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"Le cinéma algérien existera le jour où il y aura des films"
Lotfi Bouchouchi, réalisateur
Publié dans Liberté le 12 - 06 - 2021

La ville d'El-Kantara, une cinquantaine de kilomètres au nord du chef-lieu de la wilaya de Biskra, abrite depuis mercredi le tournage du film "La gare", du cinéaste Lotfi Bouchouchi. Cette fiction qui va réunir des comédiens tels que Nabil Asli ou encore Mourad Saouli ,se veut un récit satirique sur la société algérienne Liberté a rencontré le réalisateur lors du premier tour de manivelle devant l'ancienne gare d'El-Kantara. Dans cet entretien, il évoque la genèse de ce deuxième long métrage, les difficultés pour sa réalisation ainsi que la situation du 7e art.
Liberté : Depuis mercredi, vous êtes à Biskra pour le tournage de votre nouveau long-métrage La Gare. Pourquoi le choix d'El-Kantara ?
Lotfi Bouchouchi : Il faut rendre à César ce qui appartient à César. C'est le scénariste qui a eu l'idée de faire un film sur la gare. Rachid Ben Brahim, un réalisateur et scénariste, qui a été, il y a 25 ans, le directeur de l'Entreprise nationale de production audiovisuelle (ENPA) ; un grand monsieur en termes de cinéma. Pourquoi la gare d'El-Kantara ? C'est simple, c'est un repérage, un choix du réalisateur. Le choix de cette gare-là, de ce lieu, c'est mon choix, je ne peux trop vous en parler. Quand vous verrez le film, vous comprendrez le pourquoi de ce choix-là, et j'espère que vous le partagerez. À noter que le scénario écrit par Rachid Ben Brahim, nous l'avons retouché avec Arezki Mellel, le responsable script dans ce scénario.
Pouvez-vous nous donner plus de détails sur la trame de ce long métrage ?
L'histoire revient sur un village... un microcosme de la société algérienne. C'est un récit satirique. J'essaie de faire un film pour parler de ce que l'on a vu, ce que l'on a vécu ces dernières années en Algérie. C'est un film qui va nous aider peut-être à aller vers un débat ou à aider les générations futures à avoir une idée sur la manière dans laquelle nous vivions. J'espère qu'ils auront une meilleure vie que nous !
Quel regard portez-vous sur la réalité du cinéma algérien ?
Vous parlez de la réalité du cinéma algérien, je crois que la question est fausse. Je vais directement droit au but : l'on ne peut pas parler de quelque chose qui n'existe pas. Le cinéma algérien existera le jour où il y aura des films, des sorties en salle... Quand il y aura la promotion de films, des salles où le public pourra regarder des films, on pourra parler d'industrie du cinéma, d'économie culturelle ! Nous pouvons commencer par une petite industrie qui produit quelques films et non pas des centaines à l'américaine. Mais il faudrait que cette industrie soit soutenue par l'Etat, pas uniquement financièrement ; il faut aussi de la réglementation. Que l'Etat réglemente l'activité cinématographique et que le reste soit fait par les professionnels. Donc, le jour où l'on aura une industrie dans ce domaine, l'on pourra parler de cinéma algérien. Je suis jaloux de nos voisins marocains, qui, il y a des années, nous leur envoyions des caméras pour filmer. Alors qu'aujourd'hui ils produisent une trentaine de films par an et possèdent des salles de cinéma où les gens peuvent voir des films de leur choix ! Ce qui est très loin d'être le cas pour nous. Qu'est-ce qu'il nous manque alors pour être mieux qu'eux ? Telle est la question qui doit être posée.
Vous évoquiez la question financière. Votre film a-t-il reçu de l'aide ?
Il y a eu un petit budget insuffisant débloqué par le Fonds de l'aide à l'industrie cinématographique. Ce film traîne déjà depuis deux ans, pour plusieurs raisons, dont la Covid-19. Aujourd'hui, s'il commence à voir le jour, c'est beaucoup plus grâce au soutien de certains producteurs, techniciens et mécènes, qui n'ont pas apporté beaucoup d'argent, mais nous ont surtout apporté des solutions et facilité les choses. Je cite, à juste titre, la SNTF qui nous a permis de tourner dans cette gare magnifique, en nous aidant avec des locomotives. Ensuite, des producteurs, tels qu'Ahmed Rachedi, Belkacem Hadjadj, Djaafer Gacem et bien d'autres, qui nous ont aidés avec du matériel. L'on a vraiment voulu faire de ce film une coproduction algéro-algérienne. Alors que, souvent, les producteurs algériens qui obtiennent des financements de 30 à 40% du budget courent à l'étranger pour essayer de trouver des coproducteurs. Ce film aura le mérite d'avoir été le fruit du soutien des producteurs, des techniciens et des mécènes. Je tiens à remercier là-dessus le groupe Serraoui, qui nous héberge logistiquement. Nous sommes installés chez lui. Il a mis à notre disposition son aqua palm, à titre gratuit, tout cela, pour réaliser ce projet dont le tournage est prévu pour cinq à six semaines. Au début, nous avons planifié pour plus de temps, mais par manque de moyens nous avons réduit la durée, l'on essaie donc d'économiser un peu. Je vais justement revoir ma façon de travailler sur ce film, parce que je n'ai pas suffisamment de moyens pour filmer.
De quelle manière l'Etat peut-il apporter du changement dans le secteur culturel ?
Les responsables doivent changer de cap en matière de gestion du secteur. Ils peuvent facilement créer d'innombrables postes d'emploi, s'ils prennent en considération les besoins énormes du secteur culturel. Nous avons des gens qui peuvent gérer des salles, d'autres qui peuvent se lancer dans la distribution... Aussi, le cinéma est une forme d'économie à part entière, qui peut rapporter gros au pays. Il véhicule aussi l'image du pays au-delà des frontières. C'est également un moyen approprié d'éducation pour nos enfants ! Le cinéma est important en termes d'économie, d'éducation et une vitrine de l'Algérie.
D'autres projets futurs à réaliser, ou est-ce encore tôt pour en parler ?
Il y a toujours des idées. Je pense qu'un artiste, un peintre, un réalisateur... ont tous un nombre de projets à concrétiser. Le problème est que les moyens manquent. L'on n'a pas de financement. L'on est en parallèle sur d'autres projets, d'autres écritures, d'autres scénarios, et dès que l'on a la possibilité d'aller plus loin, l'on ne ratera pas l'occasion. Il faut aller vers des projets qui peuvent apporter quelque chose, historique par exemple, des projets qui peuvent instruire les jeunes Algériens. Je ne suis pas dans un cinéma de fantastique, même si c'est de la fiction, mais cela reste un cinéma qui peut apporter quelque chose, qui peut montrer une page de notre histoire, qui peut ouvrir les yeux à notre jeunesse. Notre rôle à nous, les cinéastes, est éducatif également ; on complète les enseignants tout en essayant en même temps de divertir.
Entretien réalisé par : H. BAHAMMA


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