Sa chute brutale n'a d'égale que son ascension fulgurante. Il y a peu, on lui prêtait encore de s pouvoirs insoupçonnés, voire disproportionnés. Mais, voilà qu'il finit désormais par rejoindre, comme d'autres avant lui, la prison militaire. L'ex-directeur général de la sécurité intérieure (DGSI), Ouassini Bouazza, a été condamné mardi par la Cour d'appel militaire de Blida à huit ans de prison ferme assortie d'une amende de 500 000 DA. Principaux griefs retenus contre lui : "Outrage verbal à corps constitués, humiliation d'un subordonné, faux et usage de faux et détention d'une arme et de munition de guerre". "Conformément à l'article 11, alinéa 3 du code de procédure pénale et dans le cadre du strict respect de ses dispositions, M. le procureur général militaire près la Cour d'appel militaire de Blida porte à la connaissance de l'opinion publique qu'une audience contradictoire a eu lieu ce jour, 23 juin 2020 au Tribunal militaire de Blida, pour statuer dans le dossier préliminaire de l'ex-directeur général de la Sécurité intérieure, le général Ouassini Bouazza, pour les chefs d'inculpation d'outrage verbal à corps constitués, humiliation d'un subordonné, faux et usage de faux et détention d'une arme et de munition de guerre catégorie IV, des faits prévus et punis par les articles 144 et 222 du code pénal, 4 et 32 de l'ordonnance 06/97 du 21/01/1997 relative aux matériels de guerre, armes et munitions, et 320 du code de justice militaire", a indiqué brièvement un communiqué de la Cour militaire de Blida repris par l'agence officielle. Mais, comme souvent en pareilles circonstances, encore plus lorsqu'il s'agit de procès touchant à des responsables de la hiérarchie militaire ou aux services de renseignements, nous ne saurons pas grand-chose. Ni le jour de la convocation de ce "sulfureux" personnage, si l'on se fie à la description dépeinte de lui par certaines sources, ni les détails sur les faits qui lui sont reprochés et encore moins son parcours. On sait seulement qu'il a été déchu de sa couronne en avril dernier après des fuites organisées dans la presse faisant état de son arrestation en compagnie d'autres responsables. Une information vite démentie par le ministère de la Défense le 18 avril dernier évoquant des "manipulations". "Certains sites électroniques et réseaux sociaux ont fait circuler, hier, vendredi 17 avril 2020, de fausses informations et des rumeurs concernant le limogeage et l'arrestation d'un nombre de chefs de structures centrales et de cadres supérieurs au sein de l'Armée nationale populaire. Le MDN dément catégoriquement ces allégations tendancieuses colportées par des porte-voix et des parties malintentionnées qui n'ont pas digéré les changements initiés par Monsieur le président de la République, chef suprême des Forces armées, ministre de la Défense nationale, tentant vainement de semer la confusion et le trouble au sein des rangs de l'ANP, qui demeurera à jamais le rempart impénétrable qui préserve notre Patrie des complots et des conspirations", avait indiqué le MDN dans un communiqué. Quelques jours plus tôt, la télévision publique montrait les images du chef d'état-major de l'ANP par intérim, Saïd Chengriha, installant Abdelghani Rachdi à la tête de la DSI par intérim. Dans une allocution lourde de sens, Saïd Chengriha lance à l'adresse des cadres appelés à travailler sous les ordres du nouveau patron du contre-espionnage : "Je vous ordonne d'exercer sous son autorité et d'exécuter ses ordres et ses instructions dans l'intérêt du service, conformément au règlement militaire et aux lois de la République en vigueur, et par fidélité aux sacrifices de nos vaillants chouhada et aux valeurs de notre glorieuse Révolution." Pour les initiés, ce rappel suggérait l'issue d'un bras de fer et une mise en garde à peine voilée contre ceux qui seraient tentés de travailleur avec le patron déchu. Et pour cause : l'homme ne semblait pas être dans les bonnes grâces de l'establishment politico-militaire. Arrivé en avril 2019 par la grâce du défunt chef d'état-major Ahmed Gaïd Salah, après avoir occupé le poste de directeur des infrastructures militaires au MDN, Ouassini Bouazza se serait très vite imposé comme une pièce importante dans le cercle de la décision. On lui prête notamment d'avoir été l'un des architectes de la stratégie de la ligne dure adoptée pour mater le mouvement populaire. Une stratégie dont les contours commençaient à apparaître avec les multiples arrestations qui ont ciblé nombre de figures du hirak. Sa puissance était telle qu'il avait la haute main sur nombre de dossiers et qu'il était derrière la nomination de certains ministres, walis et autres responsables à divers niveaux, selon les informations qui fuitaient par intermittence dans la presse. On soutient même qu'il aurait parrainé la candidature d'Azzedine Mihoubi lors de la présidentielle de décembre dernier. Un choix, au regard de l'issue du scrutin, qui aurait probablement signé sa chute. Car dès l'arrivée d'Abdelmadjid Tebboune aux commandes, des rumeurs avaient circulé sur son imminent limogeage. Reste qu'à l'examen des griefs retenus contre lui, on peut également déceler le caractère du personnage, mais aussi l'étendue de son pouvoir. Sa condamnation de mardi ne recouvre qu'une partie de ses agissements, comme le suggère en filigrane le communiqué de la Cour militaire de Blida. "Le jugement a été rendu dans cette affaire en attendant d'autres procès d'affaires en cours d'instruction", note le communiqué. Y serait-il également lié ? On l'ignore. Mais sa chute brutale signe le clap de fin d'un homme dont le rôle a été particulièrement controversé, notamment dans la "gestion" du hirak, et dont l'influence tentaculaire ne faisait pas consensus au sein du milieu si opaque du renseignement.