L'élaboration et l'adoption du projet de loi, dans la conjoncture actuelle de crise sanitaire, ont suscité bien des interrogations quant à son opportunité. Et d'autres questions liées aux objectifs recherchés à travers ses nouvelles dispositions qui prêtent à des interprétations pouvant être utilisées pour brimer davantage les libertés et porter atteinte aux droits de l'Homme. Expédié en deux temps trois mouvements par un Parlement dont la légitimité est sujette à caution, le projet de loi portant amendement du code pénal ne finit pas de provoquer l'indignation parmi les ONG, les militants associatifs et les partis politiques. Adopté dans l'urgence que rien ne justifie au demeurant, en l'absence d'un large débat et dans un contexte de crise sanitaire et de traque des activistes, particulièrement sur les réseaux sociaux, ce texte, qui prévoit notamment de criminaliser la diffusion des "fake news" visant à "porter atteinte à l'ordre et à la sécurité publics", ainsi que "l'atteinte à la sûreté de l'Etat et à l'unité nationale", suscite de nombreuses appréhensions, comme en témoignent les réactions en cascade enregistrées depuis quelque jours. Dans un communiqué rendu public, Amnesty International Algérie estime que ce "vague" texte constitue un "soutien flagrant aux mesures de répression prises par les autorités pour faire taire les voix des militants, des journalistes et des opposants". "Cette révision donnerait aux autorités l'autorisation de poursuivre pour faire taire l'opposition et étouffer les voix à l'égard du gouvernement", souligne l'ONG qui appelle au retrait "immédiat" du texte. "Nous appelons les autorités algériennes à abandonner immédiatement ces lois qui violent la liberté d'expression et contreviennent clairement aux lois internationales", note le communiqué. Joint par téléphone, le vice-président de la Laddh, Saïd Salhi soutient, pour sa part, que le projet d'amendement du code pénal, dont il réclame lui aussi le retrait, vise à "donner une couverture légale à la vague d'arrestations opérées parmi les activistes et les journalistes et la censure qui cible les sites d'informations". "Compte tenu du contexte dans lequel intervient son adoption qui s'est faite en catimini, cela confirme ce que nous disions, à savoir que le pouvoir profite de la pandémie de Covid-19 pour étouffer le hirak et l'empêcher de reprendre, une fois qu'elle sera dépassée", soutient-il. Saïd Salhi ne manque pas également d'observer que le concept, comme l'"atteinte à l'unité nationale", à titre d'exemple, déjà relevé par beaucoup d'avocats lors de leurs diverses plaidoiries en faveur des détenus poursuivis pour ce chef d'inculpation, est "confus" et est de nature à "être invoqué" à chaque fois par les autorités judiciaires ou sécuritaires pour justifier de futures arrestations. L'absence de définition par le législateur d'éléments constituants certains concepts comme "atteinte aux institutions", "atteinte à l'ordre public" ou encore "à l'unité nationale" figurent également parmi les lacunes relevées dans l'examen du texte par l'avocat en vue, Me Abdelghani Badi. Dans une vidéo postée sur son compte facebook, Me Abdelghani Badi estime que cette "confusion" offre le pouvoir discrétionnaire aux services de sécurité et aux magistrats de les interpréter à leur guise pour "sévir" contre les activistes. "Ce sont des dispositions qui seront employées contre les opposants politiques dans une période qui connaît une grande répression avec les arrestations et les poursuites judiciaires contre des activistes et des défenseurs des droits de l'Homme", dit-il. Selon lui, la lutte contre les fake news passe par le libre accès à l'information. "Ce sont les sites d'information et les réseaux sociaux qui sont visés par cette disposition", assure-t-il. Les partis politiques ne sont pas en reste. Après avoir appelé au retrait du texte, tout comme celui portant sur la lutte et la prévention contre la discrimination et le discours de la haine, le RCD est revenu hier à la charge pour qualifier ces lois de "liberticides" , lesquelles visent, à ses yeux, à restaurer un ordre politique condamné par l'Histoire. "Cette nouvelle cabale contre la presse qui coïncide avec les nouvelles lois liberticides promulguées par un pouvoir de façade et dictées par les forces de l'ombre renforcent encore l'arsenal répressif élaboré et mis en œuvre depuis vingt ans par l'ancien chef d'Etat déchu. Elles visent à restaurer un ordre politique condamné par l'Histoire et à contrer la volonté d'un peuple décidé à recouvrer sa liberté (…)", écrit-il dans un communiqué en réaction à la censure qui frappe les sites d'informations. Quelques jours plus tôt, c'est le parti de Louisa Hanoune qui avait exprimé ses "inquiétudes" sur le contenu du projet de loi "d'un autre âge" et l'"empressement" à le faire adopter, "dans le cadre d'une procédure d'urgence que rien ne justifie, par un Parlement croupion qui était en congé pour cause de Covid-19". "Le PT exprime son opposition à ce nouveau tour de vis autoritaire qui ouvre la voie à la légalisation de tous les dérapages constatés depuis le 22 février 2019 qui a vu des centaines, voire des milliers de citoyennes et de citoyens arrêté(e)s, interrogé(e)s, mis sous mandat de dépôt, condamné(e)s pour des motifs fallacieux d'‘atteinte à la sécurité de l'Etat et à l'unité nationale' ou encore d'‘atteinte à l'ordre ou à la sécurité publics'". Il exprime son "opposition au rétablissement de façon insidieuse du délit de presse, pourtant formellement aboli en 2016", notait le PT qui a appelé à son retrait. Devant le Parlement, le ministre de la Justice avait affirmé que les auteurs de fake news "exploitent les réseaux sociaux pour répandre la terreur et la peur parmi les citoyens notamment lors de crises ou de situations d'exception", accusant même certains de percevoir de l'argent pour se livrer à des entreprises de déstabilisation des institutions et d'atteinte à l'ordre public.