L'insuffisance des vols, les défaillances dans les dispositifs de recensement et le manque de communication exacerbent la détresse d'innombrables compatriotes bloqués dans l'Hexagone depuis l'interruption du trafic aérien et maritime le 18 mars dernier. Certains n'ont plus d'argent pour financer leur séjour forcé et doivent justifier, auprès des préfectures, la prolongation de leur présence sur le sol français. Son espoir renaît le 30 avril lorsqu'elle apprend que deux Airbus d'Air Algérie sont arrivés à l'aéroport parisien de Roissy-Charles-de-Gaulle pour rapatrier des Algériens, bloqués comme elle, en France, pour cause d'épidémie de coronavirus. Mais Lamia a très vite déchanté. À ce jour, personne n'est capable de lui dire quand elle pourra prendre l'avion. "Lorsque je parviens à joindre l'ambassade d'Algérie, on me demande de patienter tout en m'assurant que la fréquence des vols va augmenter", rapporte la jeune fille complètement dépitée. Son unique planche de salut tient dans un formulaire d'enregistrement qu'elle a rempli sur une plateforme mise en ligne par le ministère des Affaires étrangères entre le 9 et le 23 avril, pour recenser le nombre d'Algériens en voyage à l'étranger. "Depuis, je compte les jours et le peu d'argent qui me reste pour subvenir à mes besoins. Ma sœur chez laquelle je suis venue en vacances est elle-même dans une situation financière très tendue. Elle a perdu son travail à cause de la crise sanitaire et a un enfant à charge. Pour nous deux, le quotidien devient vraiment difficile", soutient la jeune fille. Arrivé à Paris, la fin du mois de février à Paris pour un stage, Anis se retrouve également dans la précarité. Sa formation ayant été interrompue pour cause de confinement, il a ensuite dépensé tout son argent pour continuer à louer une chambre d'hôtel. Sans l'hospitalité d'une connaissance familiale, il se serait retrouvé à la rue. Alors, quand il apprend lui aussi qu'Air Algérie a envoyé deux avions de rapatriement à Paris, il s'est empressé d'appeler une des agences de la compagnie et l'ambassade pour savoir si son nom figure sur une prochaine liste de départs. Il a même écrit des courriels, y compris aux AE à Alger. Mais ses demandes d'informations sont restées sans réponse. En désespoir de cause, Anis a dû se déplacer plusieurs jours de suite à l'aéroport pour voir si de nouveaux avions arrivaient. "Je n'étais pas le seul sur les lieux. Certains compatriotes voulaient carrément camper sur place", fait-il savoir. En attendant de pouvoir regagner l'Algérie, l'infortuné stagiaire doit demander une nouvelle prolongation de visa. La préfecture vient de lui transmettre une liste de documents à fournir. En plus des justificatifs attestant qu'il ne peut pas regagner l'Algérie pour des raisons sanitaires, Anis doit avoir souscrit à une assurance personnelle pour la durée du séjour prolongé. Atteinte par la Covid-19 et loin de chez elle Cette assurance a notamment permis à la mère de Fatah de bénéficier de soins gratuits après avoir contracté le coronavirus. "Elle est complètement guérie aujourd'hui. Mais son séjour restera inoubliable pour toutes les mauvaises raisons", regrette-t-il. La vieille dame est si traumatisée par ce qu'il lui est arrivé qu'elle n'a qu'une envie : repartir et retrouver sa maison. "J'ai appelé plusieurs fois l'ambassade pour demander qu'on la rapatrie en priorité. Mais rien n'a été fait", explique son fils, inquiet. Sur un groupe Facebook intitulé "les Algériens bloqués en France", ils sont des dizaines à se relayer sur le fil d'actualité pour crier leur ras-le-bol et leur désarroi. Yasmina a choisi, elle aussi, ce canal pour dénoncer l'opacité qui entoure l'opération de rapatriement. Moins chanceuse que beaucoup d'autres, elle n'a pas pu s'inscrire sur la plateforme de recensement des AE. "J'ai appris son existence uniquement après qu'elle soit fermée. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi elle n'est plus en service", s'emporte notre interlocutrice qui attend désespérément la réouverture des frontières pour pouvoir, enfin, retourner en Algérie. Les autorités sont à leur seconde opération de rapatriement des Algériens depuis l'Hexagone. En mars dernier, des vols avaient été organisés dans des conditions lamentables. En dépit du confinement, beaucoup de compatriotes avaient pris le risque de se rendre à l'aéroport d'Orly. Ce qui avait créé un véritable chaos. "Pourquoi Air Algérie ne publie-t-elle pas un programme de vols comme l'a fait Air France ? Sur quelle base s'est faite la sélection des personnes qui ont été rapatriées ? Quand va-t-on mettre fin à notre galère ?" enrage Amel, en France depuis le 7 mars. Bien qu'il ne soit pas admis comme prioritaire (car il est résident en France), Nassim a pourtant une bonne raison de vouloir partir en Algérie, au plus vite. Sa mère est décédée le 19 mars dernier. Trois jours auparavant, il devait prendre l'avion pour être présent à son chevet, mais son vol a été annulé pour cause de fermeture des frontières. "J'ai assisté à l'enterrement par vidéo, triste et frustré par l'idée de ne pas pouvoir être sur place, auprès de mon père et de mes jeunes sœurs", confie le jeune Algérien de Nice. Seul dans sa douleur et complètement désemparé, il a commencé par solliciter le consulat puis l'ambassade à Paris, pour pouvoir bénéficier d'un rapatriement en priorité. Nassim s'est ensuite adressé à Samir Chaabna, un des députés de l'émigration en France, pour demander de l'aide. Mais à ce jour, le fameux coup de fil de la délivrance, celui que les services consulaires donnent aux personnes admises sur des vols de rapatriement, n'est pas arrivé. "Je ne dors pas la nuit par peur de rater leur appel car j'ai appris qu'ils contactent les gens à des heures parfois très tardives pour leur annoncer un départ pour le lendemain", assure Nassim. Selon lui, cette façon de faire s'expliquerait par le souci des autorités diplomatiques d'éviter que l'information soit diffusée et pousse d'autres personnes en attente de rapatriement à se ruer à l'aéroport. "Le problème est que je suis très loin de Roissy. Je risquerai de rater mon vol si je suis prévenu la veille très tard", craint Nassim. Comme d'autres, il pense que l'Etat algérien doit augmenter la fréquence des vols et affréter, pourquoi pas, des ferries. À l'ambassade d'Algérie à Paris, on assure pourtant que tous les moyens sont déployés pour permettre à tous les Algériens bloqués dans l'Hexagone de regagner l'Algérie aussitôt que possible et dans les meilleures conditions. Des sources diplomatiques font savoir qu'une cellule de crise a été mise en place dès la fermeture des frontières pour gérer le dossier. "Tous les employés de l'ambassade et des consulats sont mobilisés pour répondre aux appels de nos compatriotes", assurent nos interlocuteurs. Ces derniers révèlent, par ailleurs, qu'en plus de Roissy, d'autres aéroports comme celui de Marseille et de Lyon devront abriter prochainement d'autres opérations de rapatriement. Il est aussi question d'utiliser l'aéroport d'Orly qui rouvrira normalement le 26 juin. "Nous comprenons la grande situation de stress dans laquelle se trouvent nos ressortissants. Mais il faut savoir que ce problème ne se pose pas seulement à l'Algérie. Tous les pays du monde sont concernés", nous explique-t-on. À la question de savoir pourquoi la plateforme de recensement et d'enregistrement des Algériens bloqués à l'étranger a été fermée, nos interlocuteurs font savoir que le délai imparti (deux semaines) était amplement suffisant pour permettre aux concernés de s'inscrire. Le nombre des inscrits est d'ailleurs le seul indice qui a été pris en compte pour évaluer le nombre des Algériens se trouvant actuellement coincés en France. 3 000, selon des statistiques dévoilées dernièrement. Or, ce chiffre est loin de refléter la réalité car, justement, beaucoup de compatriotes n'ont pas été recensés.