Notre interlocuteur affirme que les établissements scolaires privés ne seront plus viables sans l'aide des parents d'élèves, tout en appelant l'Etat à assumer sa part de responsabilité, pour permettre la pérennisation de l'activité éducative dans le privé. Liberté : Beaucoup d'écoles privées ont renoncé volontairement aux frais du troisième trimestre, alors que d'autres réclament aux parents de régler 50 à 75% des montants des trois dernières mensualités. Comment expliquez-vous ces décisions disparates ? Salim Aït-Ameur : Nous nous posons la même question. Trois possibilités : elles sont subventionnées par de grosses firmes industrielles, ou commerciales, ou agricoles ; leurs cotisations sont telles qu'elles arrivent à cumuler assez de puissance financière pour couvrir cette période de plusieurs mois ; la troisième possibilité revient à ne pas rémunérer les personnels. Ce qui est, pour nous, totalement inimaginable. Toutefois, nous félicitons ces établissements privés qui peuvent passer ce cap difficile sans l'aide des parents. Des chefs d'établissement privés justifient le paiement du trimestre par les charges fixes, notamment la masse salariale. Si l'on considère que les deux parties sont liées par une relation commerciale, peut-on exiger des parents de payer pour une prestation qu'ils n'ont pas eue ? Rémunérer les personnels n'est pas seulement un justificatif. C'est surtout un devoir et un engagement moral. Des familles sont en souffrance, sans aucun revenu minimum. Les parties (parents/écoles) sont liées par un contrat. Oui. L'engagement des deux parties concerne un projet éducatif sur une année. L'établissement utilise ses ressources (cotisations) selon les besoins de fonctionnement qui s'étalent sur l'année. En cette période de difficulté pour les parents aussi, les établissements (les personnels) ne demandent qu'à rester en vie, pour une reprise certes difficile, après cette crise. Les parents d'élèves sont-ils dans l'obligation d'assurer les salaires des travailleurs employés par l'école ? On ne parle pas d'obligations mais d'accompagnement dans cette crise. Bien entendu, nous comprenons que certains parents soient dans la même situation. Il leur suffit de se rapprocher de leurs écoles et de discuter avec les responsables pour trouver une solution à la situation, puisque là il s'agit de l'avenir des enfants.
À part endosser l'impact économique du confinement aux parents-clients — lesquels ne veulent pas l'assumer au demeurant —, les écoles privées ont-elles envisagé une autre solution pour rester viables ? Il est évident que l'Etat détient la solution à cette situation nationale et mondiale. Il ne peut pas laisser une activité éducative s'éteindre. C'est un problème qui dépasse les capacités du citoyen. Que pensez-vous des chefs d'établissement qui brandissent la menace de ne pas remettre les bulletins de passage et les dossiers scolaires s'ils n'encaissent pas les frais du 3e trimestre ? Le comportement de certains établissements reste inadmissible et ne reflète pas l'école et l'enseignement. En tant qu'association, nous n'adhérons pas à ce genre d'attitude. Comment envisagez-vous l'issue du conflit, qui risque de s'exacerber ? Dans toute crise économique, des pseudo-conflits apparaissent. La réaction des parents est tout à fait légitime. Parents et écoles constituent un ensemble. Ils sont d'un même bord contre cette crise sanitaire et économique. Nous considérons que l'école et les parents souffrent d'un même mal et sont unis par ce mal et par l'avenir des enfants. Les écoles, comme les parents, souhaitent seulement une rentrée honorable. Loin d'eux l'idée de retirer leurs enfants. 300 000 élèves algériens ne peuvent pas se retrouver du jour au lendemain à chercher un établissement d'accueil. Sans compter l'état dans lequel seraient les enfants. Le département de l'Education nationale a mis en ligne des plateformes gratuites de cours en vidéoconférence en sus des cours à la télévision pour les classes d'examen. Quelle plus-value ont apporté les groupes scolaires privés ? Nous savons tous que, pour les enfants, rien ne remplace l'école. Surtout chez nous. Une grande partie de notre population n'est pas prête à l'utilisation domestique de l'enseignement virtuel pour les enfants ou les adolescents. Même à l'école, l'enseignant est aux aguets pour maintenir leur concentration et leur intérêt aux cours. Les cours en vidéoconférence sont des palliatifs limités (une séance par semaine et par matière généralement, en sus des difficultés de concentration et de motivation de l'élève) et sectaires (tous les foyers n'ont pas accès à un réseau internet haut débit). Quelles solutions préconisez-vous pour rattraper les cours du troisième trimestre non dispensés en classe ? Oui, des efforts remarquables sont mis en action pour pallier cette carence cognitive en cette période. Des équipes travaillent pour créer une atmosphère virtuelle intéressante pour les élèves. Pour remettre les enfants "dans le bain" et rattraper ce retard, soyons réalistes, c'est dans l'école que cela se fera. L'établissement aura à aménager du sérieux, de la méthode, du temps et à cibler les connaissances nécessaires pour une continuité efficace sans tomber dans le bâclage. Ce n'est pas une mince affaire. En tant qu'établissements privés, nous avons des équipes pédagogiques qui travaillent justement à prendre en charge et à combler le vide du 3e trimestre. Afin de permettre aux élèves qui passent finalement en classe supérieure avec la moyenne de deux trimestres de ne pas accumuler de lacunes. Ils sont là à préparer une démarche qui permet à nos élèves de passer une année scolaire dans de bonnes conditions, et je pense que c'est normalement une des raisons pour lesquelles les parents choisissent l'écoles privée, pour une bonne prise en charge des enfants dans leur parcours scolaire. Propos recueillis par : Souhila Hammadi