Dans ce livre-hommage publié dernièrement aux éditions Frantz-Fanon, l'universitaire marocain revient sur "l'Algérie plurielle" que Dib mettait en exergue. "Elle ne se résumait pas à un territoire, elle était aussi bien une idée qu'un rêve, des parfums que des couleurs, une manière d'appréhender le monde", écrit-il dans la postface. Le legs dibien vient de se fertiliser de l'essai intitulé Mohammed Dib le Simorgh du docteur ès langue et littérature françaises Abdelaziz Amraoui, publié dernièrement aux éditions Frantz-Fanon. Ce professeur, habilité à la faculté polydisciplinaire de Safi, de l'université Cadi-Ayyad au Maroc, a osé l'œil littéraire sur l'œuvre dibienne, en feuilletant l'énigmatique chapitre ouvert mais encore méconnu de la banque d'images dibiennes puisées en 1946 à "Tlemcen ou les lieux de l'écriture" (Revue Noire 1994 avec l'apport de 36 photographies de l'écrivain-photographe français Philippe Bordas). D'où l'esthétique de l'œuvre qu'il a enjolivée de mots si semblables à un diaporama d'épreuves en noir et blanc, où s'attise L'incendie et déferle à tire-d'aile l'enchanteur "Simorgh" de la mythologie de l'Avesta (Perse). Eu égard à la proximité avec le Maroc, la médina berbère andalouse de Tlemcen attise cette pléthore de souvenirs de voyages et de paysages qui enfièvrent l'auteur en ces termes : "Une porte trop ouverte" sur un passé nostalgique. Dans cette perspective de voyage, l'Algérie "réelle" est cette terre plurielle, qui se veut plus spacieuse que la territorialité d'un sol, où s'exhalent les nuances mais aussi l'encense de la louange qu'a romancée le "attar" (parfumeur). Mais lorsque le pays est évoqué en rêverie, l'Algérie reste d'abord une idée mais aussi l'illusion d'une image que Mohammed Dib a énoncée dans ses odyssées d'errance. À ce propos, l'exode s'identifie au déracinement hors de sa terre et de sa langue maternelle : "Le pays vient à lui, dans une perpétuelle nostalgie réciproque", écrit l'auteur qui est aussi photographe amateur. En plus qu'il loge au-delà de nos frontières, l'exil est également l'injure proférée à l'encontre de l'enfance et éparpille les êtres chers : "Vous me rappelez tout à coup de vieux souvenirs pleins de douleur et de joie. On gémit de douleur, on gémit de joie, l'un ou l'autre, mais l'un en vaut l'autre." En ce sens, l'univers dibien est conçu de deux îlots, où se natte le passé dans les fils du Métier à tisser. D'où l'option de Abdelaziz Amraoui de recourir à l'image pour immortaliser le passé dans le "négatif" noir, certes, mais plutôt avantageux pour édifier le temps ou l'avenir : "Quand le négatif devient le positif." Autrement, la photo n'est que l'évocation d'une pause-détente volée au temps et fait œuvre de mémoire, car l'Algérie qui manque à Dib vient à lui pour combler "une présence pétrie d'absence, obstinée d'absence". À cet égard, l'image incarne l'authenticité, voire l'évidence d'un récit de voyage, où l'écrivain valorise l'inopinée rencontre qui ne peut être fortuite et insuffle l'air de vie à l'horizon bucolique à l'aide de la photo puis de la légende. Sur ce point, l'exil ne peut effacer l'image "Algérie" du fait que le pays est outillé de l'intarissable plume ensemencée dans l'âme de Mohammed Dib et de l'image burinée dans l'esprit de l'instituteur de Zoudj B'ghal. "Je me suis tu, mais pas ma voix." Parcellisée en trois parties, l'œuvre de Abdelaziz Amraoui se lit à l'aide d'"arrêts sur image" où le thème identitaire est récurrent : "On naît partout étranger. Mais si on cherche ses lieux et qu'on les trouve, la terre alors devient votre terre." Autant dire que la terre est vivable, là où il y a les figures féminines qui ont façonné l'image de Dib, à l'instar de Mamoucheka mais aussi Faïna. Reste que le livre de Abdelaziz Amraoui restitue à l'œuvre dibienne toute la musicalité qu'on a appréciée aux côtés de Omar dans l'ouast-eddar de Dar sbitar du feuilleton El-Hariq (1974) de Mustapha Badie. Louhal Nourreddine * Mohammed Dib le Simorgh de Abdelaziz Amraoui, éditions Frantz-Fanon (collection Fac), 2020, 226 pages, 800 DA.