La maladie n'épargne quasiment plus aucun foyer ou localité à Jijel. Le personnel hospitalier, épuisé par un travail presque forcé sur le front de la lutte continue contre la Covid-19, reste malgré tout mobilisé. En signant deux arrêtés de suite en vertu desquels il signifie la suspension des actes de mariage pour une durée de 15 jours et l'interdiction de l'installation des tables et des chaises dans les cafés et en imposant aux restaurateurs, aux pizzerias et aux fast-foods de ne servir que les repas à emporter, le wali de Jijel, Abdelkader Kelkel, semble prendre conscience de l'aggravation de la situation sanitaire à la faveur de l'augmentation inquiétante des cas de contamination par le coronavirus. Il signe également le retour à certaines mesures prises lors de la période du confinement dans un contexte où certains, notamment le personnel hospitalier, plaident pour un retour à ce confinement pour juguler cette hausse. "Il ne reste que la solution externe car dans les hôpitaux, tous les moyens ont été épuisés, il n'y a plus aucune solution", balance, sans ambages, le directeur d'un établissement hospitalier. C'est dire, selon ce responsable, qui vient, de surcroît, d'être contaminé par le Covid-19, que toutes les voies médicales et d'hospitalisation ont été épuisées dans la lutte contre cette épidémie. "La solution doit désormais venir de l'extérieur par la mise en place de mesures plus strictes, quitte à revenir au confinement, car le personnel soignant est épuisé, il est à bout de souffle !", martèle-t-il, avant d'ajouter : "Nous avons de plus en plus de personnels qui partent en confinement que ceux qui en reviennent." Depuis son lieu de confinement, notre interlocuteur dit suivre l'évolution de la situation et veille au bon déroulement de l'activité au sein de son établissement. Cette situation est tellement difficile qu'il n'est plus permis de baisser la garde. Et chacun à son niveau, du plus simple agent de sécurité et d'hygiène au personnel administratif en passant par le personnel soignant, qu'il soit médical ou paramédical, est mobilisé sur le front de lutte contre la Covid-19 qui n'épargne quasiment plus aucun foyer ou localité à Jijel. La libre circulation de ce virus est sur toutes les langues, notamment celles des plus impliqués dans la lutte contre sa propagation, à savoir les médecins. "Toute personne est potentiellement atteinte. On ne sait pas qui l'est et qui ne l'est pas", réagissait, il y a quelques jours, le médecin d'un service de prévention, qui suit de près l'évolution de la situation de par son implication dans les enquêtes épidémiologiques. "Ces enquêtes ne servent plus à rien", lançait le même médecin lors d'une émission radiophonique sur les ondes de la radio régionale de Jijel. "Au début, on confinait les personnes atteintes, maintenant, elles sont libres et ne sont astreintes à aucune restriction", regrettait ce médecin. C'est à partir de là que tous les ingrédients d'une propagation rapide du virus se sont réunis, donnant lieu à une situation que tout le monde juge critique. "Rabbi Yastar" (Que Dieu nous protège), "Ça ne va pas" ou encore "Al hala mamliha'ch" (La situation n'est pas bonne) sont les phrases les plus entendues ces jours-ci dans toutes les agglomérations de la wilaya, y compris dans la ville de Jijel, touchée de plein fouet par la multiplication des cas de contamination par le virus. Relâchement Pour faire face à cette situation, des appels à l'aide sont lancés sur les réseaux sociaux, dont certains sont allés jusqu'à interpeller les menuisiers pour contribuer à la fabrication des cercueils, de plus en plus nombreux dans les services Covid-19. Le comble, et contrairement à cet état d'appréhension et de peur, dans les rues, dans les espaces publics ou dans les commerces et le transport, aucun signe de restriction n'est visible. Tous se comportent comme s'il n'y avait aucune alerte sanitaire. Le relâchement est total ! Pourtant, ce n'est pas le cas dans les établissements hospitaliers, dont la plupart des services ne reçoivent plus que les malades atteints de la Covid-19. Que ce soit à l'hôpital du chef-lieu de la wilaya, Jijel, ou celui de Taher, ou encore d'El-Milia, le personnel soignant est épuisé. Aucune erreur ni baisse de vigilance ne sont pourtant permises au risque de perdre des vies humaines ou de se faire contaminer. "C'est dur ! Jusqu'à quand peut-on rester vigilant, une erreur peut survenir à tout moment ?", s'inquiète un infirmier, affecté au service de réanimation de l'EPH Mohamed Seddik-Benyahia de Jijel. Ayant une longue expérience dans ce pavillon des soins intensifs, notre interlocuteur, qui fait preuve d'un courage digne d'un homme dévoué pour son métier est, néanmoins, inquiet de l'état d'épuisement du personnel. "Nous sommes débordés, fatigués, et l'hôpital est saturé", clame-t-il. "Je viens de sortir de mon travail, ça va", nous a-t-il répondu au téléphone, jeudi, non sans être soulagé d'une lourde charge du travail. Pourtant, ce jour, l'hôpital Mohamed Seddik-Benyahia de Jijel a connu un certain bouillonnement, lorsque le personnel soignant, médical et paramédical, est allé tenir un sit-in devant le siège de la wilaya pour manifester sa solidarité avec le directeur dont on disait qu'il avait été relevé de ses fonctions. "Ça va, c'est rentré dans l'ordre, le groupe qui a été reçu par le wali est revenu, c'est bon", se rassure notre interlocuteur. Jeudi, et alors que les services hospitaliers débordaient de malades, c'était l'alerte au sein de cet établissement. Une information selon laquelle le directeur a été relevé de ses fonctions a subitement poussé le personnel soignant à aller tenir un sit-in devant le siège de la wilaya, qui se trouve juste en face. Après avoir monté d'un cran, la tension baisse quelque temps après. Le directeur concerné, qui se rétablit à peine de sa contamination par le coronavirus, est de retour. Il rencontre son personnel et le rassure sur le bon dénouement de cette affaire. Celle-ci a pour genèse une vidéo relayée par les réseaux sociaux montrant un médecin réanimateur lancer un appel à l'aide. C'est justement cette vidéo qui semble avoir été à l'origine de cette affaire, et le directeur a été sommé d'en donner de plus amples explications. épuisement du personnel La suite a été ce mouvement de protestation improvisé par le personnel qui a vite été étouffé, au motif que c'est un malentendu qui l'a provoqué. Tout au long de ce mouvement, les services hospitaliers, bien avant et après, ont continué à prendre en charge des malades qui ne cessent d'affluer à tout moment. "Ils sont pris en charge, et malgré les difficultés, ils suivent leur traitement", réagit un autre médecin réanimateur, qui semble dédramatiser la situation. Même s'il parle d'un nombre qui dépasse de loin la centaine de malades admis dans cet hôpital, ce médecin affiche une certaine sérénité dans sa tenue anti-Covid. Les parents de certains malades continuent, cependant, de s'inquiéter. Et ce n'est pas tant la prise en charge de leurs malades qui les inquiète, mais c'est plutôt l'oxygène médical. "J'ai dû apporter le respirateur de la maison, ici il n'y a pas d'oxygène", s'élève un garde-malade, resté au chevet de son père, à l'hôpital. L'oxygène est justement cette histoire qui n'en finit pas de soulever une grande polémique à l'extérieur des hôpitaux. En dépit des assurances des responsables concernés sur sa disponibilité, même si l'on concède que les stocks ont diminué de par sa grande consommation, il continue à soulever moult interrogations sur des ruptures supposées. "Il n'a jamais manqué, c'est juste une baisse de pression qui est souvent enregistrée, et s'il y a problème, on a la solution de recourir aux obus pour mettre le malade sous oxygène", confie l'infirmier du service de réanimation de l'EPH Mohamed Seddik-Benyahia de Jijel. C'est dans le même sens qu'abonde le directeur de l'EPH Medjdoub-Saïd de Taher, qui affirme que son établissement dispose de deux cuves de 3 000 et 5 000 litres d'oxygène. "Il ne manque pas, ce sont plutôt les malades qui s'inquiètent. Chacun veut avoir un débit plus fort, alors que c'est le médecin qui décide de la quantité d'oxygène nécessaire", précise-t-il. Notre interlocuteur souligne que la demande d'oxygène a plus que doublé en raison de la hausse des cas de Covid-19, qui ne descendent plus sous la barre de 120 cas à l'hôpital de Taher. "On sollicite tout le temps Linde Gaz pour nous alimenter, il n'y a pas eu de rupture d'oxygène", tranche-t-il. Cependant, si à l'hôpital de Jijel, le stock en oxygène avoisine les 10 000 litres, en plus des obus, ce n'est pas le cas à l'EPH Bachir-Mentouri d'El-Milia, qui ne dispose que d'une seule cuve de 3 000 litres. "On a tenté de doubler cette capacité par l'acquisition d'une autre cuve, mais l'opération n'a pas abouti", confie une source au sein de cet établissement. Très au fait du fonctionnement de la distribution de l'oxygène au sein des services hospitaliers, notre interlocuteur insiste, lui aussi, sur le fait qu'il n'y a jamais eu de rupture d'oxygène. "Parfois, il y a des fuites dans les installations murales, du gaspillage aussi, mais dès que notre stock arrive à moitié, on fait appel à Linde Gaz, et nous recourons également à l'approvisionnement en obus dès que le nombre de ces derniers diminue", soutient-il.