Les prix affichés ces premiers jours de carême font le bonheur des petites bourses de la région. Solidarité oblige, des promotions spécial ramadan ont même été lancées par des commerçants. À l'instar du reste du pays, les Bouzeguenois vivent leur mois de jeûne avec une grande ferveur. Déjà, bien avant l'arrivée de ce mois sacré, les ménages s'y préparaient en procédant au nettoyage de la maison, à l'achat de nouveaux ustensiles de cuisine, de plats et de certaines denrées alimentaires indispensables à la confection des mets traditionnels. Si, aujourd'hui, l'entame du ramadan est décidée par les instances religieuses du pays, il y a quarante ans, la nuit du doute est vécue par les villageois comme une grande fête. Réunis sur la grande place du village, ils procèdent dans un silence religieux à la prospection du croissant lunaire. Dans le crépuscule qui allonge les ombres, tous les regards fixaient un même point, les yeux picotaient à force de scruter une écaille d'argent qui se dérobe. Parmi les observateurs, il y avaient des vieux de bonne foi. Chacun d'eux, de temps à autre, signale une silhouette, vite démentie. Mais voilà khali Moh Ouali Ahitous, qui, à 95 ans, possède une excellente vue, nous signalait le fil ténu de la nouvelle lune qui transparaissait dans la nuit. Sa vision était aussitôt confirmée par les autres qui suivaient la direction de son doigt sûr et sans mystification. C'était un rituel que les villageois vivaient de mille façons. Dans la nuit, des milliers de feux sont allumés dans tous les villages. C'est un début de ramadan des plus cléments que les habitants des Ath Yedjer entament cette année. Une aubaine pour les petites bourses qui retrouvent les denrées de première nécessité à leur portée. Des légumes frais aux prix très abordables, à l'exemple de la courgette à 50 DA (140 DA l'an dernier aux premiers jours du ramadan), de la carotte à 35/40 DA, de la tomate à 50 DA, des oignons à 18/20 DA… Le poulet ne dépasse pas les 175 DA le kg, la viande rouge bovine s'est stabilisée à 550 DA/kg. Normal, puisque beaucoup de ménages se sont rabattus sur la viande congelée. Une boucherie, réputée pour ses ventes promotionnelles, accueille une clientèle assidue et beaucoup de pauvres sont servis gratuitement durant ce mois de bénédiction. Après la rupture du jeûne, les cafés sont pris d'assaut par des centaines de jeunes et moins jeunes. Certains cafés ayant la vocation de salon de thé se transforment en cafés maures. Cartes, dominos, poker resurgissent dans des parties interminables dans un brouhaha assourdissant. Les mosquées de tous les villages sont réinvesties et où les imams sont très respectés car ils sont les symboles du Coran et de la bonne parole. Après les séances de théologie et la prière d'El Aïcha, s'enchaînent les longues séances des tarawih. Les imams doivent réciter durant tout le mois toutes les sourates du Coran. Avant la prière d'El Fedjr, on peut prendre une frugale collation. Ainsi donc passe le ramadan à Bouzeguène. Un mois qui n'est pas seulement synonyme d'abstinence de nourriture, mais surtout de prendre ses distances envers son corps et se rappeler qu'il y a des gens qui ne mangent pas à leur faim. C. Nath Oukaci