Avec ses paysages à couper le souffle, le plateau de Tizi Oujaâvouv fait incontestablement partie de ces sites paradisiaques de la région de Kabylie. À proximité du lac Agoulmim, Tala Guilef et Tikjda, Tizi Oujaâvouv, localité située dans la commune de Bounouh, à la lisière de la wilaya de Bouira, est de ces endroits du massif du Djurdjura à ne pas manquer pour les amoureux de la nature et de la montagne. Le soleil commence déjà à devenir brûlant en cette matinée de début juillet lorsque nous entamons la montée vers ce site qui aurait pu faire office d'une station de montagne mais qui demeure malheureusement toujours en jachère. Nous empruntons le chemin intercommunal entre Bounouh et Bouira qui traverse plusieurs villages accrochés aux montagnes tels Ath Talha ou encore Helouane avec leurs belles maisons et villas construites grâce aux émigrés. Sur ce chemin qui serpente la montée, notre guide nous propose une halte au mausolée cheikh Ben-Abderrahmane, ce haut lieu historique et religieux qui a été longtemps un centre de rayonnement religieux et culturel, aujourd'hui, à l'abandon. Selon notre guide, les derniers disciples ont quitté les lieux, il y a deux ans, parce que la zaouïa ne trouve plus de ressources pour continuer à fonctionner. "On l'appelle la zaouïa cheikh Sidi-Aderrahmane. On raconte que le cheikh a deux tombes, l'une ici à Baâli, son village natal et l'autre à Alger, c'est pourquoi on l'appelle cheikh Ben Abderrahmane Bou Qobrin. Il est le père fondateur de la tariqa errahmania. Au milieu des années 80, le lieu grouillait de monde, aujourd'hui il est tout simplement fermé aux visiteurs", explique une personne d'un âge certain accostée devant le portail de la zaouïa. Notre voyage se poursuit sur cette route sinueuse bordée de lentisques, de ronces et d'autres plantes encore odorantes, même en ce début de l'été. Le couvert végétal est tellement dense que les rayons de soleil ne traversent pas ces maquis. Avec l'ombre de ces hauts arbres et la fraîcheur des lieux, on se croirait toujours au printemps. Le plus impressionnant dans ce massif est que l'eau coule à flots durant tout l'été. Même si l'hiver n'a pas été très pluvieux, il y a lieu quand même d'évoquer ces belles cascades qui ajoutent à la beauté de ces endroits enchanteurs où l'on entend le gazouillement d'une multitude d'oiseaux et où la végétation est encore verte. Devant "thala oujaâvouv", une source naturelle très prisée pour son eau limpide, claire et fraîche, des véhicules commencent déjà à se garer. Si certains s'arrêtent pour se rafraîchir, d'autres y remplissent leurs jerricans. "Les gens viennent de partout. Si vous avez remarqué, son eau coule sans être emmagasinée dans un réservoir parce que les responsables du village ont décidé de laisser déverser son eau dans ce ruisseau pour permettre aux bêtes de s'y abreuver", explique notre accompagnateur. Et de poursuivre : "Elle est potable. Elle vient directement de la montagne. Il y a même un projet de la capter et de la drainer jusqu'au réservoir de Helouane. Elle pourra alimenter au moins quatre à cinq villages. Et puis, c'est une eau de très bonne qualité. On attend toujours ce projet de grande utilité pour une grande partie des villages de Bounouh." Arrivés enfin à Tizi Oujaâvouv, qui culmine à plus de 1 200 mètres d'altitude, le plateau décline toute sa splendeur. On est vite envahi par un sentiment d'apaisement et de bien-être. Le tableau de bord n'affiche plus que 30° à midi alors qu'à Bounouh l'air était déjà irrespirable en début de matinée. En hiver, ce col est souvent revêtu d'un manteau blanc. Parfois, il est même bloqué par la neige au point que les automobilistes l'évitent. "Quand il neige, il est impossible d'aller vers Bouira. Comme l'APC n'a pas de moyens, ce sont les entreprises privées qui mobilisent leurs engins pour le rouvrir. Il ne faut pas oublier qu'entre notre commune et Bouira, il n'y a que dix-sept kilomètres de route. C'est un raccourci", précise notre guide qui rappelle au passage que c'est grâce à la mobilisation de l'aârch Nath Helouane que le plateau a été nettoyé et extirpé aux laissés-pour-compte qui l'ont squatté durant des années. Aujourd'hui, ce site a renoué avec sa quiétude d'antan et permet à de nombreuses familles de pique-niquer dans cet endroit et d'y mettre de l'ambiance. Mais le plus beau encore c'est le plateau de sapins d'où l'on peut admirer une grande partie de la Kabylie tout comme la vallée de Taghzout, à Bouira, Boghni, Draâ El-Mizan et bien d'autres régions lointaines. "Ici, c'est Tizi Oujaâvouv. Peu avant le déclenchement de la guerre de Libération nationale, l'occupant avait même projeté d'y implanter un hôpital similaire au sanatorium de Sidi Belaoua sur les hauteurs de Tizi Ouzou. Mais le projet a été retiré juste après le 1er novembre 1954", explique notre guide. Cheikh Aheddad... Un membre du comité du village Helouane, qui s'est joint à nous, fait un rappel historique de cet endroit : "On raconte qu'ici il y avait une grosse pierre en forme de cube. C'est ici que les notables de toute la région se donnaient rendez-vous pour discuter des problèmes et traiter les différends entre les tribus, mais c'était surtout pour prendre des décisions et adopter la stratégie afin d'attaquer les Turcs installés là-bas à Ikharvane n Djemadj. Cheikh Benabderahmane, Cheikh El-Hamel et Cheikh Aheddad se retrouvaient plusieurs fois ici devant cette pierre durant des journées entières et se concertaient sur le plan de mobilisation et l'enrôlement des habitants de la région pour faire face à l'occupant." Cet habitant d'Ath Talha, apparemment bien documenté sur l'histoire de la région, évoque ces dizaines d'hommes mobilisés des Ouadhias, en passant par Boghni, Draâ El-Mizan et Tizi-Gheniff, pour stopper l'offensive des soldats français et prêter main-forte aux forces d'El-Mokrani et de Cheikh Aheddad lors du soulèvement de Kabylie en 1871. "Certains d'entre eux y trouvèrent la mort, alors que les prisonniers étaient déportés à Cayenne et en Nouvelle-Calédonie", ajoute-t-il. Pour sa part, un membre de l'association Akal d Izuran (La terre et les racines) de Bounouh dévoilera ses projets : "N'était cette crise sanitaire, nous avions prévu de mener un grand nettoyage de l'endroit où s'étaient installés les Turcs durant leur règne en Algérie, de le clôturer et de demander sa classification en tant que patrimoine historique national. C'est à quelques jets de pierre d'ici. Il y a des grosses pierres qui peuvent peser jusqu'à une tonne chacune. On ne sait pas comment elles ont été transportées jusqu'à cet endroit. Il faudra des archéologues pour les dater. C'est un pan très important de notre histoire. Les Turcs sont passés par là. Il faudra élucider cette énigme qui taraude nos esprits. Pourquoi les Turcs sont-ils venus s'installer dans un tel endroit ?" s'interroge-t-il. Un de nos accompagnateurs nous montre un chemin muletier passant par Ikhravane n Djemadj. "Avrid Aârdhi. C'est significatif comme nom parce que lorsqu'on y passait, on était en sécurité et on n'avait rien à craindre. C'est son explication en kabyle. Il n'y avait pas de bandits sur cette route. Il va de Larbâa Nath Irathen jusqu'à Bouira. Il était emprunté par les caravanes qui se dirigeaient jusqu'à Sidi Aïssa et M'sila", explique-t-il encore. Selon nos interlocuteurs, Tizi Oujaâvouv, c'est aussi un lieu favorable aux sports de montagne. L'endroit a déjà abrité le championnat national de parapente en mai 2018, rappellent-ils. Ils considéraient que c'était un prélude pour sortir Tizi Oujaâvouv de son isolement eu égard aux activités sportives organisées lors de ce championnat et aux différentes expositions programmées à ciel ouvert sur ce plateau. "Vraiment, cela a complètement changé le décor ici. Il y avait des centaines de visiteurs et de sportifs venus de nombreuses wilayas d'Algérie. C'est un site qui a de l'avenir, d'autant qu'il est classé zone d'expansion touristique", estime le membre de l'association Akal d Izuran. Ce plateau de 118 hectares est classé par un arrêté ministériel de décembre 2018, zone d'expansion touristique. Plusieurs investisseurs potentiels ont déjà déposé des dossiers d'investissement. L'APW de Tizi Ouzou avait accordé 6 millions de dinars qui serviront aux études. Les premières ébauches de l'étude ont été présentées. "Nous sommes à la troisième phase du projet. N'était la crise sanitaire, il y aurait déjà eu une sortie de tous les services de la wilaya et du wali sur ce site. Dernièrement, j'ai abordé ce sujet avec les responsables du secteur du tourisme. Incessamment, le travail entamé sera poursuivi", nous a expliqué Mohamed Arezki Lounis, président de l'APC de Bounouh. Il est donc attendu le lancement de la viabilisation de cette zone en vue d'accompagner les investisseurs dans leurs projets afin de booster non seulement le développement de la région, mais aussi l'emploi dans cette vaste contrée où la population ne vit que grâce à l'élevage et à quelques activités artisanales telles la poterie et la vannerie. " Avec la création de cette zone, je crois que notre région sortira définitivement de son enclavement. Nous interpellons les responsables concernés à prioriser ce projet et à faire vite parce que le développement de notre pays dépend du tourisme. C'est une source intarissable", estime un membre du comité de village Helouane.