Abdelkrim Boudali, 60 ans, est un véritable personnage à Aïn Boucif. Ancien para, ancien membre des forces spéciales de l'armée, il a fait la guerre israélo-arabe de 1967. “Je suis resté huit mois dans un poste avancé près du Canal de Suez”, se souvient-il. Fort de son expérience militaire, il a commencé, dès 1993, à mettre en place un dispositif de résistance pour contrer la montée de l'islamisme armé. “Nous avons commencé avec des fusils de chasse. Après, l'ANP nous a dotés d'armes plus sophistiquées. Les choses étaient difficiles les premiers temps. C'était le flou total. J'agissais en catimini. Mon propre fils n'était pas au courant de ce que je faisais. On ne pouvait avoir confiance en personne, même les siens. Mon fils n'a vu mon arme qu'en 1997”, témoigne notre vétéran du Proche-Orient. M. Boudali insiste sur les bonnes relations qui prévalaient entre les Patriotes et la population : “Nous avons armé et encadré plusieurs villages qui étaient réticents, au début, à prendre les armes. Nous étions proches du peuple. Nous assurions la protection des villageois lors des mariages. Nous participions aux travaux agricoles, aux moissons, aux labours, nous étions vraiment proches du peuple.” Ancien employé à l'Edimco, M. Boudali quitte son emploi en 1994 pour se consacrer exclusivement à ses activités de Patriote. Après dix ans passés dans la résistance, il se voit prié de rendre sa kalachnikov. C'était en 2003. Son traitement, sa seule source de revenus (11 000 DA par mois sans droits sociaux) lui est coupé sans aucune explication. La paix rétablie, on n'avait plus besoin de lui. “Je n'ai jamais été coupable du moindre manquement, jamais commis la moindre faute et jamais personne ne s'est plaint de moi. Qu'on ouvre une enquête et qu'on me dise pourquoi on a fait ça”, s'indigne M. Boudali. Ce qui accentue sa peine et son étonnement, c'est de voir que ce sort n'est pas partagé par tout le monde. “Je connais des gens qui n'ont absolument rien donné, qui sont, pour la plupart, dans l'enseignement ou dans l'administration municipale, et qui continuent à percevoir leur solde comme soi-disant Patriotes. Je ne comprends rien. J'ai sacrifié dix ans de ma vie et voilà comment on me récompense. Les gens qui font ça ne veulent pas que la paix se rétablisse dans ce pays !” fulmine notre interlocuteur. Boudali exhibe une pile d'accusés de réception : lettre au président de la République, lettre au chef du secteur militaire de Médéa, requête au commandement de la 1re Région militaire, au groupement de la gendarmerie, au chef de l'Etat-major de l'ANP. Peine perdue. Pas l'ombre d'une explication. Des papiers officiels délivrés par les autorités militaires lui reconnaissent, noir sur blanc, la qualité de chef des Patriotes de la région de Aïn Boucif, avec libellé des opérations auxquelles lui et ses hommes ont participé. Rien de plus éloquent. De quoi vit-il ? “C'est mon fils qui nous nourrit, mes enfants et moi. Il a à peine 18 ans. Il est garde communal”. En dépit de ces avatars, Abdelkrim Boudali est loin du reniement. Il se dit pour la charte. Aux côtés de l'Etat, de la République “dhalima aw madhlouma”. “Dès 1997, j'ai milité pour la réconciliation. Je faisais dire aux gens qui étaient au maquis, par le biais de leur familles, de se rendre, en me portant garant qu'il ne leur arriverait rien. Qui peut s'élever contre la paix ? Nous n'avons pas de patrie de rechange.” M. B.