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Les malades du Covid-19 témoignent : Douleurs et solitude du contaminé
Publié dans El Watan le 11 - 04 - 2020

Jeunes ou âgés, en bonne ou en mauvaise santé, ils sont nombreux à avoir contracté le Covid-19, ce virus qui endeuille de nombreuses familles algériennes. Le confinement auquel sont soumis les malades les terrifie, tout comme la stigmatisation dont ils font l'objet. Certains sont dans le déni de la contamination et refusent d'être hospitalisés, jusqu'à ce que leur état se dégrade. D'autres sont terrifiés par la maladie et ont la hantise de la transmettre à leurs proches. Les témoignages de certains patients sont poignants.
Les salles de consultation, d'isolement et de réanimation des malades atteints du coronavirus (Covid-19) au niveau des hôpitaux de Beni Messous, Mustapha, Maillot et El Kettar, sont dépassées.
Ouvertes récemment, les nouvelles salles risquent d'être rapidement saturées en raison du nombre de plus en plus important de patients, désormais soumis à un véritable parcours du combattant, en cas d'hospitalisation. Jeunes, moins jeunes, femmes et hommes, nez et bouche couverts d'un masque, les mains gantées, usés par la maladie, se bousculent dans ces salles exiguës, en attente de soins, souffrent en silence.
Rencontrés sur les lieux, les témoignages de certains sont poignants. Ils partagent tous une douleur profonde et vivent très mal leur maladie. Aucun d'eux ne veut s'identifier de peur d'être stigmatisé.
Ammar K., natif de Bab El Oued, ne sait même pas où et quand il a choppé ce virus. Ce jeune homme pensait qu'il avait une simple grippe lorsqu'il a eu des quintes de toux et des courbatures. «Je voyais les spots, les images et les vidéos sur tous ces malades âgés qui ont du mal à respirer.
Cela me faisait de la peine. Mais je n'ai à aucun moment pensé que je pouvais être contaminé. Je suis chauffeur de taxi, je ne prenais aucune mesure de protection. J'ai commencé à avoir de la fièvre, puis une douleur à la gorge qui descendait au fil des jours vers mes poumons. Mon épouse m'a emmené à l'hôpital Maillot.
Après une série d'examens, ils m'ont mis en isolement. J'étais comme ce condamné qui emprunte le couloir de la mort ! Je pensais à mes enfants, mes parents et à tous ceux avec lesquels j'ai été en contact. J'avais des remords terribles et je m'en voulais à moi-même. J'étais torturé par l'idée d'avoir pu contaminer mes proches. Pourquoi n'ai-je pas écouté ceux qui me disaient de me protéger ?
J'ai passé des nuits entières à penser à mon enterrement sans ma famille, sans ablutions ni prière mortuaires, à la douleur que je causerais à mes enfants et mes parents. Convaincu que mon sort était scellé, je ne voulais pas parler avec ma femme ni avec mes enfants. Je me suis renfermé sur moi-même. Mon moral n'a jamais été aussi bas. Les médecins ne cessaient de me dire que mon état d'anxiété aurait des répercussions négatives, mais au fond j'étais certain que j'allais quitter ce monde de la manière la plus inhumaine», raconte Ammar, les larmes aux yeux.
«Je souffrais terriblement, j'en pleurais tout le temps»
Au bout de dix jours, Ammar a commencé à reprendre ses forces. «J'étais convaincu que c'était le signe d'un départ. On m'a souvent dit que la mort est toujours précédée par le repos. Mais les prélèvements ont montré une rémission. Je renaissais de mes cendres ! Pour moi, c'était une deuxième vie. Lorsque j'ai quitté l'hôpital, c'est mon père qui s'est trouvé très mal. Il n'arrivait plus à respirer. Puis c'était au tour de ma mère et de ma jeune sœur. J'en ai tellement pleuré que mes yeux se sont asséchés», raconte Ammar.
Les yeux larmoyants, il évoque ce sentiment de remords qui le ronge. Si sa mère et sa sœur se portent un peu mieux, son père est en réanimation, en détresse respiratoire. Si Ammar a eu la chance d'être pris en charge dès le début, Mourad B., âgé de 54 ans, natif de Kouba, a vécu un cauchemar. Ses premières fièvres, il les a eues une semaine après son retour de France. «Je savais que le virus était dangereux. J'ai pris mes dispositions. Je mettais un masque, je me lavais les mains tout le temps. Lorsque j'ai senti cette toux sèche et cette fièvre, j'ai eu très peur mais en même temps, je me disais que c'était peut-être une simple grippe. Je ne voulais pas aller chez le médecin.
Ma femme paniquait. Je trouvais qu'elle exagérait. Mais, elle aussi, a commencé à tousser. Nous ne voulions pas que la famille le sache. Nous sommes allés au CHU de Bab El Oued. Après des heures d'attente dans une salle bondée de malades, faute de kits de prélèvement, on nous a renvoyé vers l'hôpital El Kettar et, là aussi, c'était saturé. Je transpirais. J'avais peur. Je voyais défiler toutes ces personnes victimes du corona…
On nous a orientés vers l'hôpital Mustapha et, encore une fois, nous sommes renvoyés, vers Beni Messous. Nous sommes fatigués et usés. Nous perdons notre calme. Après une altercation avec les médecins, on nous fait entrer dans une salle où l'on nous fait des prélèvements. On nous demande d'aller les remettre au service immunologie. Moins d'une heure après, le test revient positif pour les deux. Le monde s'écroule sur ma tête. Je pense à ma famille à mes enfants que je risque de ne plus revoir. Ma femme éclate en sanglots», se remémore Mourad.
Il s'arrête le temps de reprendre son souffle, puis poursuit son récit : «Les médecins la rassurent. Ils nous mettent en isolement. Mon état et celui de mon épouse se dégradent. La fièvre ne descend pas. J'ai mis longtemps pour décider d'annoncer la mauvaise nouvelle à mes enfants. De peur qu'ils soient évités comme des pestiférés, je leur ai dit de ne pas parler de notre maladie. Ils étaient affolés. Heureusement qu'aucun d'entre eux n'a été contaminé. J'ai vu ma mort, mes funérailles, celles de mon épouse… C'était la descente en enfer.
Ma femme était plus courageuse. Elle a vite surmonté la maladie. Je ne faisais plus de différence entre le jour et la nuit. J'avais des douleurs et des moments d'évanouissement. Le pire, c'était d'entendre tous ces malades tousser en même temps, sans arrêt. Je voyais cette salle d'isolement comme un mouroir duquel je ne sortirais pas. Je pensais beaucoup à toutes ces personnes avec lesquelles j'étais en contact. Je voulais les appeler une à une mais je n'avais pas le courage de le faire. Je souffrais terriblement, j'en pleurais tout le temps…
Je n'arrivais pas à accepter mon sort. Mais un des médecins m'a secoué en me disant que j'avais une épouse et des enfants qui avaient besoin de moi, que je devais me ressaisir pour combattre la maladie d'autant que je n'avais aucune pathologie chronique. C'était au cinquième jour de mon isolement. Je ne sais pas comment, mais mon état s'est amélioré.
Celui de mon épouse également. Nous avions réussi à vaincre le Covid-19. Lorsque j'ai quitté l'hôpital, à part mes enfants, toute la famille mais aussi mes voisins m'évitaient. Pour eux, je portais toujours ce virus. Je suis resté confiné à la maison. Mais quelques jours après, un de mes voisins est venu me demander de l'aide. Son frère était très malade. Je l'ai accompagné à l'hôpital. J'ai pris toutes les précautions. Je viens de le déposer. Je sais que lui aussi va faire sa descente en enfer.»
«J'avais la hantise de contaminer ma mère»
Rencontrée au CHU de Bab El Oued, Nacéra C. se bat toujours pour se faire hospitaliser. La soixantaine, elle arrive aux urgences avec une toux sèche et de la fièvre. Les médecins lui demandent de faire un scanner pulmonaire, mais aucun des services de radiologie public ne peut le lui faire. On lui parle d'un grand centre de radiologie qui accepte de prendre les malades ayant les symptômes du Covid-19. «Personne à la maison ou à mon travail ne savait que je suis malade. Je n'avais pas d'argent sur moi. J'ai emprunté 15 000 DA pour payer le scanner et je suis revenue à l'hôpital avec.
J'ai dû rester des heures en salle de consultation, au milieu de personnes très atteintes, avant que mon tour arrive. Le médecin regarde le cliché puis me dit, d'un air très froid, d'aller à l'hôpital El Kettar pour faire le test. Je l'interroge sur le contenu du cliché et il me répond qu'il y a des traces de lésions, et que le test est indispensable. J'appelle un ami pour lui demander de m'accompagner jusqu'à l'hôpital, étant donné qu'il n'y a pas de transports. Lorsque je lui ai dit qu'on soupçonnait le corona, il est devenu livide.
Il n'a pas osé me dire de ne pas monter dans sa voiture. Mais j'ai senti la peur sur son visage et c'est légitime. Je l'ai rassuré en lui disant que je n'allais rien toucher et que je portais un masque. A El Kettar, il y avait beaucoup de monde. Jamais je n'aurais pensé qu'autant de personnes étaient touchées. J'ai attendu plus de 4 heures avant que le prélèvement soit fait.
On m'a demandé de revenir le lendemain pour les résultats», raconte Nacéra. Elle essuie ses larmes puis reprend : «Je n'ai pas dormi de la nuit. Je n'ai rien dit à ma mère que j'ai isolée dans une chambre de peur de la contaminer. J'étais persuadée que j'étais contaminée. A la première heure, le lendemain matin, j'étais à l'hôpital El Kettar. J'ai marché durant une heure pour y arriver. Le médecin m'annonce brutalement : « Vous êtes positive ! » Je prends mon dossier et je me rends à pied à l'hôpital de Bab El Oued. Je ne sens plus mes jambes. Je remets les conclusions au médecin. Il me dit qu'il n'y a plus de place pour une hospitalisation. Je ne voulais pas rentrer chez moi.
J'avais la hantise de contaminer ma mère ou de voir une ambulance venir me prendre de la maison sous le regard de tous les voisins. Je suis croyante, mais je n'arrive pas à admettre que je sois malade du corona…» Elle éclate en sanglots puis nous lance : «Je reste ici jusqu'à ce que les médecins me trouvent une place. J'ai eu du mal à convaincre ma cousine de prendre en charge ma mère. Je lui ai dit que je partais au bled pour une urgence. Je ne peux pas rentrer à la maison avec cette saleté de virus. Ou je meurs ici, ou je rentre chez moi guérie !»
Le témoignage est poignant. Comme celui de Aïcha N., dont la mère, âgée de 77 ans, refuse catégoriquement d'être hospitalisée alors qu'elle est hypertendue. Rencontrée à Beni Mesous, elle affirme que sa mère a commencé à tousser une semaine après son retour de la Omra (pèlerinage). «J'ai constaté qu'elle avait de la fièvre qui ne baissait pas. Je l'ai emmenée aux urgences de Maillot, où on m'a réorienté vers El Kettar.
Après des heures d'attente, on m'a dirigé vers le CHU de Beni Messous. Ma mère ne cessait de me supplier de la ramener à la maison. Elle refusait que je l'emmène à l'hôpital. Elle était anxieuse, elle avait très peur. Encore une fois, après une attente de quatre heures sans manger ni boire, assises sur un banc, on nous réoriente vers El Kettar. Je perds le contrôle de mes nerfs. Je me dispute avec le médecin. Je reprends ma mère dont l'état se dégradait», raconte Aïcha. Vers 21h30, les deux femmes se retrouvent dans la rue, alors que le couvre-feu était en cours. Sa voiture est stoppée net par des policiers, à un point de contrôle. Elle présente le dossier de sa mère.
«Ma mère me suppliait de ne pas la laisser à l'hôpital»
«On me dit que je n'avais pas le droit de la transporter en voiture et qu'il fallait appeler une ambulance. Ma mère commençait à gémir. J'ai eu du mal à leur faire comprendre qu'elle n'avait pas mangé de toute la journée et qu'elle était trop fatiguée. Après une demi-heure d'attente, ils nous ont laissé partir. Nous rentrons à la maison. Le lendemain matin, je remets ma mère dans la voiture et je retourne à l'hôpital El Kettar. Beaucoup de monde attend déjà. Je m'adresse au chef de service, qui finit par la faire entrer pour un prélèvement. Je suis obligée de rester avec elle dans la salle.
On me demande de revenir le lendemain pour les résultats. Ma mère ne tient plus debout. Sa température est toujours élevée. Le lendemain, je la ramène encore une fois. On me confirme qu'elle est positive au Covid-19. Même si j'étais presque sûre qu'elle était contaminée, j'avais un l'espoir d'avoir un résultat négatif. J'ai senti la terre trembler sous mes pieds.
Ma mère me regardait d'un air très triste et me demandait de ne pas la laisser à l'hôpital. Cette image m'a traumatisée. Le médecin me dit qu'il n'y avait pas de place. Cela fait deux jours que je viens ici dans l'espoir de trouver un lit. Et à chaque fois que je quitte la maison, ma mère me supplie de ne pas l'emmener à l'hôpital. J'en souffre terriblement. Il faut qu'elle soit hospitalisée. Je ne veux pas la perdre !»
«Ils disent que tout a été mis en place pour la prise en charge des malades. Or, je galère depuis trois jours et je ne suis pas la seule. Regardez autour de vous. Combien de patients et leurs familles souffrent de n'avoir pas pu être hospitalisés, de n'avoir pas pu faire le test ou un scanner ? Je les ai rencontrés à Bab El Oued, à Beni Messous et ici à El Kettar. Nous allons vers une catastrophe», lance Aïcha. Elle se lève à la vue d'un médecin, qu'elle attend depuis des heures.
A peine 35 ans, natif du quartier populaire d'El Harrach, Youcef A. vient d'arriver au CHU de Bab El Oued, accompagné d'un de ses proches. Affaibli, ayant des difficultés à respirer, il ne cesse de tousser. Balloté entre El Kettar et Maillot, il n'a plus de force. Dans l'immeuble où il habite, trois de ses voisins ont été contaminés par le Covid-19. Le père de l'un d'eux, cardiopathe, en est mort et aucun des gens du quartier ni de la famille n'a pu assister à son enterrement et encore moins présenter les condoléances à ses enfants.
Masque sur le visage, et des gants couvrant ses mains, Youcef est affaissé sur une chaise. «Je ne sais pas combien de de voisins été contaminés. Nous nous retrouvions souvent au café du quartier. Peut-être que c'est notre ami Fawzi, venu de France, qui était porteur du virus mais il ne le savait pas. Trois jours après son départ, deux voisins, tous des jeunes avaient de la fièvre et toussaient.
Ils sont restés cloitrés chez eux. Le père de l'un d'eux a été évacué vers l'hôpital, où il est décédé à peine quatre jours après. Nous étions sous le choc, lorsque nous avions appris qu'il avait eu le corona ! La peur s'est installée dans le quartier.
Chacun attendait son tour et nous étions terrorisés à l'idée de contaminer nos proches. J'étais le quatrième à être malade. Je suis venu directement à El Kettar. J'étais dans un état fébrile et je toussais. Après une attente d'une journée, ils m'ont demandé de revenir le lendemain», raconte Youcef. Mais à son retour, il n'y avait toujours pas de kits de prélèvement.
«Les gens m'évitent comme un pestiféré»
«Je ne pouvais plus tenir debout. Une fatigue intense me paralysait. Je n'arrivais plus à parler. Ils m'ont orienté vers l'hôpital de Bab El Oued. J'ai dû attendre qu'une vingtaine de malades passent pour qu'arrive mon tour. Les médecins m'ont posé une série de questions et demandé d'aller faire un scanner des poumons. Je n'avais plus la force de marcher ou de faire un quelconque effort.
J'ai commencé à gesticuler puis j'ai perdu conscience. Lorsque je me suis réveillé, j'étais entouré par des médecins. Un infirmier a appelé à une ambulance qui m'a transporté jusqu'à l'hôpital El Kettar. Mon état de santé se dégradait. Ils m'ont fait un prélèvement et m'ont demandé de revenir le lendemain matin. C'était une journée très pénible. J'ai dû passer la nuit dans un garage pour éviter de contaminer des membres de ma famille.
J'étais persuadé d'avoir chopé ce virus. Le lendemain, on me déclare positif. Ils m'orientent vers le CHU de Bab El Oued, faute de place. J'appelle l'ambulancier qui m'a accompagné. Il me dépose à Bab El Oued. Encore une attente de plusieurs heures dans cette salle lugubre et froide. J'attends toujours qu'ils m'hospitalisent. Je n'arrive pas à admettre ma maladie», déclare Youcef. Il s'en veut et en veut à tout le monde. Il a mal de ce regard que portent sur lui les gens.
«Dès que je tousse, les gens m'évitent comme un pestiféré. J'ai peur de que ma mère ou mon père meurent à cause de moi. Depuis cinq jours, je n'ai pas mis les pieds à la maison. Mes parents doivent être morts d'angoisse ! Je leur ai parlé au téléphone en les rassurant, mais ils savent que je suis malade comme l'ont été mes voisins. Dans le quartier, ils sont tous au courant et ne s'approchent même pas de ma famille.
Qu'ai-je fait pour subir une telle maladie ?», affirme Youcef, avant qu'un médecin lui annonce une place pour son hospitalisation. Il pleure à chaudes larmes et, d'un geste spontané, tente d'enlacer le médecin qui recule instinctivement par mesure de protection.
Youcef se retourne vers nous : «Priez pour moi afin que je guérisse et que je puisse revoir ma mère et mon père…» Il s'engouffre dans ce couloir qui mène vers une destination inconnue. Les témoignages des malades Covid-19 se ressemblent tous et décrivent la situation dramatique et inhumaine que vivent ces derniers, avant même d'entamer les soins, dans une structure sanitaire.


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