Madani Mezrag nous a émus parce qu'il a évoqué l'un de ses crimes. Un peu comme si ce qui est attendu de lui était de nous cacher “ce sein qu'on ne saurait voir”. Nous aurions peut-être préféré nous en tenir à l'odieux syllogisme que sous-entendait la démarche de concorde civile : l'amnistie n'a touché que ceux qui n'ont pas de “sang sur les mains” ; Madani Mezrag et ses troupes sont amnistiés, ils n'ont donc pas de sang sur les mains. Mais même cette formule connut vite ses limites. Il fallait une amnistie qui assume le terrorisme comme un fait de guerre dont ses adeptes n'aient pas à se renier. Ce qui fut satisfait par le truchement de “la charte pour la paix et la réconciliation nationale”. Comme, d'une part, aucun terroriste n'a, seul, pu commettre un massacre ou fabriquer et déposer une bombe et que, d'autre part, la loi n'envisage pas le traitement de la chaîne de commandement, nul ne sera tenu pour responsable de ces massacres. La boucle est bouclée : en deux textes que nous sommes supposés avoir patriotiquement plébiscités, les terroristes sont lavés de tous leurs forfaits tout en pouvant revendiquer leurs crimes. Ce faisant, nous avons validé, sans trop d'objections, un accord dont le contenu n'est connu que par quelques hauts initiés. Qu'y a-t-il de scandaleux à ce qu'un terroriste endosse ses meurtres comme hauts faits d'armes quand il a été traité comme un belligérant et qu'un traité a été négocié et conclu entre son armée et l'armée officielle ? Il y a tout de même quelque chose de puéril à s'effaroucher de l'ignominie verbale d'un Madani Mezrag quand on est passé si longtemps sur l'affront absolu fait à la mémoire de quelques deux cent mille victimes. Quand le vin est tiré, il faut le boire, dit le proverbe. Tant pis pour ceux qui ont du mal à l'avaler. D'un certain point de vue, tant mieux qu'il y ait des Benhadj et des Mezrag pour nous rappeler notre globale compromission. Il vaut mieux cela que le consensus dont jouit l'amnésie au nom d'une paix de renoncement. Ici comme ailleurs, il est illusoire de vouloir avoir le beurre et l'argent du beurre ; on ne peut pas refuser sa guerre et vouloir la gagner. Le pouvoir a négocié avec les forces du mal. C'est son choix. Par faiblesse ou par option stratégique. Qu'importe. Mais pour qu'il y soit contraint ou qu'il se le permette, il fallut que nous soyons assez nombreux dans la société à fuir le combat et, plus tard, à nous réjouir de voir l'Etat endosser notre démission. Apparemment aussi clairvoyant que nous sommes effarouchables, Madani Mezrag sait que pendant que nous nous gargarisons de voir en lui un “repenti”, son projet s'impose déjà à nous. C'est cela le message que couvre mal le navrant rappel d'un de ses crimes : “Nos idées vont triompher en Algérie. Je suis convaincu que le courant islamiste va triompher.” Il a n'a pas tort, sauf que c'est déjà fait. Que ceux qui luttent pour l'alternance au pouvoir, la liberté d'expression ou la citoyenneté de la femme lui jettent la pierre. S'ils existent encore. M. H.