Malgré le risque permanent de contamination, le personnel soignant continue à se présenter chaque matin à l'hôpital pour s'acquitter de sa mission au péril de sa vie. Témoignages. Ils sont nombreux ces guerriers en blouse blanche qui ont payé de leur vie leur engagement dans la lutte contre le coronavirus. Ils sont médecins, infirmiers, agents hospitaliers, chauffeurs-ambulanciers, agents de sécurité... Jusqu'à hier, ils sont 16 à avoir perdu la vie, après avoir contracté le virus, dans l'exercice de leur fonction. Ils ont pour noms Boukari, Si-Ahmed El-Mahdi, Kebaïli, Tilmatine, Djama Kebir, Salim Latrèche, les frères Hamoudi, pour ne citer que ceux-là. "L'on déplore exactement 16 professionnels de la santé. Ils sont morts en martyrs, en première ligne dans la lutte contre l'épidémie de coronavirus. Il y a parmi eux des médecins, des paramédicaux, des chauffeurs-ambulanciers... Le plus grand nombre sont des médecins", nous a confié hier une source du ministère de la Santé, indiquant que le corps médical compte également 100 autres soignants qui ont été contaminés durant l'accomplissement de leur mission, et ce, à travers le territoire national. "Ils sont hospitalisés en isolement dans des blocs dédiés au Covid-19. Leurs confères ne ménageront aucun effort pour les sauver", précisera encore notre source. Malgré cette situation affligeante au quotidien, le personnel soignant continue à se présenter chaque matin à l'hôpital pour s'acquitter de sa mission au péril de sa vie. Certains d'entre ces employés sont dans un état d'épuisement critique, voire de déprime. "Ils sont anxieux", assure notre source. D'autres vivent avec la hantise de transmettre cette maladie à leur épouse ou à leurs enfants. Ils partagent tous le sentiment de la peur. Ils vivent très mal cette crainte. Ils sont désormais confrontés à une "nouvelle maladie professionnelle", témoigne un médecin exerçant au CHU Mustapha-Pacha. Il nous raconte son combat mené tous les jours à l'hôpital. "Les médecins, les infirmiers, les agents, les laborantins, les administratifs, tous vivent avec un stress continu. Personnellement, j'ai toujours la peur de contracter ce virus. On ne dort pas. Le manque de sommeil et la peur s'apparentent à des signes de dépression. Chaque matin, on se pose la même question : comment ça va se passer aujourd'hui ? C'est le tour de qui aujourd'hui ? Certes, nous vivons, à l'intérieur de nous-mêmes, le deuil, en allant travailler, laissant derrière nous une épouse et des enfants. Mais une fois dans le service, on oublie tout et on commence à travailler afin de soigner des malades", détaillera-t-il, avant de nous décrire son quotidien dans son service au CHU Mustapha-Pacha. Un ennemi invisible "Ce qui se passe aujourd'hui dans les hôpitaux me rappelle les années 1990, lorsque tout le peuple menait une guerre implacable contre le terrorisme. Nous sommes en train de revivre aujourd'hui les mêmes scènes de peur, mais sous une autre forme. L'ennemi d'aujourd'hui, le coronavirus, n'est pas visible". Et de poursuivre : "depuis que la situation a commencé à se corser, notamment après l'annonce des premiers décès dans le corps médical, j'ai décidé d'écrire une sorte de testament dans lequel j'ai mentionné tous les noms des personnes qui me doivent ou à qui je dois de l'argent et autre. Depuis, ma femme vit dans un état psychique indescriptible, elle est vraiment abattue. C'est triste de le raconter mais c'est notre réalité." Signalons au passage que les professionnels de la santé contaminés de l'hôpital Mustapha-Pacha sont pris en charge et suivis au niveau du bâtiment Bichat. L'autre héros en blouse blanche qui a accepté de se confier est le professeur Hacène Messaoudi, spécialiste en médecine interne, exerçant, également à l'hôpital Mustapha-Pacha. Celui-ci n'a pas manqué de souligner que malgré tous les moyens de protection dont il dispose aujourd'hui, le personnel médical a la hantise de contracter le virus et de le transmettre aux membres de sa famille. "C'est un sentiment naturel que d'avoir peur. On souffre terriblement lorsqu'on apprend le décès d'un confrère. Mais du moment que nous avons choisi ce métier, nous devons accepter tous ses risques", soutiendra-t-il. "Le risque d'attraper le virus est parfois inévitable. Parce qu'on est en plein boulot, dans la salle des malades, on s'oublie. Malgré toutes les précautions, on doit faire face au malade et le prendre en charge. Nous sommes en contact direct avec les malades de Covid-19, nous devons prendre régulièrement leur tension et vérifier leur ECG, notamment les malades mis sous le traitement spécifique, la chloroquine", témoigne le Pr Messaoudi qui souffre, lui aussi, d'une maladie chronique, mais il a accepté, au péril de sa vie, de rester au front contre le Covid-19. Plus loin, notre interlocuteur évoquera les étapes de "désinfection" à la fin du service, avant de pouvoir retourner chez lui après une garde de 24 heures. "Après la garde, je ne rentre pas directement chez moi par crainte de transmettre le virus aux miens. Je m'isole pendant 24 heures, loin de mes enfants et de ma femme. En fait, je m'isole pendant une nuit dans un logement appartenant à mon frère qui est absent du pays, le temps de me désinfecter et de me laver avant de rentrer le lendemain chez moi", témoigne le professeur Hacène Messaoudi. Hanafi H.