Une éventuelle reprise des violences armées dans le Darfour va saper les efforts de paix au Soudan et menace la fragile transition en cours depuis un an et demi à Khartoum. Cela ne fera que rajouter de l'instabilité à l'ensemble de l'Afrique de l'Est, déjà minée par plusieurs crises. La fin aujourd'hui du mandat de la Mission de paix mixte de l'ONU et de l'Union africaine (Minuad) dans le très instable Darfour (ouest du Soudan) suscite de nombreuses inquiétudes chez les populations de la région, où les violences intercommunautaires et les séquelles de la guerre livrée par l'ancien régime de Khartoum sont toujours béantes. Décidée il y a dix jours, lors d'une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU, la fin de cette mission a provoqué mardi après-midi une vague de protestations qui se sont prolongées jusqu'à hier matin dans plusieurs villes de l'Etat du Darfour, mais aussi dans la capitale soudanaise Khartoum et dans la ville portuaire Port-Soudan, en solidarité avec les déplacés du Darfour, qui en appellent à la communauté internationale pour reconsidérer sa décision. Les manifestants ont organisé une marche et un rassemblement devant le siège de la Minuad, au Darfour central, où une délégation a demandé aux responsables de cette mission de rester jusqu'à ce que la sécurité soit assurée par les nouvelles autorités soudanaises de transition, qui ont conclu il y a quelques mois un accord de paix avec les principales factions armées du Darfour. Mais cela n'a pas empêché la poursuite des exactions, des violences verbales, physiques et sexuelles, contre les milliers de déplacés, pas prêts à regagner leurs villages et maisons à travers cette région minées également par les violences intercommunautaires. À Khartoum, des centaines de personnes à pied et des cortèges automobiles se sont rendus au siège du gouvernement de transition, du ministère de la Justice et au siège de la mission de l'Union européenne pour exprimer leur solidarité aux déplacés du Darfour, mais exiger aussi que la Minuad reste, a rapporté la presse locale, alors que le pays n'a pas encore tourné la page de l'ancien régime déchu de Omar al-Bachir, à l'origine de la guerre dans cette région en 2003 face au Front de libération du Darfour, un des principaux groupes rebelles, faisant plus de 300 000 morts, selon plusieurs sources. Et au-delà de l'aspect sécuritaire, la Minuad assurait aussi un important appui humanitaire aux déplacés, estimés à plus de 2,7 millions de personnes, dont 230 000 sont réfugiés dans le Tchad voisin. Le remplacement de la Minuad par une nouvelle mission dès le 1er janvier n'a pas rassuré les déplacés du Darfour. En effet, la mission mixte de l'ONU et de l'UA sera remplacée par la Mission intégrée des Nations unies pour l'assistance à la transition au Soudan (Minuats), créée par le Conseil de sécurité en juin dernier et qui aura la charge de "soutenir la consolidation de la paix, la protection des civils et le rétablissement de l'Etat de droit" dans ce pays. Dès l'annonce de la fin de la Minuad, plusieurs voix, dont l'ONG Human Rights Watch, ont demandé au Conseil de sécurité de l'ONU de revoir sa décision. Estimant que "le Darfour n'est pas comme les autres régions du Soudan", HRW avait affirmé en mars dernier que "le Conseil de sécurité de l'ONU devrait reconnaître que le Darfour nécessite un retrait beaucoup plus graduel et maintenir une présence sécuritaire sur le terrain afin de protéger les civils de manière active". Le début du retrait, dès octobre, des Casques bleus de l'ONU de 14 bases militaires du Darfour a d'ailleurs provoqué un climat d'instabilité et de peur dans la région, où des factions des groupes armés ont vite fait d'occuper les anciennes positions des troupes de la Minuad. Avec le fragile équilibre des pouvoirs à Khartoum et l'éventuelle reprise de l'action de protestation des Soudanais, la décision de l'ONU risque de replonger le Darfour et le Soudan dans une nouvelle spirale de la violence.