Depuis 2016, la Banque centrale a perdu le peu d'autonomie dont elle disposait encore face aux injonctions des politiques. Début 2016, au lendemain d'un si spectaculaire retournement de situation sur le marché pétrolier, le gouvernement Sellal s'est rendu compte, deux années après, que le choc externe était loin d'être une simple réplique du séisme planétaire de 2008. Il s'est avéré "de grande ampleur", pour ainsi reprendre le néologisme de la Banque d'Algérie, révélant ainsi au grand jour les fragilités structurelles de l'économie algérienne, sa faible résilience face aux chocs externes et la passivité presque parfaite des précédents gouvernements. Après deux longues années d'hibernation, le gouvernement Sellal 4 se réveille, au milieu d'une crise patente, tout désemparé et paniqué ; les réserves fondent et la reprise des cours pétroliers s'était révélée un improbable pari. Ce qu'il appelait un nuage passager a fini par consumer l'ensemble des avoirs en dinars stockés dans le Fonds de régulation des recettes (FRR) et une partie non négligeable des réserves de changes investies — à perte — dans les banques souveraines occidentales. La Banque centrale a été saisie en catastrophe aux fins de mettre en place des outils monétaires censés amortir les effets du choc externe sur la santé macroéconomique du pays. Il a fallu entamer une dévaluation progressive du dinar pour tenter une hausse artificielle des revenus de la fiscalité pétrolière libellée en dinar et, par là même, renchérir les coûts des importations, desserrer les taux des réserves obligatoires, mettre en place des opérations d'Open market et de réescompte et, le cas échéant, de monétiser les déficits, renflouer les caisses des institutions financières et non financières de l'Etat. Et pour accompagner les décisions politiques, il a fallu se séparer d'un Laksaci quelque peu récalcitrant et dont la gouvernance était peu accommodante. Le choix s'est porté sur Mohamed Loukal, dont le profil répondait parfaitement aux desiderata du gouvernement Sellal. En une année à la tête de la Banque centrale, cette institution avait expérimenté l'ensemble des artifices monétaires, dont le guichet de réescompte, les opérations de l'Open market et la baisse du taux des réserves obligatoires, pour qu'au final, le pouvoir politique décide, le 6 septembre 2017, d'actionner le levier de la planche à billets, portant ainsi un coup fatal à la souveraineté de la Banque d'Algérie. L'institution n'avait qu'à exécuter, en amendant la loi sur la monnaie et le crédit. Cette primauté du politique sur l'autorité monétaire était présentée alors comme un coup de génie d'un président peu apte à gouverner et qui a permis au pays, par-dessus tout, "d'éviter le recours à l'endettement extérieur". Plutôt que de mettre en place les réformes structurelles auxquelles appelait la Banque centrale — celle-ci alertant sans relâche que les outils de politique monétaire ne doivent pas être l'unique amortisseur à la crise —, la main basse du politique sur la Banque centrale s'était traduite par l'impression de plus de 6 500 milliards de dinars en l'espace de deux années. Or, les économistes qui ont conseillé le gouvernement Sellal recommandaient de limiter les tirages à 2 400 milliards de dinars. "La Banque centrale d'Algérie a perdu le peu d'autonomie au profit de l'autorité politique. Elle ne devient qu'un accessoire de l'Exécutif sortant du fait de ses prérogatives", estime Yassine Benadda, économiste, dans un entretien avec Liberté (à paraître demain). Pendant ce temps-là, la Banque centrale semble avoir abandonné sa casquette de gendarme de la place bancaire, se souciant peu du respect des règles prudentielles au niveau des banques. Le niveau de capitalisation était en baisse, alors que celui des créances non performantes évoluait à la hausse. Pendant que les liquidités bancaires étaient en nette baisse, le niveau des engagements de long terme des banques publiques était devenu problématique et devrait compliquer, à terme, la gestion des bilans de ces banques. Rachid Sekak, ancien directeur de la dette extérieure à la Banque centrale, ne cesse d'alerter sur les encours importants que certaines banques publiques et privées détiennent sur les entreprises appartenant aux personnes faisant l'objet de mesures judiciaires. Yassine Benadda estime que la Banque centrale aurait dû s'investir davantage dans les missions qui sont les siennes, dont la mise en place d'une politique de développement des marchés de la dette et un réseau de spécialistes en valeurs du Trésor (SVT), favoriser la politique de crédits en direction des ménages et des entreprises, moderniser le système financier pour développer les opportunités d'investissement et de croissance, augmenter les opportunités d'investissement qui sont encore bridées en rendant le coût du capital moins cher par la baisse des taux d'intérêt, contribuer à l'essor d'acteurs financiers rompus aux investissements de capital-risque à destination des PME-PMI, entamer le processus de réforme du régime de change avec la mise en place de fluctuation graduelle du dinar, etc. La question qui se pose désormais est celle de savoir si la Banque centrale sera capable de garantir la solidité des banques et, par conséquent, la solidité du système monétaire et financier. Ali Titouche