Ce qu'il y a d'épatant chez mes compatriotes c'est qu'on peut les occuper avec n'importe quoi ? Il leur faut leur actualité — leur “débat”, disent les plus cultivés d'entre nous — qu'importe de quoi sera-t-elle faite. De la paix qui, miraculeusement, surgira de quelques lois et décrets, d'un plébiscite qui tient plus de la farce que du vote, d'un conflit de sérail qui aura raison de leur mal-aimé de la pertinence doctrinale de “la prière de l'éclipse”. Les Algériens branchés peuvent même se passionner d'un conflit de sérail qui, escomptent-ils, aura raison du plus antipathique des deux protagonistes. Ils n'ont pas encore digéré la leçon de l'épique et douçâtre mutinerie de Benflis. Ces jours-ci, ce sont Ouyahia et Belkhadem qui font les frais de nos amers ressentiments : qui des deux pourra nous offrir le scalp de l'autre ? Nos songes comme nos causeries se nourrissent d'imaginaires péripéties et de non-évènements ? Et plus l'incident est insignifiant, plus il démocratise la controverse et la généralise. Ainsi, l'incident de vestiaire du stade de Tizi Ouzou. Parce que cela se passait au cours d'un match entre la JSK et l'USMA, l'incorrection verbale ou physique, qui caractérise les stades nationaux, a subitement pris la dimension d'un drame auprès d'une large partie de la population dont très peu savaient que quelque chose venait d'exploser encore dans la zone industrielle de Skikda. Preuve que le football est certes un opium délibérément libéralisé. Là où il est roi détourne en effet l'attention populaire des questions qui gênent. Alors servons-lui du football, du bon et du mauvais football, oui, mais du football, comme on dit chez Panzani. Et si l'USMA et la JSK ne savent pas offrir du football même de mauvais goût, on leur proposera, en exclusivité, pour les veillées ramadhanesques, le match Allik-Hannachi. Ces deux dirigeants, dont on dit qu'ils réussissent aussi bien en affaires qu'en football, peuvent à eux deux faire le spectacle. Cet été, ils ont su faire patienter ceux qui n'avaient pas les moyens de prendre des vacances en surenchérissant autour de leur prometteur poulain. C'est étrange comme les chamailleries de deux personnages, qui se seraient sûrement contentés du statut initial de notables de faubourg, se trouvent projetés au rang de personnalités nationales. Le fait que l'un ait attiré la mère de Matoub jusqu'à la tribune présidentielle ou que l'autre ait obligé l'USMA à émettre un communiqué de soutien à Betchine n'a rien à voir dans l'intérêt que suscite ce tête-à-tête autour des effets d'une rixe tout à fait révélatrice du niveau sportif du championnat national. C'est plutôt le désœuvrement moral et une désespérance d'un quelconque progrès qui nous amène à faire feu de tout bois pour occuper nos esprits. Ce faisant, nous accompagnons la régression qu'on nous impose en matière de football comme ailleurs. D'où le navrant spectacle de foules supputant sur la responsabilité des uns et des autres dans l'historique bagarre des vestiaires suspendus au verdict de la fédération. Pendant ce temps-là, les voisins maghrébins se disputaient, très sportivement au demeurant, une place en coupe du monde. À chacun ses soucis. Le tout n'est-il pas d'en avoir ? M. H.