ce ratio passer à près de 10%, résultat insignifiant, d'où la fin probable des exportations pétrolières vers 2022-2024 et la dernière goutte de pétrole avant 2035. Outre l'absence de découvertes, le secteur pétrolier a pâti de graves insuffisances : amateurisme dans la gestion des réservoirs pétroliers, non-maîtrise du modèle de consommation énergétique nationale, destruction des capacités pétrochimiques de Skikda puis arrêt du développement de la pétrochimie, et la vente de gaz naturel érigée en stratégie ultime quoique faiblement rémunérée. Quelques chiffres suffisent à mesurer l'ampleur de ces insuffisances caractéristiques du système en dépit de l'existence de ressources humaines et de compétences sur le plan individuel. En 2018, la production de pétrole brut va passer en dessous du million de barils/jour, sous l'effet d'une baisse annuelle (déplétion naturelle des gisements) de l'ordre de 5%, observée depuis le pic pétrolier de 2012. Compte tenu du niveau et du rythme de la consommation domestique en produits pétroliers (0,4 million de barils/jour et un taux annuel moyen de +7%), il n'y aura plus d'exportations pétrolières dans moins de 5 ans (simple calcul d'évolution annuelle à la puissance 5). À ce titre, les dernières déclarations ministérielles sur l'hypothétique exportation de produits pétroliers après 2022 sont totalement erronées comme pourrait le démontrer n'importe quel étudiant sur la base d'un "bilan matière". Par ailleurs, même à destination de l'Afrique, l'Algérie ne pourra pas exporter les essences (plomb tétraéthyle) ni les fuel-oil (nouveaux standards post 2020 pour les carburants maritimes). Pourquoi ces déclarations intempestives ? Après moi le déluge ? Pour le seul gisement de Hassi Messaoud, les réserves initiales en place étaient de 41 milliards de barils mais le taux d'extraction est resté très faible (près de 15%), car, Sonatrach est restée bridée dans la récupération secondaire (injection d'eau et de gaz dans le gisement) au lieu de passer à la récupération tertiaire (procédé au gaz carbonique ou chimique ou microbiologique ou, demain, Internet to object). L'avantage de la récupération tertiaire est qu'elle évite la réinjection de gaz (l'Algérie perd chaque année 90 milliards de mètres cubes de gaz réinjectés contre 9 pour le Koweït), et permet d'augmenter la production pétrolière, soit 600 000 à 1 million de barils/jour au lieu de 400 000 actuels pour Hassi Messaoud, et surtout d'augmenter le niveau des réserves extractibles, soit la moitié de 41 milliards de barils au lieu de 15% par la récupération secondaire. Ce détail est important, car cela signifie que la tertiaire permettrait de gagner 14 milliards de barils de réserves supplémentaires, ce qui est considérable par rapport aux réserves du pays en 2017, soit 12,2 milliards annoncés administrativement, mais en réalité seulement 6 à 7 milliards de barils. Sur ce plan, un responsable de Sonatrach a récemment dit que la production resterait élevée se référant aux réserves et pratiques actuelles. Erreur, parce que l'évolution de la production est corrélée au ratio variation annuelle de la production/production cumulée, ce qui explique la fin du pétrole vers 2030-2035. La rente pétrolière n'aura pas servi le développement économique du pays… La preuve de cette assertion réside dans le fait que l'Etat rentier est condamné à l'utilisation de la planche à billets comme seule option. Les exemples sont innombrables, mais la plus grande erreur de l'Etat rentier a été d'oublier que l'Algérie est et restera un grand pays gazier. Sur le plan du gaz naturel, l'Algérie maximise les exportations, malgré des coûts de liquéfaction et de transport rédhibitoires (4 à 5 fois le coût de production moyen en tête de puits) justifiant la transformation industrielle (pétrochimie, engrais, plasturgie, textile, etc.) et la diversification économique. L'Etat rentier est à l'origine de ces graves insuffisances en matière de politique énergétique, caractérisée par l'absence du conseil de l'énergie, de vision, de planification, de calcul économique, de contrôle, etc. À titre d'exemple, un véritable conseil de l'énergie aurait empêché la configuration de projets actuellement négociés : le projet algéro-turc d'hydrogénation du propane (absence de rentabilité compensée par le faible coût de cession du propane), le projet d'engrais phosphatés faussement justifié par 2 milliards dollars d'exportation ce qui est faux, car on n'y comptabilise pas les importations de soufre. De même, pourquoi avoir refusé un projet complet et rentable de propylène-polypropylène à l'entreprise Cevital ? Basé à Arzew, ce projet, utilisant le propane gaz (au lieu du propane liquide transporté jusqu'en Turquie), aurait permis d'économiser 50 à 100 dollars la tonne de propane, 50 millions de dollars, nonobstant les emplois et la contribution au taux d'intégration de l'industrie automobile (parechoc, tableau de bord, etc.). Où est le nationalisme de l'Etat rentier qui a transformé en ruines les produits des nationalisations de 1971 ? S'agissant de Sonatrach, 2030 dira si le projet "Vision 2030" n'était pas en réalité un projet "mirage 2030" sous-titré par "après moi le déluge". En effet, 2030 verra les dernières gouttes de pétrole face au modèle solaire et les véhicules électriques. L'actuelle législation pétrolière est en train d'être modifiée de manière à être plus attractive. Concrètement, qu'est-ce qui devrait, selon vous, changer ? L'échec des précédents appels d'offres d'Alnaft montre que le principal problème ne se situe pas dans la législation, qui peut être rapidement actualisée en fonction de la concurrence (Sénégal, Libye, etc.) Mais, de l'attractivité insuffisante des prospects pétroliers proposés. À titre d'exemple : proposer des périmètres offshore constitue une grave erreur. Outre les coûts (200 millions de dollars par puits comparés à 10 millions de dollars on-shore) et la non-rentabilité relative, ces projets sont à rejeter face à des prospects fascinants on-shore (Nord-Sétif, Sud-Ouest). Alors pourquoi les 2 entreprises multinationales sont-elles intéressées par l'offshore ? Pardi, le financement par le crédit d'impôt sur la production des gisements sahariens, crédit d'impôt introduit par la loi pétrolière de 2005.
Au chapitre gazier, estimez-vous que les contrats à long terme font partie du passé ? La part des contrats à long terme de gaz naturel et/ou gaz naturel liquéfié se réduit fortement pour des raisons strictement économiques. Il y a deux grands types de contrats gaziers : les contrats à long terme, en général liés au prix du pétrole, et les contrats récents fondés sur le seul prix du gaz. De 2010 à 2016, la part des contrats indexés à long terme est passée de 60% à 30%, et celle des contrats fondés sur le seul prix du gaz est passée de 40 à 70%. Par ailleurs, en juillet 2017, l'Union européenne et le Japon ont signé un accord pour exiger liquidité, flexibilité et allégement de la clause de destination. Le marché du GNL, quant à lui, qui en 2017 a atteint 60 millions de tonnes (environ 90 milliards de m3) en échanges spot et 20 millions de tonnes (30 milliards de m3) en contrats à court terme, est devenu très liquide et fragilise les contrats à long terme ainsi que les pays gaziers non compétitifs, voire non rentables. Pour illustration, les seuils de rentabilité pour le Qatar, le Nigeria, l'Angola sont respectivement de 2,6 dollars/MM BTU, 3,5 dollars/MM BTU et 3,9 dollars/MM BTU. Quelle stratégie adopter pour faire en sorte que les activités de Sonatrach à l'international se développent ? Avant toute stratégie, il faut faire le bilan des activités existantes à l'international, puis élaborer une stratégie Swot (déterminer les options offertes dans un domaine d'activité stratégique). Les résultats des différents projets sont nuls, voire négatifs, y compris les pseudodécouvertes en Libye ou au Niger qui ne sont, en fait, que les extensions géologiques de gisements algériens connus. Cependant, une analyse pourrait justifier les axes suivants (plan B pour la future Algérie) : réduire le domaine de Sonatrach au territoire national, se concentrer sur Hassi Messaoud, valoriser le gaz, séparer Sonatrach-gaz et Sonatrach-pétrole, individualiser Hassi Messaoud, ouvrir le territoire au secteur privé national, introduire en Bourse les sociétés de services pétroliers, rupture et optimisation du modèle énergétique (GNV, GNLc, électricité solaire et au gaz), valorisation des minerais issus des roches-mères en quasi-surface, recruter les compétences étrangères de besoin…