Libéré des "contraintes" que lui imposait sa fonction, le désormais ex-ambassadeur troque son style diplomatique et ses codes pour un autre exercice encore plus complexe, celui de pénétrer les profondeurs d'une œuvre artistique d'Aït Menguellet tout aussi complexe que les méandres des relations internationales. S'il est doué pour les questions diplomatiques, Amar Abba ne devait pas se sentir étranger au vaste champ - chant - des célèbres artistes algériens. En arpentant son "voyage dans l'œuvre poétique de Lounis Aït Menguellet", celui qui fut ambassadeur d'Algérie à Londres est avant tout un familier des sentiers qui mènent à l'intarissable et abondante source d'Ighil Buwamas. Les textes de Lounis Aït Menguellet étaient comme une deuxième école pour l'énarque devenu diplomate. Peut-être sa première école, celle qui a nourri son imaginaire, lui a ouvert les horizons tant les exceptionnelles chansons de Lounis sont d'une fécondité sans commune mesure. Il est, pour ainsi dire, plus aisé pour Amar Abba d'expliquer l'œuvre du poète que de décrypter l'absurdité des relations internationales. Et c'est rempli de joie qu'il est venu ce jeudi rencontrer son public à la librairie Chikh de Tizi Ouzou pour signer son Inig, Voyage dans l'œuvre poétique de Lounis Aït Menguellet. L'endroit n'a rien à envier aux amphis de l'institut diplomatique ou aux bancs de l'Ecole nationale d'administration. Devant un public qui l'écoutait religieusement, l'auteur déroule avec facilité les thèmes et les messages de l'œuvre de Lounis Aït Menguellet. "Ce que nous dit Lounis Aït Menguellet à travers son œuvre, c'est d'être des hommes libres, des Amazighs. C'est-à-dire que notre pensée soit une pensée libre, que nous ne soyons contraints par rien du tout. Lounis met la liberté au-devant de l'existence humaine : elle est dans la pensée, dans la religion, la liberté dans la politique... Il dit qu'il ne faut pas se laisser enchaîner par des chaînes quelles que soient leurs natures...". Des chaînes qui reviennent souvent dans les textes de Lounis en leur donnant des formes multiples comme un combat permanent contre les privations. "Les sociétés qui réussissent aujourd'hui dans le monde ce sont les sociétés de liberté", soutient l'auteur en ajoutant "qu'il faudrait que l'homme acquiert sa liberté dans ce monde. C'est cela à mon avis le message de Lounis", a-t-il enchaîné. Autre sujet qui occupe une place centrale dans l'œuvre de Lounis et que l'auteur a su mettre en évidence, celui de la religion. "Concernant la religion, Aït Menguellet appelle à faire attention pour que ceux qui considèrent que Dieu leur appartient ne vous leurrent. Il faut voir les choses de manière plus libre et décontractée en tant qu'être humain, en tant qu'homme responsable sur cette terre où nous vivons", a-t-il décortiqué. Comment parler de l'œuvre sans évoquer le maître. Ils se confondent. L'auteur ne pouvait pas ne pas célébrer le poète. "Mon livre est un hommage à ce qu'Aït Menguellet a dit durant plus de 50 ans. Lui qui disait à notre place ce que nous pensons mais que nous ne savons pas ou nous ne pouvons pas dire, lui qui sait mettre les mots justes sur ce qu'il pense et ce que nous pensons", a résumé l'ancien ambassadeur. "Ce livre m'a pris beaucoup de temps à l'écrire car cela a nécessité beaucoup de recherches. Et à la fin, je me suis rendu compte qu'avec Aït Menguellet, il y a de quoi écrire des livres et non pas seulement un seul. Pour restituer tout ce qu'il a dit, il faut au moins 1 000 à 2 000 pages, et c'est pour cela que j'ai choisi le titre Inig, c'était pour que ce soit juste un voyage où l'on essaye de capter juste quelques épisodes de son œuvre qui nous plaisent", a-t-il expliqué. En parcourant la longue et riche carrière du chantre de la liberté, Amar Abba conclut que "l'œuvre d'Aït Menguellet est un mélange de culture savante et d'expérience vécue qui met l'homme au centre des thématiques". Des thématiques résumées dans ce "voyage". Il s'agit de "la politique en éveilleur de conscience, la guerre en pacifiste, et l'art pour rappeler la double fonction de l'artiste qui est à la fois semeur d'espoir et de patience et un éveilleur des consciences. Il y a aussi un chapitre que j'ai consacré à sa vision du monde et de la vie, à travers certaines de ses chansons comme A yamghar et aussi Sareh iwaman adelhun qui est une invitation à vivre le présent puisque hier est passé et demain n'est pas encore arrivé". En somme, la rencontre abritée par la librairie Chikh ressemble à bien des égards aux interprétations des textes de Lounis. Jamais finies. Il faut la poursuivre dans le "voyage" qu'offre le livre. Un livre à lire, mais surtout à écouter comme on écoute, entre autres, Iminig g gḍ (Voyageur de la nuit)