Le Pr Smaïl Nourreddine, membre du Comité scientifique de suivi de l'évolution de la pandémie de Covid-19, brosse, dans cet entretien, un tableau sur les derniers pics de coronavirus enregistrés. Le nouveau directeur général de l'INSP explique aussi les raisons liées à la "réaugmentation" des cas de contamination. Liberté : De nombreux pays se préparent, ces dernières semaines, à faire face à des pics d'une nouvelle vague de la pandémie. Celle-ci ne risque-t-elle pas de frapper aux portes de l'Algérie ? Pr Smaïl Nourreddine : Il faut dire que nous nous préparons aussi en Algérie et que nous restons sur nos gardes. Mais rien ne présage dans l'immédiat qu'il s'agit d'une deuxième vague au sens d'une maladie plus virulente que les mois précédents. Nous assistons actuellement à une "réaugmentation" de cas dans plusieurs pays, mais en termes de virulence, par rapport aux premiers temps de l'épidémie, il y a une régression de la capacité de virulence du virus. Des milliers de cas sont déclarés en France à titre d'exemple, mais avec moins de prédisposition à faire des dégâts, comme ce fut le cas au début de la pandémie. Mais, nous constatons quelque part une évolution naturelle de ce coronavirus. Il est dit que tous les virus qui apparaissent font beaucoup de dégâts, au début, avant qu'une "compétence" naturelle ne se développe et fasse que des petites mutations interviennent dans le virus pour devenir moins virulent. Ce qui laisse croire à un virus qui dispose de la possibilité de se transmettre et de circuler davantage, mais en faisant des malades asymptomatiques. Les gens ne prennent alors pas beaucoup de précautions face à des patients qui ignorent qu'ils ont attrapé la maladie. C'est dire que le coronavirus poursuit sa marche naturelle. Une marche naturelle qui entraîne dans son sillage une deuxième vague ? Je suis très sceptique quant au concept de deuxième vague qui revient ces jours-ci, mais pas au point de souligner qu'on manque de connaissances liées à la pandémie. Dans tous les cas, je ne pense pas qu'il y aura une deuxième vague qui entraînerait autant de dégâts que ceux enregistrés durant les mois d'avril et de mai. La situation est à présent maîtrisable et c'est valable pour la planète entière. Il faut, néanmoins, relever que le monde entier a pris conscience à présent de la façon dont le virus est en train de circuler. La situation est gérée en fonction des bilans épidémiologiques dressés. C'est ce que nous faisons aussi en Algérie. En franchissant le cap fatidique de 200 nouvelles contaminations en 24 heures, ne serait-ce pas une alerte ? En fait, il faut aussi regarder l'alerte en termes de mortalité et d'hospitalisation qui sont des paramètres importants pour mesurer la dangerosité del'épidémie. Parmi ces 200 malades, que vous venez de citer, figurent très peu de cas ayant des symptômes très poussés. La majorité d'entre eux relève du bénin qui ne nécessite pas une hospitalisation. La tendance épidémique est désormais ascendante depuis pratiquement une semaine ? Cette hausse nous interpelle afin de parer à toute éventualité d'extension de la maladie. Cela veut dire aussi que nous devons nous adapter et réagir en fonction de l'évolution du virus. Le challenge aujourd'hui est de faire en sorte que nous puissions tous être sur la défensive, en observant les mesures barrières et en respectant la distanciation. Nous devons nous efforcer à appliquer les trois mesures cardinales — le port du masque, la distanciation et le lavage des mains — pour éviter de retomber dans le confinement et les couvre-feux qui sont en train d'être instaurés dans certains pays européens, tels que la France. Y aura-t-il dans les prochains jours des mesures exceptionnelles pour affronter les éventuels pics ? La seule solution qui existe jusqu'à présent, en l'absence d'un vaccin, c'est de continuer à observer strictement les mesures barrières, tout en souhaitant que le virus continue à faire des cas asymptomatiques plus nombreux. Nous sommes également obligés de prendre de façon stricte toutes les mesures de protection et de prévention. J'invite, une nouvelle fois, tous les Algériens à faire très attention et à prendre ces mesures au sérieux et tout le temps. Le port du masque donne une garantie dont souvent nous ne prenons pas conscience, puisque les gens pensent que les masques sont faits pour éviter d'être contaminés, alors que la vocation première d'un masque est d'éviter de contaminer les autres.Autrement dit, la bavette garantit l'impossibilité, presque à 100%, de transmettre le virus aux autres. La rançon à payer pour le moindre relâchement est le retour au confinement partiel ? Effectivement, c'est la rançon à payer pour tout relâchement. Au cas où la situation épidémiologique se corserait, nous ferons un retour au dispositif de confinement, mais ce sera au cas par cas. D'ailleurs, l'actuelle "réaugmentation" des cas ne concerne pas toutes les wilayas. Les chiffres liés à la contagion sont repartis à la hausse dans seulement certaines régions. Ces chiffres ont fait augmenter le bilan national quotidien des contaminations. Quels sont les sujets qui dominent ces jours-ci au Comité scientifique ? Nous débattons à présent des protocoles et des mesures de lutte à prendre contre le coronavirus. La préoccupation majeure du Comité scientifique reste la prévention et la lutte contre cette maladie. Nous sommes tous confiants que l'idée d'un reconfinement total et général est très loin pour nous, mais un reconfinement partiel n'est pas à exclure si la situation s'aggraverait dans certaines localités. Quel est le dernier bilan de tests PCR réalisés et communiqués au Comité ? Je ne dispose pas du nombre exact de s tests réalisés. M. Derrar, DG de l'Institut Pasteur, nous a rassurés. Aucune secousse en termes de réalisation et d'organisation de tests PCR n'a été enregistrée. Ce que je peux vous dire de façon certaine, c'est que la capacité de réalisation du diagnostic par PCR reste la même. Rien de changé par rapport aux précédentes semaines. La courbe des hospitalisations pour Covid-19 semble être ascendante par rapport aux dernières semaines d'août ou de septembre... À la faveur du recul des cas de coronavirus enregistrés, des gestionnaires des établissements hospitaliers ont pensé à reprendre d'autres activités médicales. En fait, certains hôpitaux ont essayé de relancer notamment les activités qui urgent. Ce qui explique quelques "tracas" liés à l'hospitalisation des nouveaux cas de la Covid-19. Il faut souligner à ce titre que chaque hôpital a toujours pris les précautions nécessaires pour assurer une prise en charge des cas de Covid-19, tel que défini par le Comité. Pas plus tard que lundi dernier, nous nous sommes réunis à l'hôpital Mustapha pour nous redéployer, sans pour autant diminuer le nombre de lits réservés au Covid-19. Comment est organisée, ces derniers jours, l'hospitalisation des cas de Covid au CHU Mustapha-Pacha ? Je peux vous assurer d'une chose, à l'hôpital Mustapha, nous prenons en charge tous les cas qui se présentent. Nous désignons des services différents pour traiter cette maladie. Actuellement, la direction de l'hôpital Mustapha a dégagé les services de pneumologie, de médecine interne, de dermatologie et de diabétologie pour la Covid-19. Nous allons encore faire bouger les lignes dans les prochains jours, et ce, pour permettre à d'autres services, qui n'étaient pas en première ligne, de prendre le relais et de rejoindre le front de lutte. Et la réouverture des frontières a-t-elle été rediscutée au niveau du Comité ? À mon sens, nous pensons d'abord rouvrir le transport collectif public interwilayas. C'est plus urgent. Il y a encore des gens qui n'arrivent pas à se déplacer d'une wilaya à une autre, faute de transport public collectif. J'estime qu'avec le temps, nous avons bien fait de fermer les frontières, parce que les premiers cas de coronavirus en Algérie ont été importés. Ce constat renforce la thèse de maintenir la fermeture des frontières. En définitive, chaque pays pense à sa sécurité sanitaire. La réouverture des frontières doit faire l'objet, peut-être, de négociations avec le pays avec lequel nous allons échanger. C'est dire que le transport aérien relève beaucoup plus d'une décision internationale, que d'une simple décision nationale et locale. Je rappellerai à titre personnel qu'il faut encore patienter pour les rouvrir. Comment expliquez-vous enfin la durée de vie d'une épidémie ? Par définition, il est très dur de classer cette épidémie de coronavirus parmi les maladies virales connues. Il s'agit de quelque chose de tout à fait nouveau pour nous et pour la planète entière. Nous ne pouvons pas prédire combien de temps va durer cette épidémie. Nous le saurons a posteriori. Je me demande sur quelle base scientifique les gens font le parallèle entre la grippe espagnole, qui a duré deux années, et la Covid-19, alors qu'il est question de deux virus totalement différents ? La grippe espagnole est due au virus de type H1N1. Le Covid-19 est un nouveau coronavirus. Par conséquent, les conditions de progression de ce coronavirus sont différentes de celles qui avaient fait des ravages en 1918.