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"Le prochain Achour El-Acher sera 100% algérien"
Djaâfar Gacem, réalisateur
Publié dans Liberté le 31 - 08 - 2020

Son film Héliopolis, en préparation depuis quatre ans, sera enfin projeté dans les salles après le confinement. Dans cet entretien, le réalisateur revient sur ce projet de longue haleine, sur sa transition du petit au grand écran, et la série Achour El-Acher, qui devrait revenir au prochain Ramadhan.
Liberté : Votre premier long métrage Hélipolis est sur le point d'être projeté. Pouvez-vous nous parler des derniers préparatifs avant sa sortie ?
Djaâfar Gacem : Le film est prêt, on attend juste que la crise sanitaire actuelle se dissipe. À partir de là, on organisera l'avant-première, mais mon film est prêt depuis mars. Malheureusement, la programmation de son avant-première a coïncidé avec la pandémie. Et pour revenir au film, le tournage a eu lieu un peu partout en Algérie : Aïn Témouchent, Sidi Bel-Abbès, Tlemcen, Alger...
Ça a pris du temps, ça a été assez lourd comme projet, c'était mon premier opus et je souhaite qu'il ait un bon écho auprès du public. Quatre ans c'est le temps qu'il m'a fallu pour écrire l'histoire. J'ai eu l'accord en 2012, dans le cadre du 50e anniversaire d'indépendance. Je devais constituer un cahier des charges par rapport au film.
Le scénario avait pris énormément de temps parce qu'il fallait faire des recherches. N'empêche qu'Héliopolis est une fiction basée sur des faits s'étant produits en 1945. Je ne voulais pas faire un film sur ce qui s'était passé le 8 Mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata, c'est énorme. Il faudrait un documentaire. Nous étions trois personnes à avoir écrit le scénario : un binôme de Annaba et moi-même. Nous sommes restés assez longtemps sur l'écriture.
Nous avons fait 20 versions pour aboutir au scénario final. L'autre souci était que je n'avais pas les moyens financiers nécessaires pour commencer, il fallait que j'attende d'avoir une petite rallonge financière. En 2016, nous avons commencé les préparations, puis en 2017 et 2018 c'était le tournage. En 2019, la post-prod, et c'était aussi le Hirak. Cela avait perturbé mes plans et les allers- retours à l'étranger, parce qu'il y a des laboratoires qui n'existent qu'à l'étranger par rapport aux mixage, musique, étalonnage, etc.

Dans votre film, il y a une opposition idéologique entre les personnages du père et du fils pendant la colonisation...
Oui, le pitch est là, le père était ce qu'on appelait à l'époque un assimilationniste. Un père de famille et riche propriétaire terrien, fils de caïd, même si lui-même ne fait plus partie du caïdat.
Il croit en l'empire de la France à travers les idées de Ferhat Abbas, qui, à l'époque, prônait l'assimilation et les droits égaux entre juifs, musulmans et français. À côté, on a son fils qui voit les choses différemment. Il intègre le PPA de Messali El-Hadj, qui était interdit à l'époque. On vit un conflit familial et idéologique autour d'un conflit colonial.
À travers les personnages du père et du fils, comparez-vous les visions des figures qu'étaient Abbas et Messali ?
Non, du tout ! En tant que réalisateur, j'ai la conviction que la fiction fait avancer la vérité. Je voulais juste souligner qu'à l'époque il y avait des courants messalistes et ceux de Ferhat Abbas. Il ne faut pas oublier que ce dernier quand il a écrit le Manifeste des Algériens, il commençait à surfer sur les idées messalistes. À un moment, les deux hommes étaient sur la même longueur d'onde.
Il n'y avait plus de contradictions dans leurs pensées. Ferhat s'était rallié à cette idée quand les Américains, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, avaient demandé à ce que les pays colonisés soient libérés. Ferhat Abbas était peut-être naïf, mais il a surfé sur une prétendue aide américaine. Il s'était planté, mais il a rallié la cause messaliste, alors que Messali était à cette époque emprisonné.
Mais ça, ce n'est pas ce que je veux montrer. Je le montre en arrière-plan. Héliopolis est un film très contextuel, dans le sens où ma caméra n'est ni juge ni partie, même si je suis partie musulmane. J'ai tout fait pour rester neutre et voir pourquoi certains musulmans de l'époque, comme le père en question, se sont positionnés en faveur de l'empire français.
Je laisse les choses se faire. Je n'étais pas observateur de l'histoire, au contraire je la vivais, et ma caméra évoluait en même temps que les personnages. Le spectateur verra à un moment donné les jugements et les décisions que prennent le père, le fils ou les colons. À certains moments, on se dit : il aurait fallu de peu pour que la marche n'ait pas eu lieu ou que Ferhat Abbas change d'avis. Si j'étais dans une position de jugement, je ne serais pas allé loin, et mon film n'irait pas loin dans les festivals.
Ce que je souhaite est que mon film soit vu aussi par des étrangers, pour montrer une page très importante de l'histoire coloniale algérienne qui a été abandonnée et oubliée par tout le monde. Même l'Algérie ne parle pas des évènements du 8 Mai 1945. Si on pose la question à un jeune d'aujourd'hui, il va dire 45 000 morts, insurrection des musulmans, etc. Quelles sont les causes qui ont abouti à ce drame et qui ont fait que, 9 ans après, la guerre d'Algérie éclate ? Du côté français, moi je n'en veux pas à la France. C'est normal que la Ve République oublie ce pan de l'histoire qui n'est pas à son honneur.
Par contre, nous Algériens, ayant été victimes de ça et les milliers de morts incinérés dans des fours à chaud d'Héliopolis, d'où le titre du film, on n'en parle pas. C'est malheureux pour notre révolution. Mon film répond à ce genre de questions, mais honnêtement j'ai été très modeste dans ma façon de suggérer les atrocités, je n'ai pas voulu aller plus loin, parce que la réalité a été plus forte que ma fiction. Je laisse suggérer que ça a été un tournant dans l'histoire de l'Algérie moderne.
Evitez-vous de montrer explicitement la violence coloniale ?
Si, la violence est montrée, mais n'est pas l'essentiel du film. Je ne voulais pas la mettre au centre, parce que trop de violence tue la violence. De toute façon, la violence du 8 Mai 1945 a duré au moins trois semaines à un mois. C'était d'après ce que j'ai lu, et les témoignages de gens qui étaient vivants, digne d'un Holocauste ce qui s'est passé en Algérie.
On en parle peu, mais il y a eu des épurations ethniques et les enfumades du général Bugeaud. Il y avait des milliers d'Algériens décimés. Dans mon film, il n'est pas question d'ouvrir une plaie, mais de dire qu'ensemble, on peut avancer, mais on n'oublie pas.
Comment se fait la passerelle entre la réalisation pour la télévision et pour le grand écran ?
J'ai été formé en Algérie et mes formateurs sont tous des cinéastes. La plupart ne sont plus de ce monde, mais j'ai eu la chance d'avoir été formé en tant que technicien dans une école par de grands chefs monteurs, des opérateurs de prise de vue, des directeurs de photographie, des réalisateurs. Quand je réalisais pour la télévision, j'avais toujours eu cet esprit cinématographique pour ma mise en scène et ma façon de travailler.
Je ne dirais pas que je n'ai pas eu de problèmes pour la réalisation de mon long métrage, bien au contraire, mais j'ai été bien entouré et j'ai beaucoup appris sur comment tourner une scène de cinéma. Mais en vérité, il n'y a plus de grandes différences entre les deux genres en ce moment. Avec les plateformes Netflix, les séries télé, c'est du cinéma carrément, donc pour la vision et la réalisation, la mise en scène aujourd'hui est quasi commune, c'est juste que la télévision c'est un public qui n'est pas averti.
C'est une consommation plus rapide, nous avons en face de nous un "client" qui veut que ça aille plus vite. Nous sommes obligés de sacrifier un pourcentage de qualité pour que le produit soit disponible, contrairement au cinéma où on a cette notion du temps qui ne nous fait pas défaut, bien au contraire, qui nous donne plus de liberté et de temps de préparation pour le tournage.
Comment se déroulera l'avant-première de votre film ?
L'avant-première mondiale aura d'abord lieu en Algérie. Il y aura ensuite une distribution dans les salles et, pourquoi pas, sa projection dans des festivals internationaux. Mais ce sera au producteur, le CADC (Centre algérien de développement du cinéma, ndlr) de s'en occuper.
Vous avez laissé entendre que la distribution du film à l'étranger pourrait être compliquée, du moment où il n'y a pas de coproducteur étranger...
Je ne suis pas le ministère de la Culture ni le CADC. Dieu sait combien je suis en train de me battre pour que le cinéma revienne à ce qu'il était dans les années 1970 avec Lakhdar Hamina. Le cinéma algérien avait une dimension internationale. Aujourd'hui, nous souffrons d'une représentativité et d'un climat médiocre pour le cinéma malgré toutes les bonnes volontés du président de la République et du gouvernement, ça reste pauvre.
Il n'y a que des paroles. Je souhaite qu'il y ait des faits. Pour expliquer le cas de mon film, c'est un produit algérien à 100%. Je n'ai pas eu de coproducteur ou de distributeur international. Quand on a un film comme ça, il est très difficile de le faire sortir, je ne parle pas des festivals, mais le faire passer dans des salles, il faut qu'il y ait des producteurs ou distributeurs. Aujourd'hui, l'Algérie n'en dispose pas.
C'est le CADC, le producteur, qui prend en charge sa distribution ici et à l'étranger. Mais moi, étant jaloux de mon film, j'essaye d'aider, de pousser des portes et d'essayer de trouver des formules pour faire en sorte que mon film soit vu à l'étranger. Pour cela, je dois toujours passer par le CADC pour avoir un accord, sans ça, je ne peux rien faire. Officiellement, ce n'est pas mon film mais celui du CADC.
Le CADC travaille-t-il dans ce sens pour pouvoir l'exporter dans les salles étrangères quand la situation sanitaire le permettra ?
Pour le moment, du côté du CADC, il ne se passe encore rien à cause de ce contexte justement. Déjà avant toute chose, il faut faire une programmation du film en avant-première mondiale qui doit se dérouler prochainement à Alger. Dès qu'il y aura une ouverture dans ce sens, ils vont commencer à reprogrammer des films comme le mien, Abou Leila d'Amin Sidi-Boumédiène, Papicha de Mounia Meddour et d'autres en stand-by en Algérie.
Après, ce n'est pas toutes les salles qui sont équipées en DCP. ça aussi c'est une autre bataille à mener afin qu'Héliopolis soit vu par tous les Algériens. Je ne veux pas que mon film reste sur Alger. Parallèlement à ça, il faut faire la promo du film à l'étranger, et pour ce faire, la mission doit être confiée à une bonne équipe et un bon lobbying, mais pour le moment on en est pas là.
Je ne suis pas quelqu'un de négatif, mais la conjoncture est très difficile pour l'avenir du cinéma en Algérie. Le coronavirus est conjoncturel. Mais même quand on avait les moyens, on n'a pas su investir dans la formation, la création d'écoles, de centres de production. Nous, réalisateurs, nous devons partir à l'étranger. Nous faisons la manche à l'étranger pour dire : "Louez-nous une caméra pas chère." C'est malheureux pour un pays aussi riche que l'Algérie.
Nous n'avons pas encore compris que l'image est importante pour notre pays et sa culture. Je me bats pour essayer de convaincre, éduquer et surtout intégrer le cinéma dans les cursus scolaires. Si une école m'appelle pour une visite ou une projection, je serai enchanté. Nous ne le faisons pas parce qu'il y a une crise culturelle.
Comment avez-vous vécu la période de confinement ?
J'en ai profité pour écrire pour la série Achour El-Acher. Beaucoup d'écriture et de lecture pour essayer de ne pas perdre du temps. Je n'ai pas voulu prendre le risque de tourner en cette période parce que c'est très compliqué. Nous commencerons en principe à tourner vers le mois d'octobre ou novembre. Si toutefois la situation persiste, la saison ramadhanesque sera compromise, même financièrement parlant, c'est un grand risque. On est tributaire de l'avancée de la science.
Pour la période 2018-2019, j'avais décidé de ne pas faire Achour El-Acher car j'étais sur l'écriture de mon film. Pour 2020, j'avais projeté de commencer à préparer la prochaine saison, mais la pandémie nous en a empêchés. Mais tant mieux, parce que cela nous a permis de construire des décors en Algérie, et ce sera une première pour une grande production algérienne. Achour El-Acher sera algérien à 100% cette fois-ci.

Entretien réalisé par : Yasmine AZZOUZ


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