Le Covid-19, version mutée d'un virus de la famille des coronas, vient de provoquer une pandémie. Devenu infectant pour l'homme dont le système immunitaire était incapable de le reconnaître et donc de le combattre, il est en train de frapper progressivement et gravement toute l'humanité. Tous les pays du monde sans exception sont touchés par ce virus qui a fait, à ce jour, plus de 370 000 cas de pneumonies dont plus de 11 000 décès, soit une létalité moyenne de près de 3,5%. Les données produites par les systèmes de surveillance mis en place par les premiers pays touchés par la pandémie (particulièrement la Chine, Singapour, le Japon, l'Italie, l'Espagne et la France) et immédiatement publiées nous permettent de lire clairement la dynamique de la pandémie. Partie de Chine le 27 décembre 2019, l'épidémie a progressivement balayé l'Asie, puis l'Europe, les Amériques, et enfin le nord et sud de l'Afrique. Le comportement du Covid-19 a été le même dans tous les pays touchés : après une période de début relativement lente, pendant laquelle le nombre de cas est relativement faible, la courbe épidémique connaît une cassure brutale et rapide vers le haut. Le nombre de nouveaux cas décuplant en l'espace de 24 heures submerge les structures de santé, comme c'est le cas actuellement en Italie, en Espagne et en France. Cette dernière, avec plus de 14 459 cas et plus de 562 décès, considère n'être encore qu'à 8-10 jours du pic épidémique. Aucun pays au monde n'ayant l'expérience de cette maladie, personne ne peut anticiper les différentes étapes d'évolution de l'épidémie : quelle progression quotidienne du nombre de cas et de décès ? Quand aura lieu le pic épidémique ? Quel sera le nombre total de cas ? Et surtout, l'épidémie redémarrera-t-elle après la fin du confinement ? La réponse à cette dernière question dépendra du niveau et de la durée de l''immunité individuelle et collective acquises après l'infection. À ce jour, après avoir enregistré plus de 800 décès en 24 heures, l'Italie déclare ne pas savoir quand elle atteindra le pic épidémique. Quelles informations avons-nous obtenu des données fournies par les pays qui nous ont précédé dans l'œil du cyclone ? - La pneumonie à Covid-19 touche les deux sexes et toutes les tranches d'âges sans exception. - Les données publiées ne montrent pas de décès chez les enfants de moins de 9 ans. - Cette tranche d'âge peut, par contre, constituer un réservoir non négligeable de porteurs sains qui propagent l'épidémie (les enfants en contact avec le virus développent l'infection sans montrer de symptômes cliniques). Pour cette raison, la fermeture des crèches, écoles, lycées est très efficace contre la propagation du virus. - Les personnes les plus vulnérables à l'infection-maladie à Covid-19 sont les personnes âgées et les personnes porteuses de maladies chroniques. Ce sont aussi ces catégories de population qui connaissant la proportion la plus élevée de décès. - Le rôle des porteurs dits "asymptomatiques" (personnes qui portent le virus pendant 2 à 12 jours sans développer aucun signe de maladie) est primordial dans la propagation du virus. Seul le confinement permet de lutter contre cette transmission. - Surtout, une information majeure si elle est unanimement confirmée : les personnes cliniquement guéries semblent continuer à disséminer le virus pendant une semaine en moyenne. Les mesures proposées tant par la présidence de la République que par le ministère de la Santé sont toutes largement justifiées. Notre crainte est qu'elles soient encore insuffisantes pour parer au maximum à ce qui pourrait nous advenir. Cette pandémie est totalement inconnue de l'humanité. Personne sur Terre ne peut anticiper son comportement, car aucun pays, pas même la Chine, n'en est encore définitivement sorti. L'absence de références scientifiques fait que personne ne peut accuser personne d'en avoir fait trop ou pas assez. Nos meilleures chances de nous en sortir au mieux dépend de nos capacités à nous battre tous ensemble en mettant à contribution toutes nos capacités humaines, scientifiques, financières, pour faire reculer ce fléau mondial. Pour ce qui nous concerne, nous tenons à attirer l'attention sur les points suivants : 1. Nous demandons le confinement strict et immédiat de toute la population sur tout le territoire national. La transmission du Covid-19 est qualifiée d'exponentielle tant par l'OMS que par le CDC. Autrement dit, le nombre de nouveaux cas pourrait aller en décuplant (mais encore une fois, le virus étant inconnu, il n'y a pas de référence en la matière). Toutes les institutions de surveillance recommandent le confinement strict, faute de pouvoir pratiquer un dépistage de masse systématique du virus. Le caractère vital de ce confinement, y compris pour les enfants, est-il suffisamment expliqué à la population afin qu'elle s'y prête tout en sachant que la durée du confinement peut être supérieure à 3 semaines et que les résultats ne seront pas immédiatement apparents ? Ce que nous voyons dans les rues ne semble pas le confirmer. 2. La mise en place d'un système de surveillance de l'épidémie. La surveillance et la notification quotidiennes des nouveaux cas de maladie et de décès sont vitales, car elles restent le seul moyen d'anticiper une aggravation brusque de l'épidémie et de prendre le plus rapidement toutes les mesures prévues dans ce cas de figure. Cette surveillance semble facile quand il s'agit de quelques dizaines de cas, comme c'est le cas actuellement. Qu'en sera-t-il si la situation s'aggrave ? Avons-nous mis en place un système de surveillance de cette épidémie ? Tous les professionnels de santé savent qu'il y a à l'Institut national de santé publique une équipe d'épidémiologistes pratiquant la surveillance des maladies transmissibles depuis plusieurs décennies et dont les compétences sont reconnues en dehors de nos frontières. Cette équipe a-t-elle été mise à contribution ? Saurons-nous, nous Algériens, apporter notre contribution au système de surveillance de cette pandémie, comme nous sommes largement capables de le faire ? 3. La préparation avec les professionnels et experts concernés de scénarios de prise en charge éventuelle de patients selon les degrés de gravité d'évolution possibles. Selon la dynamique décrite plus haut, nous sommes actuellement en tout début d'épidémie et nous prions de toutes nos forces pour ne pas passer à un stade supérieur, quel que soit le numéro qu'on lui donne. C'est cependant de notre responsabilité de préparer une situation plus grave. Tous les intervenants dans les médias s'attellent à rassurer la population sur le fait que "la situation est sous contrôle". Cette affirmation ne nous rassure pas, loin s'en faut. Ne sommes-nous pas en train de nous comporter comme si l'épidémie allait s'arrêter à cette "petite centaine" de cas parce que tel est notre souhait ? C'est sur cet aspect précis que nos craintes sont les plus vives : y a-t-il réellement des scénarios élaborés en fonction des niveaux de gravité des risques encourus ? A-t-on fait participer les spécialistes à leur élaboration ? Dans les pays actuellement sous épidémie, les professionnels de santé des régions les plus riches (Lombardie en Italie), les systèmes de santé les plus performants (France, Allemagne) voient leurs capacités dépassées au point de redouter un effondrement de leur système de santé. Quelle explication donnons-nous à la proportion (près de 10%) de décès par rapport au nombre de cas (139 cas confirmés et 15 décès au 21 mars), alors que la moyenne mondiale la plus élevée est de 3,9% ? Il y aurait quelques hypothèses explicatives à explorer. 4. L'organisation du système de santé, personnels, matériels et structures, afin de le rendre apte à affronter une aggravation éventuelle de la situation sanitaire. Comment faire pleinement participer tout le système de santé à tous les échelons à cette véritable guerre qui nous est imposée ? Nous avons la chance d'avoir des structures de santé nombreuses, très proches de la population et un personnel de santé habitué à communiquer avec elle : comment le faire contribuer au mieux au respect des règles d'hygiène et de confinement pendant une longue période ? Il est peu probable que tout s'arrête en quelques semaines, comme on semble l'escompter. Personne ne sachant quand ce cauchemar s'arrêtera, le plus sage est de s'organiser pour le long terme en faisant participer au mieux tout le système de santé à un combat qui pourrait être long et douloureux et en faisant confiance en la maturité des Algériens, sachant bien entendu que rien, et surtout pas le confinement, ne pourra se faire sans eux. À travers des décennies d'épreuves et de souffrances, les Algériens ont construit un lien très fort. Nous sommes à nouveau devant une épreuve qui pourrait être longue et douloureuse mais qui ne manquera pas de renforcer encore plus ce lien. Non seulement nous sommes au service de ce peuple si courageux et si résiliant, mais nous sommes fiers d'en faire partie. Nous saluons la sagesse de tous les citoyens qui ont massivement suivi l'obligation de suspendre tout rassemblement et comptons sur eux pour que le confinement demandé soit respecté par tout un chacun. Notre dernier hommage va aux professionnels de la santé du secteur public et libéral, dont nous ne dirons jamais assez le dévouement sans limites, dans l'anonymat. Premiers signataires : Pr Amhis Wahiba, microbiologie Pr Mohamed Arrar, médecine interne Pr Aoudia Yazid, cardiologie Pr Benali Abdallah, réanimation Pr Dalila Benmessaoud, psychiatrie Pr Madjid Bessaha, médecine légale Pr Mansour Brouri, médecine interne Pr Madjid Boukari, néphrologie Pr Rachida Boukari, pédiatrie Pr Kamel Bouzid, oncologie Pr Farid Haddoum, néphrologie Pr Doudja Hammouda, épidémiologie Pr Rachida Guermaz, médecine interne Pr Lakhdar Griene, biochimie Pr Mohamed Reggabi, pharmacie Pr Farid Kacha, psychiatrie Pr Kamel Kezzal, microbiologie Pr Messad Krim, cardiologie Pr Mustapha Maaoui, chirurgie générale Pr Mourad Semrouni, endocrinologie Pr Leïla Smati, pédiatre Pr Azzedine Tadj, épidemiologie Pr Samya Taright, pneumo-phtisiologie