Qui l'eut cru possible, il y a quelques années seulement, de voir un autocrate de la trempe de Saddam Hussein déféré devant un tribunal ? Renversé et capturé par les Américains, l'ex-maître de Bagdad rendra compte de ses agissements. Même s'ils apprécient différemment le sort réservé à leur président déchu, les Irakiens ne resteront pas indifférents, aujourd'hui, en le voyant comparaître devant les juges. Depuis sa capture guère glorieuse le 13 décembre 2003 par les forces américaines, chiites et Kurdes n'ont pas cessé de réclamer sa tête, alors que les sunnites ont émis des doutes quant à la procédure juridique et politique mise en branle autour de lui. C'est le Tribunal spécial irakien, mis en place par les Américains, qui jugera Saddam Hussein, 68 ans. Mais la question qui revient avec persistance en Irak et dans le monde arabe en général a trait à la nature de ce procès. L'on s'interroge s'il va tourner à la mascarade ou prendre valeur d'exemple. Il s'agit d'un événement historique, dont la portée pourrait être réduite par la présence des forces d'occupation étrangères, comme le souligne un universitaire égyptien. “Que ce procès ait lieu sous occupation américaine amoindrit d'emblée son importance aux yeux de l'opinion publique arabe”, a estimé Mohammed Kamel al Sayyed, professeur à l'Université américaine du Caire. Ce sentiment est partagé par la majorité des hommes politiques du monde arabe qui ne pense pas que ce procès servira à tirer les leçons de la dictature baâthiste, en raison du contexte de l'occupation américaine. “C'est une mascarade. Il ne s'agit que d'une justice de vainqueurs sous tutelle américaine”, affirme la réalisatrice égyptienne Asma al Bakri, résumant une opinion très répandue dans les pays arabes. D'autres analystes estiment que ce procès devrait donner à réfléchir aux autres dictateurs arabes. L'écrivain marocain, Tahar Ben Jelloun, a estimé que les images de Saddam Hussein, après sa capture, “ont dû hanter d'autre dirigeants comme Kadhafi ou le Syrien Bachar al Assad. Même quelqu'un comme Moubarak, allié des Américains, a dû se sentir mal”. Idem pour le consultant libanais Antoine Basbous, qui pense que “cela aura valeur d'exemple. La déchéance de ce dictateur a déjà donné à réfléchir à d'autres dirigeants arabes, comme le Libyen Mouammar el Kadhafi”. Son procès d'aujourd'hui pour le meurtre de 143 chiites, en 1982 à Doujaïl, au nord de Bagdad, après des tirs contre son convoi, sera le premier d'une longue série de douze affaires qui sont encore au stade l'instruction, au cours desquelles il devra répondre des massacres de Kurdes et de chiites tout au long de son règne. Il sera poursuivi pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre dans plusieurs affaires. Il s'agit notamment de l'opération Anfal contre les Kurdes en 1988, le gazage des Kurdes à Halabja la même année, la répression des chiites en 1991, l'invasion du Koweït, un an plus tôt, le massacre en 1983 de membres de la tribu des Barzani, le meurtre de chefs de partis politiques et celui de dignitaires religieux. Sept de ses anciens collaborateurs seront également à la barre aujourd'hui. Cette affaire, même si elle est en apparence de second plan, entre dans le cadre plus large des crimes contre l'humanité et crimes de guerre dont il a été inculpé en 2004. L'accusation portera sur “l'exécution de 143 citoyens, la séquestration de 399 familles, la destruction de leurs maisons et des terres”. Le porte-parole du TSI, le juge Raed al Jouhi, a déclaré que le procès “sera public à moins que le tribunal décide de le tenir à huis clos. J'espère qu'il sera retransmis en direct à la télévision”. Il n'a pas exclu un renvoi du procès, après la première comparution des accusés. “Le premier jour, le tribunal expliquera aux accusés les raisons pour lesquelles ils comparaissent, leur expliquera leurs droits et le procureur général lira les charges retenues contre eux”, a-t-il précisé. En dépit de toutes les assurances données par la justice irakienne, l'organisation de défense des droits de l'Homme, Human Rights Watch, a exprimé sa préoccupation que le procès ne réponde pas aux normes internationales, en appelant à une procédure équitable et à donner les moyens aux accusés de se défendre “vigoureusement”. K. ABDELKAMEL