Les médecins s'interrogent sur les raisons à l'origine de la décision de suspendre le recours à l'utilisation du scanner dans la détection précoce des cas infectés au coronavirus. Les dernières décisions liées à la gestion de la crise sanitaire et annoncées par les autorités sanitaires semblent être équivoques et suscitent des interrogations parmi la communauté médicale scientifique et le personnel soignant qui est encore sur le front de lutte contre la Covid-19. Elles ne font pas l'unanimité. Les personnels médicaux craignent, en ces moments sensibles de reprise épidémique, l'affaissement du système hospitalier. Les hôpitaux sont submergés ce qui fait d'ailleurs craquer les médecins qui affichent même des signes de burn-out. Les hospitalisations augmentent parallèlement à la multiplication de grands foyers de contaminations signalés dans plusieurs wilayas, notamment à Oran e t Sétif. La wilaya de Sétif, qui a franchi la barre de 1 350 cas, a recensé en une semaine 364 nouveaux porteurs du virus. C'est dire que la pandémie continue de frapper de la manière la plus forte dans le pays. Ce tableau clinique et épidémiologique affligeant semble être partagé par tous les soldats aux blouses blanches qui bataillent au péril de leur vie contre cet ennemi invisible. Ces derniers s'interrogent d'abord sur les raisons inavouées liées à l'origine de la décision de "suspendre" l'utilisation du scanner dans la détection précoce des cas infectés au coronavirus. "La décision d'arrêter l'utilisation des scanners obéit à une seule raison, celle de parvenir à récupérer autant que possible des lits en ces temps de grande crise épidémique. La demande dépasse de très loin l'offre réelle des hôpitaux. Où sont les 6 000 places en soins intensifs que ne cesse de crier sur tous les toits le ministère de la Santé", regrettera, hier, un médecin spécialiste garde dans un CHU d'Alger. Il enchaînera pour démontrer le décalage existant entre le discours officiel appuyé par les scientifiques de la tutelle et la réalité quotidienne des hôpitaux. "Aujourd'hui, je ne sais plus comment faire face à des cas qui sont entre la vie et la mort. J'ai un malade fortement atteint de coronavirus dont les lésions ont dépassé le seuil des 75%. Un tel cas clinique nécessite en urgence des soins intensifs, mais la réanimation affiche complet. Où sont passés les 5 000 respirateurs ?", déplorera ce spécialiste qui semble être au bout du rouleau. Ces propos témoignent bien de la détresse des soignants qui ne savent plus à quel saint se vouer pour faire face à la persistance de l'épidémie dans le pays. Un autre spécialiste à Alger n'y est pas allé avec le dos de la cuillère pour condamner la mesure du ministère qui décrète "la trêve des scanners" dans la détection du Covid-19. "Les autorités auraient dû, avant de prendre une telle décision, penser à régler le problème des tests par la PCR qui connaissent une pénurie depuis deux semaines. Le ministère cherche en fait à vider les hôpitaux et récupérer des lits. Autrement dit, l'hôpital n'aurait plus à faire face au flux interminable de personnes nécessitant une hospitalisation après l'examen au scanner. Tous les malades seront désormais testés par la PCR. Outre la pénurie de ces tests, les résultats ne sont rendus que 3 à 5 jours plus tard par l'Institut Pasteur, ce qui laisse le temps aux autorités hospitalières de récupérer et de gérer les places d'hospitalisation. C'est la politique de l'autruche. Il faut savoir, à ce propos, que sur 100 malades hospitalisés, seuls 30 sont confirmés par la PCR. Une gestion à échec", déplorera notre interlocuteur. Rupture de stock des kits de dépistage pour PCR Pour ces derniers, le recours à des hôtels afin d'atténuer la pression sur les hôpitaux est une preuve supplémentaire que les autorités sanitaires sont désarçonnées, alors que le pays est en train de traverser un boom épidémique. Plus de 2 500 patient pris en charge après scanner ont bénéficié, en 24 heures, de la chloroquine. Les chiffres rendus publics ces derniers jours par l'instance de veille sanitaire font craindre le pire. L'autre question soulevée par les médecins toujours en première ligne est la rupture de stocks en kits de dépistage pour PCR (écouvillon + kit de transport). Les soignants rappellent que ce manque persiste depuis le début du mois de juin. "Le véritable boom de l'épidémie ne fait que commencer, si l'on se réfère aux chiffres officiels des contaminations. L'Institut Pasteur distribue une moyenne de 40 kits PCR par semaine, alors que des établissements hospitaliers font face à une soixantaine de malades par jour. On doit trouver une solution à ce monopole de l'IPA qui n'a pu réaliser à ce jour que 100 000 tests PCR, alors que nos voisins ont testé avec la PCR plus de 700 000 personnes. Si la crise persistait, on finirait par demander aux malades de se présenter directement à l'Institut Pasteur pour faire les tests", menaceront des biologistes des hôpitaux d'Alger. Cependant, la solution des tests rapides n'est pas recommandée, parce que la période d'incubation est longue, autrement dit, le délai entre la contamination et le début des symptômes s'avère être long. Les professeurs Brouri, Semrouni, Bessaha, Zidouni, Kezzal, Reggabi ont d'ailleurs rappelé dans une tribune, publiée jeudi, que "les tests rapides seront plus efficaces lors de la période post-Covid-19 pour le dépistage de masse et certaines études épidémiologiques". La dernière instruction du ministère de la Santé datée du 1er juillet et relative à l'utilisation des équipements de protection par le personnel de la santé fait l'objet de critiques acerbes par des médecins notamment, puisque leurs collègues continuent d'être contaminés durant l'accomplissement de leur mission. "Pas moins de 11 médecins résidents ont été contrôlés positifs au CHU de Bab El-Oued rien que durant la journée de jeudi. Ce constat chiffré montre malheureusement que nos médecins qui font face aux malades atteints de Covid-19 ne sont pas protégés", déplorera un médecin exerçant à Parnet. Là aussi, d'autres soignants ne manquent pas de remettre sur le tapis la question des moyens de protection de ces professionnels de la santé. Une telle note didactique relative à l'utilisation des moyens de protection devait être promulguée quatre mois avant le début de la crise, alors que nos collègues sont de plus en plus nombreux à être affectés par la Covid-19 ces derniers jours. Ce qui témoigne de l'urgence de procéder à la révision de la chaîne de protection dans les hôpitaux, puisque le ministère reconnaît dans sa note du 1er juillet la mauvaise utilisation des moyens de protection, qui a engendré l'augmentation du nombre de cas Covid chez le personnel de santé. La pandémie du mois de juin et début juillet ne ressemble pas à celle qui sévissait en mars et avril derniers, d'où la necessité d'un nouveau plan d'urgence spécial pour réduire les nombreuses zones d'activité du virus.