Avec sa voix de rossignol et le son mystique de son violon blanc, Hamdi Benani a fait voyager un malouf bien particulier à travers la planète. De Pyongyang de Kim Il-sung jusqu'à La Havane de Fidel Castro. Mais il revient souvent à sa Bône natale... L'ange blanc vient de rejoindre les cieux, en laissant une profonde tristesse dans les cœurs. L'annonce de sa disparition a été brutale, lui qui, malgré ses 77 ans, regorgeait de vitalité et d'énergie. Pourtant, son fils Kamel avait rassuré ses admirateurs et proches, le 14 septembre, en informant que "Cheikh est toujours hospitalisé en service de réanimation (...). Sa santé s'est améliorée et les médecins sont plus optimistes". Mais le destin en a voulu autrement, car la maudite Covid a été plus rusée et l'a emporté dans la matinée d'hier, à l'hôpital d'Annaba. Enfant de Bône, Hamdi Benani est l'une de ses étoiles et la fierté de la ville. Ce monument de la musique malouf en était le digne représentant à l'internationale. D'une carrière exemplaire de plus d'une cinquantaine d'années, outre son talent incommensurable, il était également connu pour son humilité, sa jovialité et sa générosité. Très accessible, il n'hésitait pas une seconde à prodiguer des conseils aux jeunes artistes, la relève. Pour tout Annabi en particulier et pour les mélomanes des quatre coins du pays, il était ce "père" ayant bercé des générations par sa voix et son emblématique violon blanc, dont la couleur était synonyme de "paix et de sérénité". La musique étant inscrite dans son ADN, tout a commencé pour Mohamed Cherif Benani en 1943, à sa naissance dans la ville d'Annaba, au milieu d'une famille d'artistes. Depuis le berceau, il a baigné dans la musique grâce à son père. Par la suite, il a reçu son "éducation" musicale par son oncle Mohamed, surnommé "Petit Mohamed", qui l'a encouragé et initié au malouf annabi. En 1959, il participe à un radio-crochet pour jeunes talents et décroche le premier prix en interprétant Je suis sentimental. À ce moment-là, il est loin de se douter qu'il deviendra une icône adulée de tous. Sa première scène date de 1963, au théâtre de la ville, où il joue dans la pièce Bouss-Bouss de Hassen Derdour, dans laquelle il chante le titre Ya bahi el djamel. À partir de là, l'ange blanc déploie ses ailes et commence son envol lors d'un passage télé à Constantine en 1966 et l'enregistrement de sa première chanson, tout en enchaînant une trentaine d'albums au fil de sa carrière. Il se produit sur scène et dans les mariages. Mais Hamdi Benani réussit son coup de maître en 1974, quand il révolutionne le genre malouf en introduisant des instruments modernes tels que la batterie, la guitare électrique ou encore la basse. Cette "démocratisation" a fortement déplu aux puritains de l'andalou et du malouf. Cependant, les critiques ne l'ont pas atteint et, par son ingéniosité et son talent, il s'est imposé en bousculant les habitudes et ce, en faisant adopter son propre style et univers dans les cercles les plus fermés. À ce propos, dans un article consacré à Benani, un site d'information a rapporté qu'il avait déclaré à la télé : "Le malouf constantinois et annabi existe bel et bien. Tous les artistes du malouf sont des gens de la rue. Maintenant, on peut créer des écoles. Je signe et je persiste en toute connaissance de cause qu'il n'y a pas d'écoles. Il y a des styles et des genres : le Centre, l'Est et l'Ouest." D'ailleurs, il ne s'est pas seulement illustré dans le malouf, il chantait pour tous les Algériens, comme il aimait le dire. À chacun de ses concerts, il interprétait des titres du patrimoine dans le genre hawzi, aroubi ou mahdjouz. Charismatique, il a ainsi donné des concerts dans plusieurs pays étrangers et a chanté pour de grandes personnalités politiques, à l'instar de Fidel Castro et de Léopold Sédar Senghor. Eclectique, ouvert sur le monde et les diverses sonorités, il a réalisé une tournée française et algérienne avec le groupe de rock Speed Caravan, qui a donné naissance en novembre 2019 à un opus produit par l'Institut français d'Algérie. Pour la présentation de l'album, un showcase auquel nous avons eu la chance d'assister a été donné à l'IFA. Aux côtés de Mehdi Haddab (leader du groupe), Hamdi Benani a interprété majestueusement les compositions Ya nas jaratli gharaïb, Koursi Zidane, Istikhbar Cheikh-L'inquiétant prélude et Achek Mamhoun, dans une fusion rock-malouf. Sur cette fusion de deux genres complètement opposés, il avait confié qu'au début il pensait qu'une telle expérimentation était "impensable". Malgré son hésitation, il a relevé le défi et a été complètement "hypnotisé" par son acolyte. "Nous pouvons réaliser beaucoup de choses dans la musique, la révolutionner (...). Le malouf est une musique classique qui a ses règles et il faut oser." Pari réussi pour l'ange blanc ! Cette "audace" et la curiosité musicale lui ont permis de changer les règles définies par les anciens maîtres, ainsi que de moderniser la musique algérienne. Il est à noter également que Benani a reçu tout au long de son parcours des prix prestigieux, tels que la médaille de l'ordre du mérite national au rang de "Ahid" en 2017. En 2018, il a été décoré de l'insigne d'officier des arts et des lettres par l'ancien ambassadeur de France à Alger Xavier Driencourt, qui a souligné : "Cette décoration est bien plus rare et plus difficile que la légion d'honneur." Le monde de la culture et artistique en deuil La nouvelle de la disparition a ébranlé pas seulement les artistes et mélomanes, mais beaucoup d'admirateurs qui connaissent le répertoire de Hamdi Benani depuis ses débuts. Sur les réseaux sociaux, le fil d'actualité est dédié au chantre du malouf à travers divers hommages et témoignages. Pour le musicologue Abdelkader Bendameche, c'est avec "une forte émotion et une grande consternation que j'apprends ce matin du 21 septembre le décès de mon ami et vieux compagnon dans le monde de la chanson Hamdi Benani à l'âge de 77 ans. Dynamique, talentueux, sympathique et combien affable et généreux, l'ange blanc nous quitte aujourd'hui en laissant un patrimoine vivant témoin de son apport consistant dans ce domaine". Quant à la chanteuse de musique andalouse Lila Borsali, très peinée, elle écrit : "La triste nouvelle tombe tel un couperet (...). On commence par faire un déni, on commence par refuser l'idée même de la disparition de l'être cher (...) Et puis l'amère réalité s'impose, ne laissant aucun doute (...) Affligée, bouleversée : il n'y a pas d'autres mots pour dire combien j'ai été affectée par la perte de notre grand Cheikh Hamdi Benani. Un immense artiste au sens le plus entier du terme (...) Alors qu'il était indéniablement de ceux qui ont marqué leur temps de leur style, de leur présence, il est toujours resté très simple, très modeste. Sans compter que, toujours à l'écoute des autres, il était très sensible, très réceptif à toute expression artistique et particulièrement musicale." Et d'ajouter : "Personnellement, à chaque fois que nous avons eu le plaisir de nous croiser lors d'événements, il n'a jamais manqué de m'encourager de son sourire, de ses paroles, de ses ondes toujours positives. Je tiens en plus à dire que j'ai eu le bonheur et l'immense privilège d'enregistrer avec lui une émission culturelle qui sera diffusée incessamment. Un grand moment de bonheur et d'émotion, une rencontre marquée par sa bonne humeur permanente et son large sourire (...) Un peu comme si Dieu m'avait accordé la chance de fixer cette dernière image de lui dans une sorte d'immortalisation de l'homme et de son art !" Pour le comédien Fethi Nouri, "l'Algérie vient de perdre un grand artiste, notre père Hamdi Benani, paix à son âme. Toutes nos pensées et condoléances vont à sa famille et à notre ami Kamel Benani". Les messages sont nombreux, les internautes de tous secteurs sont unanimes sur le talent, l'humanisme de ce monstre de la culture algérienne. Dans son post, le professeur Abdelhafid Fridjat, amateur de malouf, a écrit : "Mon ami Cheikh Hamdi Bennani, l'un des maîtres du malouf algérien, s'est éteint comme une lueur sur Annaba qui disparaît." Adieu l'artiste...