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"Le patrimoine bâti amazigh est en totale désuétude"
Azzedine Guerfi, président de l'association des "Amis d'Imedghassen"
Publié dans Liberté le 24 - 06 - 2020

Cette association créée en 2010 s'est fixé pour objectif "la préservation et la valorisation du tombeau d'Imedghassen" de Batna. Azzedine Guerfi revient sur l'histoire de ce monument, considéré comme "le seul témoin d'une civilisation berbère très ancienne" et sur le "patrimoine bâti amazigh qui doit rester la priorité des pouvoirs publics".
Liberté : Dernièrement, d'anciennes photos du tombeau d'Imedghassen ont refait surface sur les réseaux sociaux...
Azzedine Guerfi : Je profite de cet entretien pour donner des éclaircissements : la première photo montrant une grue soulevant les grosses pierres de taille, près du tombeau d'Imedghassen légendée "On est en train de détruire Imedghassen", est un cliché pris lors de la première phase des travaux de restauration d'lmedghassen, qui s'est déroulée du 6 juin au 10 novembre 1973. La deuxième est une photo satellite ou prise par un drone, montrant le tombeau d'Imedghassen avec une double voie, légendée : "On est en train de construire une voie rapide près d'Imedghassen."
Ce que nous voyons sur l'image satellite, c'est le reste d'une toute petite partie de l'ancienne route de l'époque coloniale qui passait tout près du monument. Par ailleurs, la nouvelle route construite pas loin du site représente un danger, car elle est devenue un raccourci pour les automobilistes des wilayas de Khenchela et de Tébessa pour rejoindre l'autoroute Est-Ouest. L'augmentation du trafic routier fragilisera davantage le monument.
Beaucoup ne connaissent pas l'histoire de ce monument. Est-il possible de revenir sur ses origines, son histoire et sa particularité ?
L'analyse de l'architecture du monument et des datations au radiocarbone, effectuées il y a une quarantaine d'années par le préhistorien Gabriel Camps, ont permis de faire remonter sa construction au tout début du IIIe siècle avant J.-C. Le repère chronologique et la situation du mausolée dans l'aire de mouvance de la dynastie numide des Massyles permettent ainsi d'attribuer Imedghassen à un des ancêtres de Gaya, père de Massinissa. Imedghassen procède, de par sa forme et ses aménagements, d'une tradition architecturale berbère. Il peut être considéré comme le seul témoin d'une civilisation berbère très ancienne.
Aussi monumental que soit le mausolée d'Imedghassen, aucun texte ancien le concernant ne s'est conservé, ce n'est qu'au XIe siècle qu'il sera mentionné par l'historien Al-Bekri comme le "Qabr Madghous", le tombeau de Madghous, un des ancêtres mythiques des Berbères, nom qui figure dans la généalogie rapportée au XIVe siècle par Ibn Khaldoun Il est signalé au XVIIIe siècle par des voyageurs européens de passage dans la région, dont l'Anglais Shaw en 1734, mais les premières explorations à visées scientifiques n'auront lieu qu'à partir du milieu du XIXe siècle, suite à l'occupation française. Ce que nous connaissons du XIXe siècle est rapporté par des descriptions et des travaux de militaires français.
Le tombeau a fait office de projet pilote dans le cadre du programme d'appui à la protection et la valorisation du patrimoine culturel en Algérie (signé en 2012 avec l'Union européenne)... Les objectifs ont-ils été atteints ?
Non, malheureusement les objectifs n'ont pas tous été atteints, pour ne pas dire que c'est un échec. Pour des raisons purement bureaucratiques, le ministère de la Culture a disposé d'une marge de décision et de prérogatives l'impliquant dans toutes les phases d'exécution, de suivi de réalisation et de contrôle du projet de restauration et de préservation d'Imedghassen, qui ne peut l'exempter de sa responsabilité, en rejetant, fin 2018, l'échec du projet sur le bureau d'études. Quand bien même ce dernier serait déficient, le ministère de la Culture se devait, dans tous les cas, d'encadrer et de superviser les rendus de ce bureau d'études. Occasion manquée pour l'Algérie de voir un fleuron de son architecture numide sécurisé et mis en valeur, malgré les ressources financières mises en place et les équipes scientifiques mobilisées dans le cadre de ce programme. Malgré tout, quelques actions ont été menées et qui nous permettrons de progresser sur la prise en charge du monument :
-Des relevés architecturaux photogrammétriques et au laser scanner 3D, par une équipe d'experts internationaux avec une formation sur ces techniques de quelques cadres du secteur de la culture, ce qui a permis d'obtenir une représentation graphique du tombeau sur la base d'un modèle 3D.
-Le sondage archéologique dirigé par l'équipe de Mahfoud Ferroukhi en vue de compléter l'état des connaissances et de conservation sur les fondations du mausolée pour l'étude de sécurisation.
-Le plan de protection et de mise en valeur du site archéologique d'Imedghassen qui est à sa 2e phase, dont l'élaboration se fait sous l'autorité du ministère de la Culture et de la wilaya de Batna. Ce plan fixe les règles générales d'organisation, de construction ou encore d'architecture. Nous sommes encore en attente des résultats de cette étude.
Y a-t-il une volonté politique pour la sauvegarde de ce mausolée ?
Près de 60 ans après le recouvrement de notre indépendance, le patrimoine bâti amazigh est en totale désuétude. Le monument funéraire Imedghassen, au même titre que le mausolée royal de Tipasa, les djeddars de Tiaret, le tombeau de Massinissa d'El-Khroub, le tombeau de Syphax à Aïn Témouchent, nécessite des mesures de protection concrètes... Après la constitutionnalisation de tamazight comme langue nationale et officielle, la protection, la restauration et la valorisation du patrimoine bâti amazigh doivent rester la priorité des pouvoirs publics afin de participer à la consolidation de notre identité nationale.
Une décision hautement politique doit être prise. Après "Tlemcen, capitale de la culture islamique" en 2011, "Constantine, capitale de la culture arabe" en 2015, il nous revient de lancer dès maintenant l'idée d'une année consacrée au "patrimoine amazigh". Cet héritage qui est dans un état presque d'abandon, le mausolée d'Imedghassen figure depuis 2002 sur la liste indicative du patrimoine culturel de valeur universelle exceptionnelle susceptible d'inscription sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco, et à ce jour aucune action n'est menée dans ce sens malgré nos multiples appels pour son classement sur la liste du patrimoine mondial.
Quels sont vos projets en cours pour la mise en valeur d'Imedghassen ?
L'association a lancé un projet de documentaire scientifique, anthropologique et préhistorique sur le tombeau d'Imedghassen, avec des institutions et partenaires. Le projet est en cours d'étude. L'association a programmé de relancer dès octobre prochain une série de journées d'études pour la prise en charge effective de ce mausolée avec tous les partenaires institutionnels, au niveau local et national et avec l'appui d'une expertise étrangère. Ce sont là les engagements que le ministère de la Culture a pris lors de la visioconférence organisée dernièrement, qui a eu pour thème le mausolée d'Imedghassen, présentée par Mahfoud Ferroukhi (universitaire et archéologue).


Entretien réalisé par : Hana Menasria


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