Par : MOUHOUBI ALLAOUA RETRAITE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR UNIVERSITE DE BEJAIA "L'enjeu du traitement des déchets, qui fait relier plusieurs communes en raison des développements urbains et les économies d'échelle possibles, devrait revêtir un caractère intercommunal dans un cadre institutionnel légal, que les assemblées élues de wilaya se devraient de promouvoir." La gestion des déchets ménagers par les collectivités locales est toujours traitée avec beaucoup d'improvisations et de choix organisationnels balançant très souvent entre un service de régie communale épuisé sans moyens et une concession désorganisée à des opérateurs privés, qui n'arrêtent pas de protester pour réclamer le règlement de leurs créances ou encore une délégation publique à des Epic (Etablissement public à caractère industriel et commercial) hypothétiques. Choix hétéroclites éloignés de toute logique économique du fait de la méconnaissance totale des coûts et en porte-à-faux avec la réglementation, qui fixe l'élaboration d'un schéma directeur de gestion des déchets définissant pour une période décennale le mode de gestion compte tenu des caractéristiques du gisement, des circuits et des moyens rationnels de collecte, de la conteneurisation et du type de collecte en apport volontaire ou porte-à-porte selon les contraintes d'urbanisme. À l'ère de l'économie circulaire, dont il ne subsiste que les stigmates des résonances médiatiques des assises consacrées depuis 2019 à cette ambition, la gestion des déchets ménagers dans les communes n'arrête pas de tourner en rond ! Et la commune de Béjaïa est sans doute l'exemple parfait de ces approximations tous azimuts avec les avortements de projets, qui se sont succédé depuis 2017 après le dédain opposé à l'offre généreuse du patron du groupe Cevital d'investir 100 milliards de centimes dans le traitement des déchets. À commencer par le feuilleton du Club 92 franco-algérien dans le cadre d'un PPP (Partenariat public privé), suivi du show de l'ONG R20 Arnold Schwarzenegger, des offres successives de Manabi environnement, d'Algérie environnement services (AES) et de Vauche France pour le traitement mécano biologique, sans oublier l'épisode rocambolesque de l'Epic de wilaya. Et enfin l'Arlésienne du projet de l'Epic communal dont le lancement, annoncé en fanfare comme la panacée depuis plus de six mois, est finalement mis en hibernation sans aucune explication ni aucun égard envers les citoyens laissés dans l'expectative. S'agissant d'un enjeu environnemental majeur avec un gisement de déchets estimé à près de 78 millions de tonnes à l'horizon 2035 et pour un coût subventionné de l'Etat de l'ordre de 178 Mds de dinars selon les perspectives annoncées dans le plan national SNGID (Stratégie nationale de gestion intégrée des déchets ménagers), et compte tenu de la contrainte financière, qui ne va pas manquer de peser davantage sur les collectivités, il est impératif de faire le bilan de l'efficacité des instruments institutionnels, d'évaluer l'impact des différents choix organisationnels et d'identifier les marges de manœuvre susceptibles d'être exploitées pour une amélioration. Si le corpus institutionnel établi depuis l'élaboration du Plan national d'action pour l'environnement et le développement durable (PNAE-DD) en 2002 est suffisamment étoffé depuis la promulgation de la loi 01-19 du 12-12-2001, qui en constitue les socles, et la mise en place des différents organes à l'instar de l'AND (Agence nationale des déchets) et du CNFE (Conservatoire national des formations en environnement, des programmes opérationnels), de Progdem pour la gestion intégrée des déchets ménagers et d'Eco-JEM pour la gestion des emballages, l'application dans la réalité est toute autre. Un simple inventaire du nombre de communes non dotées d'un schéma directeur de gestion des déchets ménagers suffit à le confirmer, à l'exemple du chef-lieu de la wilaya de Béjaïa, qui traîne un schéma de 2002 totalement dépassé par l'évolution démographique et les extensions urbanistiques, qui ont "transfiguré" la ville depuis. Situation, qui pose la nécessité d'actualiser la législation sur les déchets de sorte à lui donner un caractère plus coercitif avec des mises en demeure en cas de non-respect et des dispositions fixant des objectifs quantitatifs en matière de tri et de valorisation. La même observation porte sur la Teom (Taxe d'enlèvement des ordures ménagères), censée contribuer au financement paradoxalement négligée par les assemblées locales, qui ne font même pas l'effort de délibérer sur les niveaux de barèmes, compte tenu de la quasi-nullité des recouvrements par le trésorier public, et de l'insouciance des usagers qui ne sont pas près de consentir à son règlement dans la situation actuelle, sauf à envisager d'autres modalités de perception à l'exemple de la taxe d'habitation ou sur les avis de la taxe foncière. Inefficacité de la législation, qui exigerait la mise en place d'un dispositif national d'évaluation périodique et la réforme du code de la commune obligeant les collectivités locales à présenter à la fin de chaque année un rapport de gouvernance sur la gestion des déchets en termes de coûts, de performance et de mode de gestion, accessible au public de façon à susciter une participation écocitoyenne. En outre, l'enjeu du traitement des déchets, qui fait relier plusieurs communes en raison des développements urbains et les économies d'échelle possibles, devrait revêtir un caractère intercommunal dans un cadre institutionnel légal, que les assemblées élues de wilaya se devraient de promouvoir. Dans ce domaine précisément, s'il faut saluer l'initiative de l'Assemblée populaire de wilaya (APW) de Béjaïa qui a clôturé tout récemment le concours du quartier et du village le plus propre dans le chef-lieu — dont l'absence en dépit d'un tissu associatif écologique actif — aura entériné sa saleté chronique, la question se pose sur le rôle de cette institution sur des problèmes intercommunaux réels, pour ne citer que la remise en service du CET, qui aura englouti en pure perte près de 20 milliards de centimes, rien que pour la station de traitement des lixiviats, dans l'indifférence des autorités à tous les niveaux. En matière de choix organisationnels, les mesures d'austérité édictées depuis la crise de 2014, qui ont asséché les effectifs et les moyens matériels des régies communales, ont accéléré une forme de privatisation des opérations de collecte des déchets avec des opérateurs, qui interviennent sur la base de contrats imparfaits — source de protestations récurrentes, de surenchères et de mauvais suivi sans aucune retombée sur l'hygiène avec de vieux engins aux rejets nauséabonds. Alors que la concession au privé exige un cahier des charges, élaboré avec complétude qui restreint la participation aux seules entreprises spécialisées capables de satisfaire toutes les exigences de la propreté en termes de nettoiement, de pré-collecte, de lavage à haute pression, de tri sélectif en amont et surtout de communication. Passage de la concession privée vers la logique du PPP (Partenariat public privé) qu'il faut envisager dans le contexte de la contrainte financière, mécanisme qui peut apporter de l'expertise technique et des capacités d'investissement dans la réalisation de quais de transfert pour optimiser les rotations de collecte, des déchetteries et des colonnes de conteneurs sélectives. Dispositif de partenariat public privé, qui exige cependant un cadre juridique spécifique et une évaluation objective des expériences engagées dans certains secteurs à l'instar de celui de la distribution de l'eau. L'option d'une délégation à un établissement public industriel et commercial (Epic) qui a plus de cohérence dans le cas d'un projet intercommunal reste une alternative aléatoire à terme en raison du coût de subventionnement difficile à supporter dans une conjoncture de contrainte financière, et surtout des risques d'interférences nuisibles que peut induire la proximité avec les assemblées élues sur des aspects de gestion en particulier les recrutements. Dans la perspective laborieuse de l'économie circulaire fondée sur une écocitoyenneté qui appréhende le déchet comme une ressource qu'il faut réduire, réutiliser et recycler, la collectivité locale doit d'abord arrêter de naviguer à vue, par l'adoption d'un schéma de gestion cohérent fondé sur la maîtrise préalable du gisement des déchets et de ses différentes composantes, l'utilisation de moyens matériels de collecte adaptés aux contraintes urbaines, l'amélioration des conditions de travail, la rationalisation des circuits, la régularité des fréquences de collecte, le suivi des coûts par la pesée et pourquoi pas avec de l'informatique embarquée, sans négliger la communication et la sensibilisation des citoyens sur la base d'un règlement de collecte qu'il faut maîtriser. Faut-il espérer voir dans la constitutionnalisation de la dimension de l'environnement à travers la place accordée au Conseil national économique, social et environnemental le gage d'une nouvelle stratégie plus volontariste dans le secteur de la gestion intégrée des déchets ménagers de sorte à mettre un terme à toutes les improvisations et approximations locales ?