Malgré l'arrêté interministériel du 31 mai dernier, une multitude de verrous administratifs bloquent le rapatriement vers l'Algérie des dépouilles de personnes décédées du coronavirus. D'autres difficultés liées à la délivrance des documents inhérents, par les hôpitaux français, viennent accentuer la détresse des familles. Malgré le feu vert du gouvernement, des Algériens installés ou en voyage en France au moment du confinement, butent encore sur une multitude d'obstacles bureaucratiques qui retardent le rapatriement des défunts. Pour des considérations religieuses, d'autres familles doivent attendre au minimum un an, avant d'exhumer les corps de leurs proches et pouvoir leur offrir une dernière sépulture en Algérie. En cause, une multitude de verrous administratifs que l'arrêté interministériel du 31 mai dernier (sur l'autorisation de rapatriement des dépouilles de personnes décédés du coronavirus) n'est pas parvenu à faire sauter. Mohamed, 83 ans, est décédé le 21 avril dernier à Lyon, dans le sud de la France, mais sa famille attend toujours de pouvoir rapatrier son corps et l'enterrer à Annaba, en Algérie. "Nous nous sommes d'abord trouvés confrontés au refus du consulat de Lyon, qui a attendu plusieurs jours avant d'autoriser le transfert sous prétexte qu'il n'avait pas reçu le texte de l'arrêté. À Annaba, la mairie dit aussi ne pas avoir été destinataire de la décision ministérielle", témoigne Assia, l'une des filles de Mohamed. La jeune femme a dû, elle-même, fouiller sur internet pour trouver une copie du Journal officiel, la télécharger et l'envoyer au maire, dans l'espoir d'obtenir enfin un permis d'inhumation. Sauf que rien n'est encore fait. "Mon père n'a jamais souhaité être enterré ailleurs que sur sa terre natale. Il avait tout mis en ordre pour nous faciliter la tâche, y compris en prenant une assurance obsèques qui devait couvrir les frais de rapatriement de sa dépouille", s'épanche Assia avec une grande tristesse. Le vieillard, assez bien portant, avait été conduit à l'hôpital à la mi-avril, après une mauvaise chute dans la salle de bains. Sur place, le personnel soignant découvre qu'il a de la fièvre et le transfère par précaution dans une unité de prise en charge des malades de la Covid-19. "Nous n'avons pas compris la décision des médecins car aucun test n'avait été effectué pour déterminer si mon père était infecté ou pas", observe sa fille. À sa mort, le doute n'est toujours pas levé. Le certificat de décès ne comporte aucune motion de référence au coronavirus. Mais cela n'a pas empêché les services hospitaliers de mettre le corps en bière immédiatement . Pressée par le temps, la famille du défunt prend attache avec une société musulmane des pompes funèbres, avec l'intention de rapatrier son corps en Algérie. En plus de l'acte de décès, l'agence exige la mise à sa disposition d'un certificat de non-contagion, indispensable pour la validation de l'opération de transfert par les autorités consulaires. Jusqu'au 31 mai en effet, des autorisations étaient délivrées uniquement pour le rapatriement des dépouilles de personnes décédées pour d'autres motifs que le coronavirus. "L'hôpital n'a pas voulu nous délivrer le certificat de non-contagion. Bloqués chez nous à cause du confinement, nous avons ensuite essayé de joindre, pendant plusieurs jours, le consulat de Lyon, pour pouvoir nous entretenir avec un responsable et lui expliquer la situation. Mais personne ne répondait au téléphone", déplore Assia. La famille s'est ensuite tournée vers Abdellah Zekri, membre du Conseil français du culte musulman (CFCM), qui a appelé le consul en personne pour tenter de dénouer la situation. "Le certificat de décès ne faisait pas mention de la Covid-19. Le rapatriement était donc possible", fait remarquer le religieux excédé. Selon lui, beaucoup de familles algériennes de France qui ont perdu des proches pendant la crise sanitaire ont enduré, en plus de leur deuil, une série de tracas administratifs. Les personnes ayant été affectées par des morts imputées à la Covid-19, encore plus. "Au lieu de placer leurs proches dans des caveaux provisoires, beaucoup ont dû se résoudre à les enterrer définitivement en France", explique M. Zekri qui déplore un manque de communication de la part des autorités algériennes sur le sujet du rapatriement des victimes du coronavirus. "Nous étions livrés à notre sort pendant toute la période de confinement. Personne n'a été capable de nous dire que le transfert des dépouilles pouvait avoir lieu plus tard", raconte Djalal, dont la grande sœur, Fatima, est décédée le 31 mars à l'hôpital d'Evry, dans l'Essonne. Natifs de Saïda, Djalal et sa famille vivent depuis trois générations dans l'Hexagone. Mais après leur mort, les aînés ont pu retourner reposer sous terre auprès de leurs ancêtres. Pour Fatima, les choses ont dû se passer autrement, plus tristement. "Ses funérailles ont été expéditives. Comme s'il s'agissait d'un colis. La savoir enterrée au milieu d'inconnus, loin des tombes de nos parents, me brise le cœur", dit le frère éploré. Mohamed Guendouz, ancien imam et gérant d'un service de pompes funèbres, à Valenciennes, dans le nord de la France, estime que certains de ses confrères n'ont pas fait leur travail convenablement, en conseillant les familles de placer, par mesure de sûreté, les dépouilles de leurs proches dans des caveaux provisoires. Il va plus loin en reprochant à certaines agences de faire du business sur le dos des personnes endeuillées. "Dans bien des cas, les aumôniers d'hôpitaux ont joué le rôle de rabatteurs", accuse notre interlocuteur. Dans le nord de la France où la Covid-19 a largement circulé, le nombre des décès est monté en flèche entre mars et avril. Pendant cette période, M. Guedouz s'est occupé de l'organisation d'une dizaine de funérailles liées au coronavirus. "J'ai persuadé tous ceux qui aspiraient à enterrer leurs défunts en Algérie de louer des caveaux provisoires, en attendant le dénouement de la crise sanitaire. Les familles étaient déjà suffisamment frustrées d'apprendre que leurs proches ne pouvaient pas bénéficier de la toilette mortuaire et d'un linceul. Envisager qu'ils soient enterrés loin de l'Algérie était tout bonnement insupportable", explique l'ancien imam. Le désarroi trahit, justement, la voix de Yasmina qui a perdu sa tante le 2 mai. La vieille dame de 88 ans a été inhumée de façon définitive, quatre jours plus tard, dans une grande précipitation. Au plan religieux, explique M. Zekri, il faut attendre un an et un jour pour exhumer le corps d'une personne se trouvant dans une concession perpétuelle. "C'est pour cette raison, dit-il, que nous conseillons aux familles d'avoir recours aux caveaux temporaires." Or, cette information, personne ne l'a donnée à Yasmina et à ses cousins. "Les pompes funèbres nous ont simplement dit qu'il n'était pas possible de rapatrier la dépouille de ma tante car son certificat de décès mentionne qu'elle est morte du coronavirus", narre la jeune femme. Outre l'agence funéraire, notre interlocutrice s'attaque à l'hôpital qui a conclu au décès de sa tante à cause du virus sans l'avoir testée. "Elle a été admise aux urgences, après une intervention du Samu, pour une bronchite aiguë. Le lendemain, elle a rendu l'âme en présence de ses enfants. Le médecin qui a délivré un certificat de décès Covid est resté par la suite injoignable", atteste Yasmina. Il a été aussi très difficile pour la famille de prendre attache avec le consulat d'Algérie à Lille. Après plusieurs tentatives, la réponse des responsables est tombée tel un couperet : "Pas de rapatriement pour les morts de la Covid-19." "On ne nous a laissé aucune lueur d'espoir. De son vivant, ma tante n'a cessé de dire qu'elle voulait être enterrée aux côtés de ses trois enfants, à Gouraya. Elle a vécu 50 ans en France, dans l'attente de reposer auprès d'eux. Ce n'est pas Dieu, mais les hommes qui ont en décidé autrement", épilogue Yasmina, déchirée.