“El matlouh”, “trid”, pain d'épices, tout s'arrache au marché de la Bastille. Tous les paramètres de la quotidienneté de la vie sont chamboulés, durant cette période faste de jeûne à Oran, où les petites habitudes des gens sont pratiquement “remisées” au placard de l'abstinence. La ville commence à s'étirer à partir de 9 heures du côté des marchés populaires qui sont littéralement pris d'assaut par les clients résidant à Oran et par une kyrielle de banlieusards à la recherche de produits frais à moindre coût. Lieu de rencontres et de palabres spontanés, le marché populaires de la Bastille offre la particularité de brasser tout un monde venu d'horizons divers. On y rencontre même l'introuvable chef de service ou le directeur d'entreprise auxquels on n'arrive pas à mettre la grappin dessus. En dehors donc des rencontres fortuites avec des pontes de la ville, il arrive au curieux journaliste de tomber nez à nez avec l'éternel responsable “en réunion ou en mission” qui se confond en salamalecs diffus une fois épinglé. Un citoyen arborant un large sourire nous fit remarquer d'ailleurs qu'il lui arrivait souvent de régler les questions administratives dans les méandres des marchés populaires de la ville. “Nos responsables locaux ne font pas tous l'administration buissonnière, même si certains d'entre eux ont la fâcheuse habitude de renvoyer aux calendes grecques leurs rendez-vous pour raison majeure de réunion immédiate”, affirme un citoyen rencontré au marché de la rue de la Bastille. Un peu plus loin, une ruelle du centre-ville se transforme en un véritable bazar qui draine une foule disparate, constituée pour l'essentiel de jeunes oisifs qui “tuent” le temps. Ici, en tout cas, on ne risque pas de faire de rencontres inattendues comme à la Bastille qui constitue le ventre d'Oran. Les friands de pain fait maison trouvent toute leur raison de vivre dans une rue adjacente au marché de la Bastille. On y trouve pèle-mêle des grands-mères vendeuses de “matloue”, de “trid”, de pain de campagne, de petits gâteaux traditionnels, de succulents petits pots de confiture fait maison, mais aussi et surtout de l'incontournable pain d'épices que s'arrachent les inconditionnels amateurs de plats relevés. “Le marché de la Bastille présente le microcosme de la ville d'Oran où se côtoient les pauvres et les riches, les personnes connues et méconnues, les mendiants et les pauvres hères, le vendeur installé et le petit vendeur à la sauvette, les vrais mendiants et les faux nécessiteux, c'est une caverne d'Ali Baba qui recèle beaucoup de commisération et où le commun des jeûneurs en difficultés ne risque pas de mourir de faim”, déclare Hassan, un vendeur de légumes installé depuis 27 ans à la Bastille. À côté de ces extrêmes digestifs, il existe malheureusement le côté jardin du marché de la Bastille avec l'avers et l'envers de la pièce. “C'est à partir de 13 heures que les pickpockets entrent en danse et profitent de la cohue pour soulager les citoyens de leurs porte-monnaies. Des petites bandes de voyous qui sèment la zizanie dans le marché comme des nuées de mouches”, s'offusque ammi Laïd, vendeur d'olives depuis 30 ans. Mais on raconte aussi que des artistes et des comédiens de talent aimaient se mélanger à la population joyeuse du marché de la Bastille. Les défunts Abdelkader Alloula et Sirat Boumedienne faisaient de fréquentes virées au marché de la Bastille. Des pièces de théâtre ont été inspirées de certaines scènes vécues par les personnages de Djelloul El Fhaïmi où se mêlent le tragicomique, si cher aux Algériens. Alors, si l'envie vous prend d'aller au marché de la Bastille, dites-vous bien que le cœur d'Oran y palpite intensément. B. Ghrissi