Dans cet entretien, le Pr Wahiba Hadjoudj, directrice de la pharmacie au ministère de la Santé, revient sur le calendrier national d'approvisionnement en vaccin anti-Covid. Elle expliquera, également, la démarche adoptée pour accélérer la vaccination, en annonçant l'arrivée de nouveaux lots dont 200 000 doses d'origine chinoise, aujourd'hui mercredi. Liberté : Jusque-là, l'Algérie n'a réceptionné que 100 000 doses du vaccin anti-Covid du centre russe Gamaleïa et du laboratoire britannique AstraZeneca. À quand la prochaine livraison ? Pr Wahiba Hadjoudj : La prochaine livraison du vaccin anti-Covid est programmée pour demain (aujourd'hui, ndlr). Nous allons réceptionner une quantité de 200 000 doses d'origine chinoise. Il s'agit d'un don accordé par la compagnie pharmaceutique chinoise Sinopharm. C'est un vaccin inactivé. On recevra, également, dans le cadre du mécanisme onusien Covax, un quota qui oscille entre 770 000 et 850 000 doses d'AstraZeneca. Cette nouvelle cargaison sera livrée vers la fin du mois en cours. L'Algérie s'est acquittée de toutes les procédures y afférentes. Il reste juste à valider les contrats d'indemnisation et l'obtention de l'autorisation d'utilisation. On a d'ailleurs écrit, ce lundi 22 février, au ministère de l'Industrie pharmaceutique, pour lui demander l'autorisation d'utilisation sur dossier. Ce sérum d'immunisation a été déjà préqualifié par l'OMS en date de 15 février. Le producteur ne peut pas livrer un vaccin avant la préqualification. Pour le vaccin chinois, il faut savoir qu'il a déjà été enregistré dans le pays d'origine, à savoir qu'il a été utilisé. Quel est le pays d'origine de fabrication des 800 000 doses d'AstraZeneca livrées dans le cadre du dispositif Covax dont l'arrivage est confirmé pour le 28 février ? Effectivement, cette quantité a été confirmée pour le 28 février, mais ça peut déborder sur le mois de mars, soit la première semaine de mars. Ce produit d'AstraZeneca est fabriqué en Corée du Sud, mais sous le contrôle du laboratoire britannique AstraZeneca. Nous allons ainsi demander son enregistrement, même si nous avons déjà enregistré les 50 000 doses reçues d'AstraZeneca fabriqué par Serum Institut of India. Néanmoins, on doit faire une nouvelle demande d'autorisation d'utilisation. Cette procédure qui s'impose n'exige pas beaucoup de temps. Cela étant, cette opération n'a pas été de tout repos. À défaut d'une homologation définitive, la préqualification d'un vaccin restera-t-elle une condition pour son utilisation ? À ce propos, il y a lieu de savoir que dans le cadre du dispositif Covax, l'OMS est partie prenante. Alors, pour distribuer un vaccin à travers le dispositif Covax, ce traitement doit préalablement et obligatoirement faire l'objet d'une préqualification délivrée par l'Organisation mondiale de la santé. Cependant, lorsqu'un produit vaccinal a été enregistré dans son pays d'origine, cela suppose que ce produit a déjà été utilisé. Autrement dit, nous avons cette sécurité et une garantie quant à son utilisation, dans le cadre du dispositif Covax à travers la préqualification de l'OMS. Ce qui n'est pas le cas dans le cadre bilatéral. Nous avons demandé officiellement la demande d'autorisation d'utilisation, faute de quoi, nous ne pourrons pas le distribuer à la population. Toutefois, il y a eu dernièrement la promulgation de textes qui définissent les conditions de l'enregistrement, en général, et de l'enregistrement d'urgence, en particulier. Vu que nous sommes face à une situation d'urgence, nous avons eu l'autorisation d'utilisation comme cela a été le cas pour le Sputnik V et le vaccin d'AstraZeneca. La cargaison chinoise, qui sera réceptionnée demain (aujourd'hui, ndlr), sera utilisée le lendemain, soit jeudi, dans les polycliniques. Qu'en est-il du reste du programme d'approvisionnement ? L'Algérie est en train de diversifier les possibilités d'approvisionnement en vaccin. Nous avons ainsi adhéré, au même titre que 54 pays africains, au programme africain appelé Avatt. C'est un peu l'équivalent du mécanisme Covax. Un achat groupé sous le contrôle de l'Organisation africaine. Nous avons déjà fait une précommande et nous avons saisi le ministère des Finances pour entamer les démarches auprès de la Banque africaine. Ce mécanisme africain garantit déjà une disponibilité de 270 millions de doses. Le mécanisme africain a alloué un programme de 15% de la population algérienne, soit une quantité de 8,9 millions de doses. Cette quantité sera livrée par les laboratoires AstraZeneca, Pfizer et Johnson and Johnson. Par conséquent, si l'on additionne les quantités assurées par le programme Avatt à celui de Covax, l'Algérie disposera de millions de doses, soit de quoi vacciner 35% de la population algérienne. Autant dire qu'il est question de 35% des 70% de la population : ce qui veut dire 50% de la population à vacciner. Cela fait un total de 20 millions de doses avec ces deux mécanismes. Les 20 autres millions de doses seront acquises dans le cadre d'achats bilatéraux, en négociations directes avec les fabricants. C'est ce que l'Institut Pasteur est en train de faire. Cela veut-il dire que les livraisons s'étaleront sur toute l'année 2021 ? En fait, nous avons de bonnes perspectives. Nous réceptionnerons de manière régulière, durant ces deux trimestres, des quantités de doses jusqu'au 30 juin où l'on atteindra un quota de 2,2 millions de doses, voire plus. La première allocation dans le cadre du dispositif africain est programmée pour la fin mars. D'autres quotas seront réceptionnés durant le mois d'avril avec le programme signé avec l'Union africaine. D'autres seront livrés dans le cadre du Covax durant les mois de mai et juin. S'agissant du produit russe, le Sputnik V, il faut savoir que nous avons passé une commande signée et validée le 13 janvier, qui est d'un million de doses. La première livraison, soit 50 000 doses, a été faite le 29 janvier dernier. Nous attendons un prochain quota promis pour la troisième semaine de février, mais nous n'avons encore rien reçu, on nous a dit que cele se fera dans la quatrième semaine, alors nous attendons. Cela n'a pas été du tout facile. Nous avons mené des négociations pendant des mois par visioconférence avec le laboratoire fabricant et avec l'ambassadeur de Russie qui a été reçu 4 à 5 fois au ministère de la Santé. C'était donc une course contre la montre pour lancer la campagne de vaccination durant le mois de janvier... Effectivement. L'Algérie n'a négligé aucune piste pour garantir le maximum de chances d'acquérir le vaccin. Après avoir mis en place les critères d'acquisition, nous avons avancé avec nos partenaires russes, parce que le Sputnik V a été déjà enregistré, soit le 11 août 2020. Le deuxième vaccin homologué a été celui de Pfizer en décembre, en Angleterre, avant que l'OMS ne procède à l'homologation du vaccin d'AstraZeneca. Nous avions, donc, fait toutes les démarches nécessaires avant l'instruction du président de la République. Nous avons juste accéléré la démarche après l'instruction du Président, puisque tout avait déjà été fait en amont. Nous étions partis pour des livraisons à partir du mois de février, au plus tard, mars. Malgré toutes les difficultés des fournisseurs à honorer leurs engagements, la deuxième dose est-elle garantie pour les personnes ayant reçu la première ? Nous commencerons ces jours-ci l'innoculation de la deuxième dose. Les autorités sanitaires l'ont déjà réservée. Il y a tout un tableau de traçabilité électronique sur la distribution des vaccins à travers les polycliniques. Les flacons bleus contiennent la première dose et les rouges la deuxième. Quel est le nombre de doses que nous devons acquérir pour atteindre le niveau de l'immunité collective, qui est de 70% selon le Comité scientifique ? L'Organisation mondiale de la santé recommande aux pays membres de vacciner 50% de la population. L'organisation africaine préconise un taux de 60% de la population globale. En Algérie, on a pensé vacciner 70% de la population, soit 20 millions d'Algériens. La plupart des vaccins sont administrés en deux rendez-vous pour les deux doses, à l'exception du produit fabriqué par le laboratoire américain Johnson and Johnson qui exige une seule injection. Nous avons prévu au maximum 40 millions de doses, et ce, pour être en conformité avec la stratégie vaccinale arrêtée. Grâce au mécanisme Covax, nous avons une garantie d'acquisition d'une quantité de vaccins qui couvrira la demande de 20% de la population, soit le 5e de la population algérienne estimée à 44 millions, soit 6 à 8 millions de personnes. Nous avons besoin entre 12 et 16 millions de doses pour leur assurer l'immunisation. Les prix pratiqués dans le cadre de Covax sont-ils plus intéressants que ceux appliqués dans le bilatéral avec le fournisseur ? Lorsqu'il s'agit d'un programme d'approvisionnement dans le cadre de Covax, les vaccins sont totalement subventionnés, l'Algérie ne payera rien, à l'instar des 180 pays qui ont adhéré au mécanisme onusien. La cargaison est assurée jusqu'au port d'entrée du pays demandeur, alors que le transport, dans le cadre de la formule bilatérale, est à notre charge. Nous avons signé un mémorandum en novembre dernier avec l'Unicef qui doit prendre en charge tous les aspects logistiques jusqu'à l'aéroport Houari-Boumediene. Après quoi, l'Institut Pasteur prendra le relais pour stocker les vaccins. Le croisement de doses de vaccination entre la première et la seconde est-il envisageable ? Il y a une réflexion autour de la question de mélange de doses, mais jusqu'à présent, il n'y a rien de concret. Les experts n'excluent pas cette possibilité de croisement de doses entre la première et la seconde lorsqu'il s'agit de la même plateforme technologique. À titre d'exemple, les vaccins Sputnik V, AstraZeneca et Johnson and Johnsons ont fabriqués à partir d'un virus inactivé, l'adénovirus. Les scientifiques sont en train d'étudier l'interchangeabilité entre les vaccins de même plateforme technologique.