Il est né en 1938. Ça remonte à loin. À l'époque où nous étions indigènes et que, déjà, naissait dans sa tête l'idée d'une Algérie libre. Le pays n'est toujours pas libéré du carcan obscurantiste. Lui, nous mène, à coups de pinceaux, de l'ombre vers la lumière. À l'âge de sept ans, Mustapha a entendu son cœur s'emballer. Pas d'amour. Il a été malade, élu par la mort. C'était en 1945. Au temps où la France fêtait la victoire sur les nazis et célébrait l'assassinat de 45 000 Algériens à Sétif, Guelma et Kherrata, Negache a été évacué vers le pays du colonisateur pour y soigner une malformation cardiaque. Deux ans plus tard, il revient au pays. Il passe le certificat d'études. Un diplôme fort en ce temps. 1953, la famine taraude les ventres, jette les premiers algériens vers l'exil. Il s'en va. Son père, ancien officier supérieur de l'armée française et néanmoins ami du père de Kateb Yacine, lui met le pied à l'étrier. Il ne lui donne rien, il lui apprend à vivre et à connaître le monde. Du monde. Kateb est déjà son copain. Il était alors en goguette à l'étranger. Ils naviguent ensemble. Arrive une cousine, prof de philosophie à la Sorbonne, amie inévitablement de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir. Jean-Paul Sartre, le Voltaire des années 1960, remarque le talent de dessinateur de Mustapha. Il le prend sous son aile. Il l'envoie dans une Ecole de beaux-arts à Orléans. Pas trop loin du pays de Guy Roux — Mustapha aime le foot et l'Entente de Sétif, il y apprend à tirer ses premiers traits, à barbouiller ses premières palettes et à donner du cœur à ses premières toiles. Dès le déclenchement de la guerre de libération, le 1er novembre 1954, il se déclenche un ouragan dans la tête de Negache. Il sait que son pays est colonisé, il sait que son pays doit être libéré. Il va vers ceux qui veulent le délier. L'arracher au joug français. Agent de liaison d'abord, il va progressivement devenir poseur de bombes pour le FLN. Il est aujourd'hui reconnu ancien moudjahid. Ironie du sort : son fils est actuellement capitaine dans l'armée française. Pourquoi pas ? Les destins sont ainsi faits, ils ne demandent l'avis de personne. En 1963, Mustapha Negache rentre en Algérie. Il se met à naviguer dans les entreprises où il a occupé plusieurs postes de responsabilité. Il flirte avec la comédie au théâtre et au cinéma, il écume les bouges d'Alger à l'époque où cette ville produisait des idées. Il a connu tout le monde. Tout le monde l'a connu. Mustapha était un hâbleur. Un jour de 1993 et après avoir été très sérieusement menacé de mort, il a failli perdre la parole. Mustapha Negache a eu un cancer de la trachée. Il a un trou dans la gorge. Seuls ceux qui l'aiment peuvent, aujourd'hui, décoder ses mots. Il souffle, il souffre. Mustapha a beaucoup erré dans le monde, sur la peau des amis, à la surface des toiles. Issiakhem, Yacine, Atmaoui, El Anka Sartre, Senac… Des centaines d'âmes qui avaient donné à la cité. Alger. Le jour où son cancer s'est déclaré, c'était en 1987, personne n'a levé le petit doigt. Il s'est souvenu, alors, que la France, pays d'adoption de son père, lui, l'ancien moudjahid, pouvait l'accueillir. Il a fait appel à des amis. Ils l'ont reçu. Il a été opéré à l'institut Curie à Paris. À l'œil. Il a été pris en charge totalement. Aujourd'hui, il a la hargne. Pas la haine. Il aime trop son pays. Sa peinture en parle. C'est une cartographie de l'Algérie, en signes. Un coup on s'y voit arabe, là on s'y voit berbère, au détour d'un trait on se retrouve africain. Subitement, on se voit méditerranéen. Puis, universel. Les couleurs de Mustapha Negache sont rieuses. Sa tête est sans doute sombre. Il est attachant. Il vit à Angers, à deux pas de Silem, Morsly, Ourabah et quelques autres amis exilés. Quatre enfants, une femme, un pas ici, un pas là-bas. Les départs sont mortels. Après son cancer, Negache a été victime d'un infarctus. La mort ne veut pas de lui. L'art si. Meziane Ourad