Un processus de solidarité, qui se reconduit indiscutablement chaque année à l'occasion du mois sacré, peut aboutir à terme à une véritable stratégie nationale de lutte contre la pauvreté ; et c'est là où l'identification des bénéficiaires actuels du couffin du Ramadhan devient plus que jamais une action soumise à la plus grande rigueur. Au fur et à mesure des années, d'un Ramadhan à un autre, la problématique de la solidarité pendant le mois sacré va vers cette évidence que l'on ne sait plus en fin de compte qui est réellement le bénéficiaire dans ce processus. Plus exactement, entre les sans ressources qui englobent forcément et en premier les SDF, et les familles démunies ou dans le besoin, il semble que s'insère aujourd'hui une masse d'Algériens de plus en plus nombreux qui, eux aussi, considèrent les dépenses du Ramadhan au-dessus de leurs moyens. Autrement dit, il n'est pas facile de croire que les collectivités locales, sur lesquelles reposent les responsabilités de recenser les habitants pauvres, puissent disposer d'assez d'informations fiables pour le faire. Des statistiques récentes indiquent que 20% de la population en Algérie vivent sous le seuil de la pauvreté, mais d'abord, et quelle que soit l'importance de ce chiffre dans ce contexte, il faudrait que l'on sache où commence le seuil de la pauvreté en Algérie. Cette vague habituelle de solidarité durant la période du Ramadhan ressemble donc plus à une opération de secours, quasiment ponctuelle, fortement liée à une conception religieuse de miséricorde, qu'à un mouvement durable qui déterminerait à plus ou moins long terme un encadrement efficient, une prohibition progressive de la misère là où elle se trouve et avec les directement concernés. Elle englobe à l'heure actuelle tous ceux qui, pendant un mois, veulent tirer profit de la solidarité, et ne touche pas toujours que les démunis au sens plein du mot. Le ministre de la Solidarité, M. Djamel Ould-Abbès, a dû d'ailleurs expliquer cette année que le retard pris au déclenchement de l'opération de solidarité pour le Ramadhan a été engendré par le problème d'identification des personnes réellement dans le besoin : pour l'allocation forfaitaire de solidarité (AFS), notamment, où 72 000 bénéficiaires sur une liste de 700 000 se sont avérés ne pas être dans le besoin. Le ministre a également signalé que la même situation s'est produite dans le secteur de l'éducation nationale, des parents d'élèves voulant bénéficier de la prime de 3 000 DA alors qu'ils n'avaient pas droit. Et à l'heure où nous mettons sous presse, le département de Ould- Abbès devrait être en train de procéder encore à l'identification des familles nécessiteuses. Devant ces difficultés de clarification et des objectifs visés et des récipiendaires véritables, qui débouchent parfois sur de malheureuses situations laissant les vrais pauvres sur le carreau, le ministère de la Solidarité avait choisi cette année de délivrer un chèque pour les familles nécessiteuses, avant d'y renoncer pour revenir à la démarche classique du couffin. Le ratio de la pauvreté a reculé L'identification passe aujourd'hui par la présentation d'un document délivré par les autorités locales prouvant que les familles candidates au soutien sont réellement dans le besoin. Mais si le seuil de la pauvreté signifie le besoin réel tel qu'exprimé par le contenu du couffin de la ménagère, ou son voisin le couffin du Ramadhan, alors il apparaît que beaucoup d'Algériens sont concernés. Les salariés payés au SNMG peuvent-ils, en effet, harmoniser leurs dépenses du Ramadhan avec tout le reste des autres chapitres, comme le transport ou la rentrée scolaire par exemple ? L'on sait comment la spéculation sur les produits de première nécessité comme les légumes prend des airs de fête bien avant le Ramadhan. Une bonne partie des commerçants, au grand dam de l'UGCAA (l'Union générale des commerçants) demeure inflexible quant à l'augmentation considérable des prix de certains légumes comme la courgette, la tomate, l'oignon, de même que pour le poulet et les viandes. La dégradation du pouvoir d'achat commence ici, au niveau de l'approvisionnement par le citoyen des denrées alimentaires. La solidarité n'opère plus lorsque la spéculation grossière est érigée en valeur absolue sans aucun contrôle des services de l'Etat sous prétexte de la libéralisation des prix. Le ratio de la pauvreté a reculé, se situant selon des chiffres rendus publics il y a quelques mois, à environ 30% de moins qu'il y a une vingtaine d'années. Il reste pourtant des dizaines de communes pauvres, d'après un rapport du Pnud (Programme des Nations unies pour le développement) sur la pauvreté qui a été élaboré en 2007 avec le ministère de la Solidarité. Un responsable d'une ONG exerçant en Algérie déclarait il y a quelque temps que “nous avons distribué 180 000 sachets de lait dans 22 communes d'extrême pauvreté. Elles ont été choisies pour être représentatives du territoire national. C'est-à-dire que nous avons choisi des communes depuis la wilaya de Relizane jusqu'à Oum El-Bouaghi…” Puis ce responsable d'ajouter : “Nous avons écouté les responsables locaux sur la pauvreté. Il n'y a rien pour aider ces gens-là, ni usine ni activité.” Tout dépend des prix des produits essentiels De fait, l'on a vu par exemple des APC, qui engrangent des revenus conséquents, offrir à leurs concitoyens un couffin de Ramadhan dont la valeur frôlait les 7 000 DA, alors que d'autres au contraire, ne pouvaient dépasser pour leurs familles bénéficiaires du couffin la somme de 2 500 DA. El-Djazia, dans la wilaya d'Oum El-Bouaghi, consacrée l'une des cinq communes les plus pauvres d'Algérie par la conférence nationale sur la pauvreté et l'exclusion, tenue en octobre 2000, à Alger, compte 4 800 habitants. Au titre de la solidarité pour le Ramadhan de l'année passée, 220 couffins ont été distribués sur un ensemble de 473 familles nécessiteuses recensées. Pères de famille et veuves venus des mechtas environnantes ont afflué à l'APC pour réclamer le couffin, dont la valeur ne dépassait pas 2 300 DA. Les “poches des nécessiteux” ne sont pas faciles à déterminer, cela étant ; se référant à un rapport du Cnes (éléments du débat pour un pacte de croissance), l'on peut dire que “les revenus disponibles ne sont pas nécessairement un bon indicateur, car tout dépend des prix des produits essentiels, des habitudes alimentaires, elles-mêmes liées à l'environnement socioéconomique (un même dollar peut conduire à un degré différent de satisfaction des besoins alimentaires) et des besoins qui sont pris en charge par la collectivité comme la santé et l'éducation”. C'est ainsi que la politique de solidarité est bien sûr louable à plus d'un titre, eu égard aux efforts incessants que déploie le gouvernement, à travers le département ministériel du docteur Ould-Abbès (près de 10 000 bénévoles mobilisés en 2008 pour le couffin du Ramadhan et une enveloppe de plusieurs de dizaines de millions de dinars ; 3 milliards de dinars pour l'opération de cette année, six millions de repas et 600 restaurants gratuits seront ouverts). Il n'empêche que l'efficacité en direction de l'éradication de la pauvreté et des individus bénéficiaires est tributaire d'un ciblage plus précis, méthodique et rigoureux, car, pour reprendre la même source “l'identification est difficile en raison des problèmes d'asymétrie de l'information”. En somme, d'une mauvaise régulation de l'information sur ce plan-là. Un panier d'une valeur de 5 000 dinars est-il suffisant quand il s'agit en vérité d'aborder une stratégie de lutte contre la pauvreté qui ne soit pas épisodique, et qui s'incruste dans la stratégie de développement ? L'évolution du salaire est en nette amélioration depuis dix ans. Mais la révision à la hausse du SNMG n'a pas connu la même évolution que les prix. C'est qu'en 10 ans les prix ont évolué plus vite. Z. F.