Brahim Guendouzi, universitaire et professeur d'économie, nous livre à travers cet entretien quelques éléments d'analyse sur la problématique de la pression démographique et les défis à prévoir, en termes de développement socioéconomique, pour accompagner l'augmentation de la population." Liberté : La croissance démographique en Algérie connaît une certaine accélération ces dernières années. Les structures socioéconomiques du pays sont-elles à même de soutenir cette évolution ? Brahim Guendouzi : L'Algérie est entrée, depuis quelques années, dans une nouvelle dynamique démographique marquée par une augmentation soutenue de la natalité. Depuis 2014, il y a dépassement du cap du million de naissances vivantes par an, selon des données publiées par le ministère de la Santé. Il en est de même pour la fécondité, qui a également enregistré une augmentation passant de 2,4 à 3,1 enfants par femme. À ce rythme, la population algérienne dépassera la barre des 60 millions d'habitants à l'horizon 2040. Aussi, cette évolution démographique rapide sera marquée par une contrainte majeure dans sa structure par âge : plus de personnes à charge pour les moins de 20 ans et les 60 ans et plus. D'où les autres contraintes en termes d'éducation, de santé, de nutrition, d'habitation, etc. D'autant plus que l'Algérie s'est engagée, avec le programme des Nations unies, à améliorer l'indice de développement humain (IDH) de la population. Aussi, ayant profité de la période d'aisance financière, le pays s'est doté de nombreuses infrastructures de base ainsi qu'éducatives et sanitaires, même si sur le plan de la gouvernance il y a problème, comme on a pu le constater avec cette crise sanitaire. L'Algérie est-t-elle économiquement préparée à faire vivre une population de plus de 60 millions d'âmes dans les quelques années à venir ? Le tissu économique est fragile car les investissements productifs sont restés en deçà des attentes pour pouvoir prendre en charge la population en âge d'activité située entre 16 et 60 ans. La dépendance vis-à-vis des hydrocarbures en termes d'exportations et l'importance accordée aux importations par rapport à la production nationale mettent actuellement l'économie nationale dans une impasse en termes de création de postes de travail vu l'insuffisance du nombre d'entreprises qui activent. La question liée à l'alimentation de la population est une préoccupation constante puisque la facture d'importation de produits alimentaires est très élevée, atteignant en 2019 près de 8 milliards de dollars, dont 2,7 milliards de dollars uniquement pour les céréales. Il faut ajouter à cela le dispositif de subvention des prix des produits de première nécessité ainsi que l'ensemble des transferts sociaux qui représentent près de 20% du budget de fonctionnement chaque année. Un autre défi pour l'avenir est celui de la répartition de la population, qui reste en majorité confinée au nord du pays. Cela risque d'aggraver le déséquilibre territorial au détriment du sud du pays, dès lors que la plupart des activités et des habitations sont localisées sur la bande côtière, entraînant une saturation et des problèmes liés à l'environnement. La croissance démographique induit au moins deux problématiques cruciales : le chômage et la viabilité du système national des retraites et de sécurité sociale. Comment faire face à ces deux défis majeurs ? Le grand défi est celui de l'emploi. La pression sur le marché du travail s'accentue régulièrement, et le nombre de chômeurs augmente sans cesse parmi les jeunes, notamment les diplômés et les femmes, et ce, malgré les dispositifs d'accompagnement mis en place depuis quelques années (Ansej, Angem, Cnac). D'où la nécessité de mettre en œuvre une nouvelle orientation de l'économie nationale basée sur la diversification et l'investissement productif à même de préparer les emplois de demain et de combler les retards accumulés sur le plan technologique. Le système des retraites pose par ailleurs un sérieux problème de financement, vu le déficit qui est affiché, de l'ordre de 680 milliards de dinars, à la charge du Trésor, en relation avec le nombre insuffisant d'actifs par rapport à l'ensemble des retraités. Etant dans un système de retraite par répartition, la solution viable à long terme est celui de la création sans cesse de nouvelles entreprises qui recruteront des travailleurs de sorte à faire augmenter autant que faire se peut le nombre de cotisants comparativement au nombre de retraités, sans oublier la lutte contre les emplois informels. C'est de cette façon que la CNR arrivera à réaliser ses équilibres financiers à moyen terme. La croissance exponentielle de la consommation énergétique interne risque de s'accélérer davantage avec l'accroissement de la population. L'Algérie risque-t-elle de se voir à terme obligée de soutenir son autosuffisance énergétique en réduisant ses exportations ? La consommation énergétique est en rapide progression, et elle tend à s'accélérer avec la croissance démographique. Le problème se pose particulièrement avec l'électricité, dont la source de production est à 99% à base de gaz naturel. Les prévisions font ressortir qu'à l'horizon 2030 la production gazière du pays serait presque absorbée par la production d'électricité, dont la consommation va à 40% vers les ménages et à 37% vers les transports. Il en est de même pour les carburants en raison de l'augmentation du parc automobile et des prix subventionnés. D'où la menace à moyen terme de voir la réduction des exportations du gaz naturel et la hausse de la facture d'importation des carburants si des mesures correctives ne sont pas mises en œuvre en urgence. D'ores et déjà, il y a une volonté affichée d'assurer une transition énergétique et de développer les énergies renouvelables puisqu'un ministère leur est carrément dédié. La question des subventions des produits énergétiques est pour le moment en suspens du fait de la complexité à trouver un autre mécanisme plus souple de protection envers les plus démunis.