Lors de sa tournée le week-end dernier à l'ouest du pays, il a fait miroiter le Paradis aux populations misérables, notamment les familles victimes du terrorisme, en contrepartie de leurs voix. “Je voterais oui, si ça peux m'aider à trouver un emploi pour mon fils et si je bénéficie d'une allocation pour nourrir mes enfants”, assène Mme Aboula. Pressée par sa fille, elle pousse des coudes pour accéder au siège de la wilaya de Mascara où a lieu, ce jeudi, un meeting du ministre de l'Emploi et de la Solidarité nationale, Djamel Ould Abbès, au profit du référendum sur la charte pour la paix et la réconciliation nationale. “Vite, il faut mettre notre nom sur la liste, sinon nous serons oubliées”, lui demande encore sa fille, les yeux rivés sur une feuille blanche qu'un fonctionnaire promenait parmi l'assistance. “Mon époux a été assassiné par les terroristes. Je ne pardonnerai jamais ce crime mais je dois penser à l'avenir de mes enfants”, dit la mère pour justifier son empressement. Comme elle, la plupart des personnes venues assister au discours du ministre, dont une majorité de familles victimes du terrorisme, était en attente de quelque chose en échange de leurs voix, d'un emploi, logement ou argent. Certains ont même poussé la coquetterie jusqu'à solliciter une omra ou un hadj. “Je ne vous demande pas de voter oui. Le plus important, c'est d'aller aux urnes en force. À mon avis, le meilleur choix consiste à introduire la feuille bleue dans l'urne”, leur conseille Ould Abbès avec humour. Ses arguments sont, dans l'ensemble, d'ordre pécuniaire et matériel. “Je suis venu avec une aide pour le ramadan et des allocations scolaires pour vos enfants comme chaque année”, les informe-t-il. La générosité de l'Etat sera plus grande si les Mascaris votent en masse. Le ministre de la Solidarité l'a promis. “Je ne fais pas de politique. Je suis là pour vous aider. C'est le médecin qui est venu vous voir”, martèle-t-il tout en brandissant un livret bleu édité par son département portant le titre Contribution pour une réconciliation globale. La couleur azur du livret n'est pas sans rappeler celle du bulletin portant la mention “oui”. À travers les trois autres wilayas, Saïda, Tissemsilt et Tiaret, le ministre s'est livré à la même propagande. Sur la route de Tissemsilt, le chauffeur qui nous conduit au siège de la wilaya nous informe qu'il était Patriote. Il est aussi victime du terrorisme. “Tout le monde a été touché par le terrorisme, mais c'est le moment de tourner la page”, pense-t-il, en méditant : “Peut-être que la réconciliation nous apportera la paix et la prospérité. Je voterai oui, car le gouvernement nous a assurés que les choses vont s'améliorer après le référendum et, avec un peu de chance, nous aurons des logements et nous pourrons nous marier”, dira encore notre accompagnateur. Sur le chemin vers Tissemsilt, plusieurs villageois sont sur les abords de la route, pour attendre le ministre. Les pâturages sont jaunâtres. Des villages sont en ruine. Des enfants courent pieds nus dans la poussière alors que les adultes, exaltés, sont impatients de voir leur hôte. “Nous avons vécu le martyre dans cette région. Pour une fois qu'un officiel vienne nous voir, nous sommes rassurés”, dira un fellah, venu assister au meeting de Ould Abbès. Comme lui, d'autres villageois expriment cette attente. Manifestement, il y avait une vie avant le référendum, une autre après. C'est, en tout cas, la conviction du public si pauvre de Ould Abbès à Tissemsilt. Le ministre l'a compris. À Tiaret, il promet la livraison de 1 650 logements et la somme de 170 milliards de dinars au profit des familles victimes du terrorisme. Il annonce également que 15 bus scolaires seront distribués à toutes les communes de la wilaya. Un citoyen s'écrie du fond de la salle : “Monsieur le ministre, donnez-nous 50 bus au lieu de 15 !” “J'arrondirai le chiffre si le taux de participation arrive à 95% dans cette wilaya. C'est une promesse”, lui répond-il. Les arguments pécuniaires séduisent aussi l'autre camp. Des repentis présents au meeting croient aussi beaucoup aux vertus de la réconciliation. “C'est la seule alternative pour le peuple algérien”, commente un “ancien égaré”. Il est appuyé par d'anciens acolytes. L'un avoue qu'il s'est converti en Patriote. Les autres, voulant garder l'anonymat, se sont fondus dans la société grâce à la loi sur la concorde civile. “Maintenant que nous sommes repentis, il reste à nous trouver des emplois”, réclament-ils. En guise de cadeau de bienvenue, ils ont bénéficié de logements ou de locaux. N. A.