Cette opération entamée depuis quelques semaines vise à identifier les bénéficiaires de l'aide publique, dans le cadre du budget spécifique qui sera dégagé et des missions ponctuelles de solidarité du ministère de tutelle. “Nous avons pris beaucoup de retard dans la prise en charge des publics concernés car il n'y avait pas encore de décision politique. Toute action a besoin de textes”, explique le docteur Abdellah Bouchenak. Pour être dans les délais, son département est engagé dans une véritable course contre la montre depuis quelques semaines. Avant même l'annonce par le chef de l'Etat le 14 août dernier, du référendum sur la charte pour la paix et la réconciliation nationale, le ministère de la Solidarité nationale et de l'Emploi a amorcé l'application d'un programme graduel à triple vocation : sensibiliser, recenser et répondre aux besoins des trois catégories ciblées par l'assistance morale et matérielle de l'Etat conformément aux clauses contenues dans le projet présidentiel. “À compter de cette date, les choses vont changer”, promet le directeur général de la solidarité nationale. Très affairé, il occupe une grande partie de ses journées à recevoir des représentants de familles victimes du terrorisme, de disparus et de… terroristes. En évoquant cette dernière catégorie, M. Bouchenak insiste sur la levée d'un tabou qui consistait à isoler et à ignorer l'existence des parents des éléments des groupes armés. “Auparavant, nous ne voulions pas médiatiser ces rencontres pour éviter les problèmes”, dit-il, faisant écho à l'occasion d'une entrevue du ministre Djamel Ould Abbès avec des familles de terroristes il y a quelque temps à Aïn Defla. Au-delà de l'insertion sociale préconisée par la charte, la suppression des clivages entre les familles des victimes et des coupables est clairement désignée comme l'objectif suprême de l'initiative du Président. “Il faut éviter de créer des entités et de les ghettoïser car cela risque de faire ressurgir les mêmes problèmes à l'avenir”, note le collaborateur de Ould Abbès. À cet effet, le ministère s'est engagé dans une “réconciliation expérimentale” en faisant cohabiter durant l'été des enfants de terroristes, de victimes et de disparus dans un camp de colonies de vacances implanté au Centre national de la formation professionnelle de Birkhadem à Alger. Par ailleurs, la célébration de la Journée internationale de l'enfance le 1er juin dernier a permis à 700 petits colons issus de ces trois catégories et provenant de 12 wilayas du pays durement touchées par le terrorisme de séjourner pendant quatre jours au complexe, le Grand-Bleu de Tipasa. Les observations des psychologues déployés sur le site faisant foi, le Dr Bouchenak assure que les chérubins se sont bien entendus. Il espère obtenir la même sérénité des parents des deux camps qu'il entend convier prochainement dans son bureau. “Il est naturel aujourd'hui que les familles victimes du terrorisme rejettent l'amnistie, mais nous nous attelons à les sensibiliser grâce à une campagne de communication sociale.” Le concept de vulgarisation retenu s'appuie sur une ambivalance dans le discours. D'un côté, les parents des victimes sont confortés dans leur exigence à obtenir un statut spécifique pour leurs morts. De l'autre, ils sont appelés à tendre la main aux proches des bourreaux et tourner la page. Les choses étant ainsi conçues, il est à se demander si l'Etat ne poussera son outrecuidance jusqu'à octroyer la même qualité aux uns et aux autres, les assimilant purement et simplement à des victimes de la tragédie nationale, une notion chère à Abdelaziz Bouteflika. S'abstenant de s'exprimer sur la mouture des lois qui seront édictées après le référendum, et auxquelles le ministère de la Solidarité est associé dans la rédaction, le directeur général s'étale davantage sur les missions spécifiques qui lui sont confiées. Ainsi, outre le travail de sensibilisation, le département de Ould Abbès est chargé de recenser tous les bénéficiaires de l'aide publique, cités par la charte. Ce travail en cours d'exécution échoit aux directions de l'assistance sociale (DAS) en collaboration avec les ministères de la Défense nationale et de l'Intérieur. À son issue, sera exécutée la troisième phase du plan ministériel se rapportant à la prise en charge matérielle et psychologique des recensés, toutes catégories confondues. Selon le Dr Bouchenak, il n'est pas exclu que les centres d'aide psychologique actuellement réservés aux victimes des terroristes soient ouverts pour les familles de ces derniers. Au chapitre matériel, outre le budget qui sera dégagé par l'Etat soit sous forme d'indemnités pour les ayants droit des personnes disparues ou de pensions pour les familles victimes du terrorisme et des terroristes, il est attendu que le ministère s'investisse en insérant les plus démunis dans ses programmes d'assistance-aide au logement et à l'emploi, trousseau scolaire, couffin du ramadan etc. “Nous continuerons à agir tant qu'il y aura des besoins”, note le Dr Bouchenak. Samia Lokmane