Spécialiste du Maghreb et de l'Algérie, le chercheur Kader Abderahim estime qu'il n'y a rien de "surprenant" dans les déclarations du président français à propos de son soutien exprimé à l'égard de son homologue algérien. "Je ne conçois pas qu'on puisse être surpris ou choqué par la déclaration du chef de l'Etat français", dit-il. Liberté : Le soutien franc que vient d'apporter le président français Emmanuel Macron à son homologue algérien peut-il être perçu comme une ingérence dans le débat politique en Algérie ? Kader Abderahim : Ce soutien n'est pas une nouveauté. La France a toujours été du côté des régimes en Algérie ou ailleurs. Elle a toujours, en référence, une doctrine diplomatique instaurée par le général De Gaulle, à savoir discuter et négocier uniquement avec les Etats. Et celui qui représente l'Etat actuellement en Algérie est le président Tebboune. Je ne conçois pas qu'on puisse être surpris ou choqué par la déclaration du chef de l'Etat français. La politique étrangère de la France a toujours été ainsi. Elle ne changera pas tant que sa doctrine diplomatique n'évolue pas même si la France peut parfois être critique sur la gestion par le régime algérien de certaines affaires intérieures comme le Hirak auquel elle n'a, toutefois, pas apporté de soutien franc. Dans ses relations avec l'Algérie, la France de Macron est-elle en rupture ou dans la continuité de ses prédécesseurs ? Il n'y aura pas de rupture tant que la nature du régime n'aura pas changé. Le paradoxe, selon moi, est un paradoxe algérien. D'un côté, l'Etat algérien ne cesse d'utiliser la fibre nationaliste et patriotique pour attaquer la France sur les méfaits de la colonisation et, de l'autre côté, ses dirigeants continuent à parler avec la France, à négocier avec elle et à se soigner chez elle quand ils ont des problèmes de santé comme cela a été le cas avec Bouteflika. Quel est l'élément déterminant dans le rapport de la France à l'Algérie, autrement dit quelle est la préoccupation majeure pour Paris vis-à-vis d'Alger ? La France est animée par une volonté de stabilisation de l'Algérie dans un environnement régional qui, lui, est très fragile. En plus de l'instabilité interne avec la poursuite de la contestation et du rejet massif des Algériens du système actuel, l'Algérie est confrontée à une menace exogène à ses frontières, en Libye et dans le Sahel. Il y a aussi le problème du Sahara occidental qui n'est pas encore réglé. Le pari du président Macron est sans doute de jouer la stabilité. Les diplomates ont toujours tendance à considérer que le statu quo vaut mieux que l'innovation. Ce qui est un très mauvais calcul. On s'en est rendu compte en 2010-2011 avec ce qui est appelé le Printemps arabe. Des bouleversements ayant amené des islamistes au pouvoir dans plusieurs pays. Encore une fois, le soutien aux régimes autocratiques est un mauvais calcul car c'est avec les démocrates que l'on peut construire des Etats de droit. Cela est aussi valable pour l'Algérie. Le président Macron est encore revenu sur les questions de la colonisation et de la mémoire en rejetant à la fois le déni et les excuses. Il considère aussi qu'il faut briser les tabous concernant cette période. Êtes-vous d'accord ? Je suis à peu près d'accord avec cette déclaration. Explorer la mémoire de la colonisation et en parler exige toutefois une certaine liberté. En France, cette liberté existe car les gens vivent dans un espace démocratique. Ce qui n'est pas le cas en Algérie. A-t-on déjà permis à un chercheur ou à un universitaire de faire un travail sur notre histoire indépendamment de l'histoire écrite par le régime ? Cela suppose un libre accès aux archives qui n'existe pas. Or, l'histoire de la colonisation française en Algérie doit être analysée suivant un regard croisé. Sans liberté de recherche, nous continuerons à subir un regard exclusivement français sur notre histoire.