Cette lutte change totalement la façon de travailler des sapeurs-pompiers qui, au lieu d'éteindre des incendies, apprennent à combattre un ennemi invisible. Une situation nouvelle. Au cœur du centre opérationnel de la Protection civile d'Alger, les sapeurs-pompiers sur le pied de guerre. Officiers et sous-officiers sont aux aguets. Quatre heures après l'entrée en vigueur du couvre-feu sanitaire dans la capitale, ces hommes se réjouissent de ne pas encore enregistrer de nouveaux cas suspects au coronavirus. Au deuxième étage du poste de commandement, le médecin chef, Ahmed Bougueffa est à l'écoute. Il est là pour prendre le relais des agents qui reçoivent les communications des suspects et de leurs familles. "C'est lui qui décide de toutes les mesures à prendre. Il possède un protocole de questions avec lequel il repère, à travers des indices précis, les cas suspects au Covid-19, notamment sur les symptômes, leurs contacts et l'endroit où ils résident ", nous explique l'officier Nassim Bernaoui, responsable de la communication et relations publiques à la Protection civile, affirmant que c'est le médecin chef qui prend la décision d'envoyer ou pas une ambulance pour évacuer un suspect à l'hôpital. Le colonel Farouk Achour, responsable du service communication à la DGPC, souligne que, dans tous les cas de figure, c'est-à-dire même s'il ne s'agissait pas d'un cas lié au Covid-19, le centre d'appels prend les coordonnées des citoyens qui appellent pour faire un suivi le lendemain. "Après, s'il s'agit d'un cas suspect, on coordonne avec la Direction de la santé pour orienter notre ambulancier, selon le zonage, les places disponibles dans les hôpitaux pour gagner du temps et ne pas traîner le malade à longueur de nuit dans les rues d'Alger", indique M. Achour. Mais pour arriver au stade d'évacuation, il faudra, explique le médecin chef, être sûr de son cas de suspicion. "Je filtre tous les appels liés aux signalements des cas de coronavirus. Je m'intéresse notamment aux symptômes et aux contacts de chaque patient qui appelle. On enregistre une moyenne d'évacuations de 25 à 30 cas par jour. Cela ne veut nullement dire qu'ils soient positifs. Mais, on préfère anticiper dans certains cas pour isoler le sujet et éviter la propagation de la pandémie", développe le médecin de cette institution qui a mobilisé de gros moyens. "Toutes nos capacités opérationnelles ont été adaptées. Le coronavirus nous a obligés à nous adapter au risque biologique. Nous nous sommes imprégnés dès le départ de cette pandémie. Nos médecins et officiers biologistes travaillent d'arrache-pied, car le risque biologique prend plusieurs formes", dira M. Achour qui révèle que la Protection civile a son propre protocole depuis le mois d'octobre 2019, avant que la direction générale ne publie une fiche complète au mois de janvier dernier au profit des citoyens pour se prémunir contre le risque de contamination. Le spectre de la contagion omniprésent Dans la grande cour de l'unité attenante à l'hôpital Zemirli d'El-Harrach, les ambulanciers et les agents chargés de prendre en charge les patients sont mobilisés de jour comme de nuit pour intervenir à tout moment. "Le risque est évident. Il est là à nous guetter et à guetter les citoyens. À charge pour nos soldats d'observer le protocole d'évacuation et de faire face à ce risque qu'on ne peut nullement ignorer. Il y a tout un processus extrêmement vulgarisé envers nos agents qui est mis en place pour remettre à chaque fois une ambulance en marche", explique un officier pour qui la conduite à tenir constitue le principal levier pour la prise de conscience en interne. Le risque pour ces agents est réel. "18 éléments de la Protection civile ont été mis en quarantaine il y a quelques jours à Constantine, à cause d'une suspicion au coronavirus", nous apprend-il.Confinés en interne pendant quatorze jours, ces derniers sont sortis indemnes. Ils ont été contrôlés négatifs au Covid-19. Des mesures rigoureuses ont été instaurées pour éviter que les agents qui volent au secours des personnes contaminées ne soient eux aussi infectés. Un isoloir, une bâche pour couvrir les parois où se trouvent le matériel non utilisé, un brancard, puis une autre bâche étanche et une place pour le secouriste qui surveille le patient sont de rigueur. L'ambulance destinée aux évacuations est hautement stérilisée à son départ et à son retour vers l'unité de Zemirli. Dans la salle des opérations, un officier suit scrupuleusement les informations sur le mouvement de la pandémie, installé face à ses quatre écrans qui montrent, en temps réel, l'évolution du coronavirus. Il assure que, grâce aux outils mis en place par la direction générale, les sapeurs-pompiers maîtrisent davantage leurs tâches sur le terrain. "Chaque écran montre un aspect. Nous avons l'évolution du coronavirus dans le monde, en Algérie, dans le Grand-Alger et le décompte par commune et par quartier pour pouvoir fédérer au mieux nos ressources et nos moyens matériels sur le terrain. Nous gérons au mieux nos moyens grâce au confinement partiel et nous arrivons à évacuer très rapidement les patients vers les hôpitaux", nous assure cet officier la main scotchée à la souris pour lire et partager les données avec sa hiérarchie. Au tableau de cette unité qui chapeaute la capitale, son "armée" a effectué, depuis l'apparition du Covid-19, près de 553 évacuations des cas suspects à Alger seulement. Cette plateforme est uniformisée pour partager ses données à travers les 48 wilayas en temps réel. Une plateforme qui, souvent, donne lieu au retentissement des sirènes. Des sirènes qui donnent la chair de poule aux soldats du virus, par peur de perdre une vie lors des évacuations. "Face à la détresse des autres, on oublie le risque" Aux côtés du conducteur de "l'ambulance-Covid", un véhicule spécialement aménagé pour évacuer les patients présentant des signes d'infection au coronavirus, Mehdi se prépare. Inlassable, il sillonne les quartiers et les cités d'Alger pour évacuer les malades vers les hôpitaux. Prenant toutes les précautions pour se protéger du virus sans frontières, Mehdi est un précieux élément plein de bon sens. Avec son expérience d'une décennie, il affronte le danger avec sang-froid. Face aux malades qu'il a évacués, il reste serein. Il est un modèle de courage, de bravoure et d'humanisme. "Certes, notre profession présente des risques majeurs. Mais si tu es passionné, tu es forcément protégé par quelque chose qui ne s'explique pas. je l'appelle l'amour du métier. Je suis bien formé. Oui, je suis allé dans des domiciles pour évacuer des personnes suspectes au coronavirus. Face à la détresse des autres, on oublie souvent le risque", témoigne-t-il. Déterminé à aller jusqu'au bout de sa mission, le jeune Mehdi raconte deux scènes qui l'ont marqué depuis le début de la pandémie à Alger. Vêtu de sa tenue réglementaire pour intervenir à tout moment aux côtés de deux de ses coéquipiers, il scrute l'ambulance dans ses moindres détails. Ses collègues font de même, en attendant le signal du centre opérationnel pour intervenir. "Le vieux qu'on avait évacué à El-Harrach m'a bouleversé au vu de son état de santé, mais évacuer une famille de six membres, c'est choquant", témoigne Mehdi qui se souvient encore d'un violent accident de la circulation où il avait ramassé les miettes d'un cerveau. Mehdi, notre témoin-clé des évacuations, dit que pour réussir une telle mission, le soldat du virus doit, pour la prise en charge d'un patient, se considérer lui-même comme porteur pour garder une distanciation, demander au patient de mettre le matériel pour calculer sa saturation avant de l'aider, si nécessité il y a, à monter dans l'ambulance. "Sur le brancard, le patient est enveloppé. On lui porte un masque et des gants", ajoute notre témoin qui pense à sa famille. "Une fois mes effets personnels désinfectés, je rentre chez moi, tout en m'imposant des règles strictes de prudence. Je garde mes distances même si c'est difficile de penser au contact de ma famille", raconte-t-il. Khaled Benkhalfallah, cadre à la Protection civile d'Alger, se veut optimiste. "On fait de notre mieux. L'isoloir est artisanal, certes, mais ça protège. Chaque unité propose un protocole que la hiérarchie locale valide", précise cet officier qui nous explique comment "l'ambulance-Covid" est équipée et pourquoi le matériel non essentiel pour prendre en charge un patient atteint du virus est retiré pour laisser place à l'urgence. À la caserne de Zemirli, la rampe de descente n'est pas utilisée pour éviter toute contamination. Les soldats du virus prennent plutôt l'escalier pour s'habiller promptement au poste d'appel. Pas facile. Mais l'évidence est là. Cette lutte change totalement la façon de travailler des sapeurs-pompiers habitués à la lutte contre les incendies. Depuis quelques semaines, ce sont eux qui mettent le feu contre un ennemi invisible. Selon l'officier Yousfi Mourad, depuis le 2 mars dernier, la Protection civile a effectué 10 300 opérations de désinfection ayant mobilisé 21 500 agents, mais aussi 9 000 opérations de sensibilisation ayant nécessité 20 000 agents à travers 48 wilayas. En termes de matériel, la Protection civile a mobilisé 7 500 engins, avec 5 500 agents qui accompagnent ces opérations au quotidien.